Avant de faire quelque commentaire que ce soit, il faut d’abord comprendre le contexte dans lequel Télé-Québec nous présentait ces jours derniers une nouvelle entrevue avec Lucien Bouchard. En effet, on aurait tort de croire que sa présentation à ce moment-ci est le fruit du hasard, bien au contraire.
Nous sommes en 2014, à quelques jours du vingtième anniversaire de l’élection du Parti Québécois sous la houlette de Jacques Parizeau, une élection qui allait précipiter la tenue du deuxième référendum sur l’avenir du Québec le 30 octobre 1995. L’année qui vient sera donc marquée par divers rappels des événements survenus à l’époque.
Cet anniversaire survient au moment où l’Écosse s’apprête à se prononcer, elle aussi, sur son avenir politique et sur l’opportunité de sortir du Royaume-Uni pour devenir un État indépendant. Un peu plus tard cet automne, ce sera au tour des Catalans de se prononcer sur l’opportunité que la Catalogne devienne un État indépendant.
Il n’est donc pas exagéré de dire que l’indépendance politique est une idée qui a présentement le vent dans les voiles, dans une conjoncture où l’État-nation et la défense de l’identité nationale sont perçus comme des moyens de mettre fin à la tyrannie de la mondialisation, accusée à juste titre d’être responsable des délocalisations, de la désindustrialisation, du chômage et d’un accroissement spectaculaire de l’inégalité des revenus dans les pays qui ont accepté de jouer le jeu.
Parallèlement, le fédéralisme est de plus en plus perçu dans les pays qui le vivent à un degré ou un autre comme un carcan trop rigide pour permettre aux entités qui y sont soumises de se développer à leur rythme, selon leurs besoins, leurs moyens, et leurs priorités. Ainsi, plusieurs pays européens, notamment ceux du sud, commencent à trouver très lourde la tutelle de Bruxelles, et les mouvements de désaffiliation gagnent en importance. Tôt ou tard, un premier retrait surviendra qui sera rapidement suivi par d’autres.
Au Canada et au Québec, le camp fédéraliste souhaite empêcher tout effet de contagion et mise sur la défaite du PQ aux dernières élections générales, le retour au pouvoir du PLQ qui forme sans doute le gouvernement le plus fédéraliste de toute l’histoire du Québec, et la crise que traverse le Bloc Québécois, pour tenter de porter un coup fatal au mouvement indépendantiste. Il redoute par dessus tout l’élan irrésistible qu’un homme de la stature et de la trempe de Pierre Karl Péladeau pourrait lui donner, ce qui, en passant, rend presque incompréhensible l'opposition de certains indépendantistes à sa candidature.
C’est précisément dans ce contexte que survient l’émission spéciale de Télé-Québec consacrée à Lucien Bouchard et au rappel des événements qui ont mené au référendum de 1995.
Notons tout d’abord que Télé-Québec se trouve sous l’autorité du Gouvernement du Québec et que les Libéraux, contrairement aux Péquistes, n’hésitent jamais à peser de tout leur poids dans les choix et les décisions des organismes sous leur contrôle. Or, le choix de Bouchard n’est pas innocent. Même s’il a été la figure de proue du camp du OUI au référendum de 1995, il n’était pas le premier ministre en fonction. La fidélité à l’histoire aurait exigé de donner plutôt la parole à Parizeau.
En effet, choisir Bouchard, c’est préférer sa narration à celle de Jacques Parizeau. C’est lui donner l’occasion de donner sa lecture et son interprétation des événements de 1995 de façon à convaincre les Québécois que l’indépendance est hors de leur portée et sans intérêt, et qu’à tout prendre (façon de parler car il s’agit plutôt de tout abandonner), le Canada façon « beau risque » de René Lévesque a bien meilleur goût.
Il ne faut pas oublier que Bouchard est un maître de l’ambivalence et de l’équivoque, et un manipulateur de grand talent, tantôt comediante tantôt tragediante, selon son appréciation de l’approche la plus efficace pour convaincre son public. L’entrevue nous montre bien qu’il n’hésite pas à jouer la carte de l’émotion ou de l’indignation pour y parvenir.
Le journaliste Yves Boisvert ne cherche pas à dissimuler cette ambivalence et le côté équivoque de Bouchard, sans doute pour souligner combien il ressemble à cette caricature du Québécois moyen mâtiné de paysan normand, avec ses « p’têt ben qu’oui, mais p’têt ben qu’non » que certains pêcheurs en eaux troubles trouvent fort utile pour étayer leurs thèses aussi bancales que primaires. Mais si l’ambivalence et l’équivoque sont bien à l’image du résultat du référendum, elles ne sont en rien un juste reflet des courants qui s’y sont affrontés. L’exercice n’est donc pas sans péril.
Ce dont il n’est pas question dans l’entrevue mais qui est pourtant essentiel dans la compréhension des événements de 1994 et 1995, c’est le travail de sape de Bouchard, de son équipe et de ses partisans au sein même du PQ, du caucus et du gouvernement pour miner le leadership de Parizeau dès les premiers jours de son élection, et imposer petit à petit l’idée qu’il menait le Québec tout droit à l’échec avec son projet de poser aux Québécois une question claire.
Bien entendu, les médias à la solde allaient se faire les relais complaisants de cette idée qu'ils allaient marteler jour après jour, semaine après semaine, trop heureux de contribuer à la difficulté d’interpréter correctement le résultat d’un référendum avec une question aussi alambiquée que celle qui allait finalement émerger des négociations entre le gouvernement, le Bloc Québécois et l’ADQ.
Il faut en effet comprendre qu’une victoire du OUI au référendum de 1995 aurait précipité le Québec dans une situation de grande instabilité politique, la population et le gouvernement fédéral ayant tout loisir d’en contester l’issue ou de l’interpréter à leur guise, tout simplement à cause du libellé de la question. Cette leçon n’a pas été perdue pour les Écossais qui auront à voter dans quelques jours sur une question claire après avoir obtenu du gouvernement britannique son engagement de respecter tout résultat obtenu à la majorité démocratique, soit 50 % + 1 des suffrages.
C’est donc à la lumière de ces réalités qu’il convient d’apprécier le rôle de Bouchard en 1994 et 1995, et lorsqu’on entreprend cet exercice, on comprend rapidement que, sauf à accepter qu’il s’agit d’un imbécile, ce qui n’est certainement pas le cas, il cherchait non pas à mener le Québec à son indépendance, mais plutôt à imposer sa vision d’un Canada faisant une place plus large au Québec à l’issue d’une négociation bras de fer comme il sait les mener.
N’allez surtout pas dire à Bouchard qu’il a trahi le Québec, il est convaincu du contraire, exactement comme Robert Bourassa que Jean-François Lisée n’a pas pourtant pas hésité à qualifier de menteur et de tricheur dans les deux ouvrages qu’il a consacrés à la relation des événements de l’après-Meech. Bourassa a préféré renier son engagement de tenir un référendum sur l’indépendance par conviction profonde que cela n’était pas dans l’intérêt du Québec et des Québécois.
Pour Bouchard, Lisée n’a que des compliments. Cherchez l’erreur !
Là où le cas de Bouchard diffère de celui de Bourassa, c’est que Bourassa n’est jamais allé jusqu’à s’afficher comme un indépendantiste convaincu comme l’a fait Bouchard. Il ne s’est jamais présenté aux Québécois comme l’homme dont l’ambition et le but étaient de faire l’indépendance du Québec alors que ce n’était pas son choix premier et qu’il conservait l’espoir de réussir là où Mulroney et Bourassa avaient échoué.
À partir du moment où l’on arrive à cette conclusion, tout s’éclaire. On comprend que ses liens avec Paul Desmarais n’aient jamais souffert de son engagement politique, cette façon qu’il avait de diriger le Québec un pied sur l’accélérateur et l’autre sur le frein, ses relations difficiles avec le PQ, ses chemises déchirées et ses sentiments de culpabilité à chaque fois qu’il se trouvait coincé entre la défense des francophones et les droits des minorités culturelles et linguistique, et même son comportement ignoble envers Yves Michaud qu’il s’est trouvé à aggraver en utilisant l’institution sacrée qu’est l’Assemblée Nationale pour perpétrer son forfait.
On comprend sa défense des sables bitumineux de l’Alberta, son intérêt pour l’exploitation des gaz de schistes et le pétrole d’Anticosti, et même sa tentative aujourd’hui de jeter tout l’ascendant qui peut lui rester sur les Québécois pour tenter de les convaincre que le Bloc Québécois, sa créature, est mort, que l’indépendance du Québec est un projet sans avenir, et que les Québécois auraient tout intérêt à réinvestir les partis fédéralistes pour peser sur leurs orientations dans le sens de leurs intérêts.
C’est exactement ce que proposaient le constitutionnaliste Pierre-Elliott Trudeau, le syndicaliste Jean Marchand et l’éditorialiste Gérard Pelletier, surnommés pour l’occasion les Trois colombes, lorsqu’ils se joignirent au Parti Libéral du Canada en septembre 1965. On sait où ça a mené.
Aujourd’hui, plus de colombes. À leur place, un corbeau noir nommé Bouchard ! Avec le même « deal » dont on sait par expérience qu’il est pourri jusqu’au trognon. Avancez en arrière !
Que voulez-vous dirait Chrétien, Bouchard est un Canadien-français d’une autre époque, un véritable diplodocus comme je l’ai déjà écrit, incapable de comprendre que l’indépendance est plus que jamais la clé qui va nous permettre survie et prospérité dans le monde de demain.
Dans son entrevue avec Yves Boisvert, Bouchard évoque le jugement de son fils qui, s’il faut l’en croire, l’a traité de « loser » pour son échec référendaire. Il cherche évidemment à nous apitoyer sur son sort pour tenter de gagner notre sympathie et notre adhésion à sa vision.
La tentative de manipulation est grosse comme un autobus ! Mais outre que la plus élémentaire pudeur et la décence paternelle auraient dû lui dicter de garder un commentaire aussi personnel en famille, il démontre qu’il n’a rien compris au propos de son fils. Ce qu’il lui reproche à partir de ce qu’il comprend des événements, ce n’est pas d’avoir perdu une bataille, c’est d’avoir rendu les armes. La défaite, c’est le renoncement, l’abandon... C’est en cela que Bouchard est un « loser ». Sur toute la ligne...
On imagine le chagrin et la honte que son fils éprouvera quand il découvrira que son père a trompé tout le monde.
On imagine aussi la gêne profonde et le sentiment de trahison que ressentiront tous ceux qui auront cru au « grand homme » et qui finiront par comprendre sa duplicité.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé