C’est en grande partie pour répondre à l’entrée en fonction de l’équipe de Donald Trump que Justin Trudeau a remanié mardi son cabinet. Il a voulu offrir à l’administration américaine un nouvel interlocuteur, certes plus affable, mais surtout plus outillé pour parler le langage qui l’intéresse.
Chrystia Freeland devient ainsi non seulement la ministre des Affaires étrangères en remplacement de Stéphane Dion, mais conserve aussi tous les dossiers ayant trait aux États-Unis qu’elle pilotait déjà en tant que responsable du Commerce international. Le litige sur le bois d’oeuvre ou encore la renégociation désirée par Donald Trump de l’ALENA tomberont donc aussi sous sa coupe.
« Ce nouveau gouvernement américain a une priorité fondamentalement ancrée dans le commerce et la croissance économique, s’est justifié M. Trudeau en point de presse. Notre ministre des Affaires étrangères va être appelée à être engagée avec les États-Unis sur des enjeux profondément commerciaux et économiques, et je trouve que d’avoir une voix par rapport à ça, c’est la bonne façon d’y aller. On sait très bien que M. Trump veut toujours parler commerce et toujours parler croissance économique et emplois, et chaque fois qu’on va être engagé avec lui, on veut qu’on ait quelqu’un qui va avoir à la fois la responsabilité diplomatique et commerciale. »
Stéphane Dion
La nomination de Mme Freeland tombe aussi sous le sens. Cette ancienne journaliste économique qui a travaillé pour des publications prestigieuses telles que The Economist est non seulement polyglotte, mais parle le langage des millionnaires et milliardaires qui prendront le pouvoir aux États-Unis le 20 janvier prochain. Comme on le dit dans son entourage, elle n’a pas peur des « hommes blancs en complet ». Elle a d’ailleurs écrit un livre, Plutocrats, dénonçant l’enrichissement de quelques élus et l’appauvrissement des masses. D’avoir commis un tel livre est-il de nature à lui nuire à Washington ?
« Je ne pense pas que c’est un bagage, a rétorqué la principale intéressée. Les préoccupations de la nouvelle administration américaine ne sont pas aussi différentes des préoccupations de notre gouvernement. Pour notre gouvernement, la question la plus importante c’est la classe moyenne et travailler pour la classe moyenne. Je pense que le président désigné, Donald Trump, aussi a parlé aux Américains pour lesquels l’économie n’était pas suffisante. C’était l’argument central de mon livre. »
Cette femme qu’on dit rassembleuse pourrait ainsi offrir une interface avec l’administration Trump moins rigide que n’aurait pu le faire un Stéphane Dion à cheval sur les principes.
Ce n’est que la troisième fois de l’histoire du Canada qu’une femme occupe le poste de ministre des Affaires étrangères, la première pour une libérale. Les précédentes avaient été les progressistes-conservatrices Flora MacDonald (sous Joe Clark en 1979-1980) et Barbara McDougall (sous Brian Mulroney, puis Kim Campbell de 1991 à 1993).
Faut-il y voir un lien avec le sexe de Mme Freeland ou une simple référence factuelle au fait qu’elle a quitté presque en larmes (et en colère) la rencontre de la dernière chance en Europe en octobre pour conclure l’accord de libre-échange ? Quoi qu’il en soit, sur le site de CBC qui confirmait sa nomination mardi matin, les commentaires railleurs de lecteurs se sont vite multipliés.
« Le nouveau protocole pour toutes les missions canadiennes à l’étranger anticipant une visite de notre nouvelle ministre des Affaires étrangères sera d’avoir beaucoup de mouchoirs à portée de la main », a écrit Anthony Laface. Gary Ridgeway a demandé « si elle va pleurer chaque fois que les choses ne tourneront pas comme elle le veut ».
Ministère allégé pour le Québec
Celui qui remplace Mme Freeland au Commerce international, François-Philippe Champagne, assure qu’il ne se sent pas lésé par la perte d’une partie de son portefeuille. « La planète, c’est grand ! » a-t-il lancé, ajoutant que les dossiers de commerce étaient nombreux en Asie et en Europe.
Le nombre de ministres québécois reste donc le même (sept en comptant M. Trudeau), mais leurs responsabilités s’en trouvent réduites par le troc des Affaires étrangères pour ce Commerce international allégé. M. Champagne ne pense pas que cela soit un problème, rappelant que la forte députation québécoise allait continuer à jouer un rôle.
Le grand perdant de ce jeu de chaises musicales est évidemment Stéphane Dion, à qui le premier ministre aurait offert les postes d’ambassadeur en Allemagne et à l’Union européenne pour remplacer les Affaires étrangères qu’il perd. M. Dion n’a pas accepté l’offre tout de suite. Son entourage a plutôt envoyé un courriel disant que « pour ce qui est de la suite, il y aura plus à dire dans les prochaines semaines alors qu’il envisage de quelle autre façon il pourrait contribuer à la fonction publique ».
Dans sa déclaration, M. Dion écrit que « pendant une année, le premier ministre Justin Trudeau m’a fait l’honneur d’être son ministre des Affaires étrangères. Comme c’est son privilège, il vient de confier cette grande responsabilité à une autre personne ». Il rappelle qu’il a été en politique pendant 21 ans. « Maintenant, je vais déployer mes efforts en dehors de la politique active. J’ai aimé la politique, surtout chaque fois que j’ai pu faire une différence au bénéfice de mes concitoyens. J’en sors plein d’énergie… renouvelable ! Mais la politique n’est pas la seule façon de servir son pays. »
Clairement, M. Dion n’a pas aimé être poussé vers la sortie. La réaction était totalement inverse pour John McCallum, lui aussi un vieux routier (il est arrivé à Ottawa en 2000). Cet ancien économiste en chef de la Banque Royale quitte le cabinet à la demande du premier ministre et prendra d’ici deux mois le poste d’ambassadeur en Chine.
« C’est le premier ministre qui m’a invité à le voir et m’a suggéré ce poste. J’étais surpris. […] Je n’avais pas vraiment décidé quoi faire au cours des prochaines années », a raconté M. McCallum aux journalistes, démentant ainsi la rumeur que c’est lui qui avait indiqué une volonté de quitter la politique. M. McCallum aime dire qu’il a une relation « 100-50-40 » avec la Chine. « Mon épouse est 100 % chinoise, nos trois fils sont à 50 % chinois et mes électeurs de Markham sont à 40 % des Chinois », a-t-il indiqué mardi. Lui-même parle un peu le mandarin et dit espérer approfondir sa connaissance de la langue une fois là-bas.
Il a indiqué que le premier ministre trouvait important que son ambassadeur ait une « connaissance » de la Chine et ait un « lien avec son bureau ».
Celui qui remplace M. McCallum à l’Immigration, les Réfugiés et la Citoyenneté est un avocat torontois d’origine somalienne spécialisé dans les questions d’immigration, Ahmed Hussen. Comme Maryam Monsef, M. Hussen est un réfugié. Il a été élu pour la première fois en 2015.
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