Au pays des anges
J’en entends plusieurs s’inquiéter, voire même, s’indigner, des conditions dans lesquelles Gilles Duceppe a repris la direction du Bloc Québécois, en disant que le processus ne serait pas absolument transparent et démocratique. Un congrès spécial des membres aurait été nécessaire pour valider la transition. Théoriquement, peut-être. Mais je dis bien théoriquement. Et j’insiste sur le peut-être. Car la politique réelle fonctionne selon d’autres lois que celles prévalant au pays des anges, et il arrive qu’on ajuste les règles après-coup pour tenir compte d’une nouvelle réalité. Dans le cas présent, il s’agissait de changer de chef à quelques mois d’une élection fédérale pour éviter une disparition du parti, ce que semblaient craindre les grandes figures du mouvement souverainiste.
Autrement dit, une situation exceptionnelle exige une décision exceptionnelle – et parce que la vie est complexe, il n’est jamais possible de prévoir à l’avance ce que sera cette situation exceptionnelle. C’est à ce moment qu’un cadre préétabli révèle ses limites et qu’il faut sortir des règles convenues pour prendre une décision nécessaire, commandée par les circonstances. Il y a, en politique, une part inévitable d’arbitraire – on pourrait dire que le politique ne se laisse jamais complètement enfermer dans un système de règles formelles, et qu’il lui arrive de reprendre son autonomie. Évidemment, il faut limiter le plus possible de telles situations : elles sont probablement inévitables, pour le meilleur et pour le pire. C’est ce qui est arrivé depuis 48 heures au Bloc Québécois. Plutôt que de s’indigner, nos commentateurs devraient descendre de leurs grands chevaux moraux et regarder la politique telle qu’elle existe plutôt que la politique telle qu’ils l’idéalisent. Ils pourront ensuite critiquer comme ils le veulent Gilles Duceppe. Ils le feront comme ils le voudront. Mais ils le feront sans angélisme.
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L’héritage de Mario Beaulieu
Mario Beaulieu laisse-t-il un héritage au Bloc, malgré les mauvais sondages qui lui annonçaient un triste destin? Oui. Et il n’est pas insignifiant. Pour ceux qui le connaissent, Mario Beaulieu est un militant infatigable de la cause nationale – on pourrait dire aussi que c’est un teigneux, pour le meilleur et pour le pire. Promoteur de l’indépendance et défenseur de la langue française, il croit au militantisme de terrain. Évidemment, il prêche pour les convaincus, mais il garde la base militante active, il se porte à la défense de l’essentiel quand la mode est à autre chose. Il avait surpris bien des gens en devenant chef du Bloc. C’est pourtant parce qu’il avait mobilisé une base qui lui était fidèle et qui se reconnaissait dans sa clarté idéologique qu’il y était parvenu.
Ceux qui le suivaient savaient bien qu’il n’avait rien d’un chef charismatique : ils y voyaient néanmoins un homme ne transigeant pas sur l’essentiel. Quand tout semble se déliter, c’est une qualité qu’on peut apprécier. On pouvait très bien ne pas voir en Mario Beaulieu un chef politique tout en reconnaissant chez lui cette vertu de profondeur et de constance. Gilles Duceppe fait bien de lui tendre la main.
L’héritage de Mario Beaulieu, en quelque sorte, c’est le rappel de la valeur des minorités politiques actives et convaincues, qui ne se laissent pas définir par la nouvelle du jour et qui s’entêtent à garder vivante dans l’espace public une préoccupation abandonnée par le grand nombre, qui a la tête à autre chose et ne veut pas en entendre parler. N’est-ce pas le cas de l’indépendance depuis quelques années? S’il n’y avait pas des militants convaincus au service d’une cause, la vie politique se réduirait aux humeurs changeantes du citoyen lambda et à la construction des enjeux politiques par les sondeurs qui croient nous dire ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Je ne dis pas qu’il faut soumettre la vie politique aux militants – ils ont souvent tendance à se comporter des comme des obsédés idéologiques, comme des monomaniaques passionnés par une idée fixe. Mais ce n’est pas toujours le cas. Et même quand c’est le cas, ils évitent aussi la dissolution de la vie politique dans une actualité éphémère sans profondeur, ils donnent de la consistance au débat public, et de temps en temps, mais on ne peut jamais le savoir à l’avance, ils parviennent à faire l’histoire, à lui donner une impulsion inattendue, à l’orienter autrement.
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L’avenir de Gilles Duceppe
Gilles Duceppe peut-il sauver le Bloc? Ce n’est pas impossible. Mais la tâche sera difficile car les Québécois semblent moins portés qu’auparavant à voter en fonction de la question nationale, et cela, à Ottawa encore plus qu’à Québec. C’est un peu comme s’ils étaient fatigués et voulaient passer à autre chose. Du moins, les dernières années le suggèrent. Il y a une première condition à la renaissance du Bloc : que les Québécois s’intéressent à nouveau au Québec, qu’ils reconnaissent que la question de leur place dans le Canada demeure suffisamment importante pour qu’ils ne se laissent pas happer seulement par le clivage entre la gauche et la droite. Autrement dit, les Québécois doivent se rappeler qu’ils sont un peuple. À quelle question voudront-ils répondre dans les urnes ? Voudront-ils d’abord et avant tout congédier Stephen Harper en se ralliant à l’alternative pancanadienne susceptible de le vaincre ? C’est à tout le moins ce que les pousseront à faire les stratèges du NPD. Bien des nationalistes et des souverainistes, exaspérés par le gouvernement conservateur, seront tentés par cette possibilité. La diabolisation de Stephen Harper est telle, au Québec, que bien des gens croiront que la chose la plus urgente à faire, quoi qu’on pense de l’avenir politique du Québec, c’est de le congédier. Quitte à penser à la souveraineté en 2018 à Québec.
Gilles Duceppe doit ranimer le sentiment nationaliste des électeurs québécois. Il n’est pas impossible que la renaissance actuelle du mouvement souverainiste y contribue profondément. Il doit inscrire son élection dans un élan plus vaste : la reprise de la marche vers le pays. Le souverainisme cesse de contempler au loin un pays rêvé : il travaille à faire advenir l’indépendance dans les prochaines années. PKP change la donne : il ne se contente pas de souhaiter la souveraineté. Il veut la faire. Et il s’en croit manifestement capable. On dit que cela pourrait terrifier bien des électeurs. Cela pourrait aussi réveiller les endormis, secouer les apathiques et susciter des vocations nationales. Depuis des années, on assistait à une dégradation publique de l’image du Québécois et plus encore, du nationaliste québécois. C’était un perdant, un cul-terreux, un boomer nostalgique, alors que le vrai gagnant, c’était le Montréalais mondialisé. PKP change cette image. Il incarne une autre idée du Québécois et du souverainiste. On pourrait aisément en dire de même de Jean-Martin Aussant. Le Bloc profitera-t-il de ce nouvel élan? Ou l’espace politique fédéral est-il définitivement décroché du nationalisme québécois?
Évidemment, le Bloc ne règnera plus sur le Québec comme dans ses belles années. Gilles Duceppe devra définir avant que ses adversaires ne le fassent ce qu’il considérerait comme une éventuelle victoire. 10 députés ? 15 ? 20 ? À quelles conditions pourra-t-il crier victoire ? Il ne peut ni ne doit se montrer triomphaliste, et on devine qu’il le sait. Il ne doit pas se montrer trop modeste non plus. Et quel mandat demandera-t-il? Imaginons un gouvernement minoritaire? Aura-t-il des revendications particulières ? S’en tiendra-t-il en retrait en misant sur un indépendantisme de combat?
Mario Beaulieu voulait des députés indépendantistes décidés à semer la pagaille dans le parlement canadien, alors que Gilles Duceppe a toujours témoigné d’un grand respect pour cette institution, au point, quelquefois, de se laisser inhiber par elle. Une chose est certaine : l’arrivée de Gilles Duceppe, en crédibilisant à nouveau le Bloc, pousse à une redéfinition de la stratégie souverainiste des prochaines années. Connaîtrons-nous à nouveau la stratégie des trois périodes? Tout cela sera passionnant à suivre.
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