Si l'on en juge par un sondage Ipsos-Reid publié mardi dans le National Post, les libéraux ne gagneront pas grand-chose - même pas au Québec - en reconnaissant le caractère "national" du Québec, comme les y invite l'aile québécoise du parti et le candidat au leadership Michael Ignatieff.
Quarante-deux pour cent des Canadiens (et 44% des électeurs libéraux) seraient moins enclins à voter pour le parti si le prochain chef voulait donner au Québec un statut de "nation". Plus affligeant encore pour le PLC, l'idée tombe à plat au Québec: 63% des répondants disent que cette "reconnaissance" n'aura aucun impact; seulement 23% estiment que cette promesse pourrait les inciter à voter pour le PLC.
Bémol important: l'échantillon pancanadien du sondage étant de 1200 personnes, il s'ensuit que le nombre de répondants québécois est trop faible pour que les résultats sur le Québec soient absolument probants. (À ce sujet, un ami démographe expert en sondages me disait l'autre jour que pour prendre correctement le pouls de tout bassin de population - qu'il s'agisse du Canada, du Québec, de la Chine ou de la circonscription d'Outrement - l'échantillon doit être d'environ un millier. Oui, cela serait nécessaire pour une micro-société comme une simple circonscription, et cela suffirait pour la Chine!)
Il reste que même un échantillon insuffisant peut donner un aperçu de la situation. Même si la marge d'erreur est élevée, on peut déduire que l'initiative d'Ignatieff ne suscite guère d'enthousiasme dans les chaumières et les autobus. La plupart des commentateurs ont accueilli l'affaire positivement quoiqu'avec scepticisme, mais la population n'est pas au rendez-vous.
On peut cependant présumer, à la lumière des expériences passées, que si la résolution de l'aile québécoise du parti est rejetée au congrès de la fin novembre, l'affaire sera dramatiquement répercutée par les médias, et que beaucoup de Québécois se sentiront une fois de plus "rejetés" par "le Canada anglais".
On a déjà vu ce film-là: l'accord du lac Meech n'avait pas fait de vagues au Québec, mais quand il est tombé à l'eau, ce fut tout un drame. Les "nationalistes mous" se sont sentis floués, et les souverainistes ont habilement remué les cendres fumantes du ressentiment.
Bref, le PLC est dans le tordeur. Ou il enterre cette histoire de "nation", ce qui va donner de précieuses munitions au camp souverainiste. Ou il endosse la résolution de l'aile québécoise du parti, ce qui va lui aliéner le reste du pays... sans pour autant lui gagner le Québec, où ceux qui s'intéressent à ces questions-là auront tôt fait de dire qu'une reconnaissance non constitutionnalisée, et non-accompagnée de pouvoirs spéciaux, n'est qu'un hochet.
Pour limiter les dégâts, les libéraux plaident qu'ils ne proposent pas l'inclusion du concept de "nation québécoise" dans la constitution, mais une simple reconnaissance plus ou moins "officielle" - quelque chose comme un vote de principe à la Chambre des communes qui n'aurait pas de suite.
M. Ignatieff essaie maintenant de battre en retraite en repoussant les négociations constitutionnelles à un avenir lointain pour ne pas dire improbable, et en occultant la question des pouvoirs. Pourtant, dans sa déclaration initiale sur le sujet, il proposait bel et bien de rouvrir éventuellement la constitution pour redéfinir le statut du Québec et des "nations" autochtones, et pour établir une "division des pouvoirs entre les ordres de gouvernement autochtones, provinciaux, territoriaux et fédéral, accompagnée de procédures claires pour le partage des compétences qui se chevauchent".
Mais bon, ce n'est qu'une autre volte-face du candidat, qui a passé la campagne au leadership à revenir sur ses déclarations pour les contredire ou s'en excuser.
Tout cela place les libéraux de Jean Charest dans une position difficile. M. Charest, qui sait fort bien que toute reprise des négociations constitutionnelles mènerait au désastre, a toujours soigneusement évité d'en réclamer. Même son ministre Benoit Pelletier, qui aime bien disserter sur le concept de "nation", a réagi très prudemment à l'initiative des cousins fédéraux.
Cependant, à partir du moment où les fédéraux font tout un battage autour de la "nation québécoise", il est bien évident que les libéraux provinciaux ne pourront pas longtemps être en reste de rhétorique, et qu'ils devront embarquer eux aussi dans le bateau, même s'ils savent très bien qu'il ne mènera nulle part...
lgagnon@lapresse.ca
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