C'est un lieu commun de dire que les entreprises ne paient pas assez d'impôts. Depuis quelques années, plusieurs publications du professeur de comptabilité Léo-Paul Lauzon, et de son groupe de la chaire d'études socioéconomiques de l'UQAM, ont contribué à renforcer cette impression. Or, une contre-expertise effectuée par un autre groupe d'universitaires réputés vient remettre les pendules à l'heure.
L'étude de Pierre Fortin (UQAM), Luc Godbout et Suzie Saint-Cerny (chaire de recherche en fiscalité et finances publiques de l'Université de Sherbrooke) contredit chacune des conclusions de leurs collègues comptables de l'UQAM, Léo-Paul Lauzon et Michel Bernard.
Pour l'équipe Lauzon, les entreprises québécoises paient de moins en moins d'impôts comparativement aux particuliers. Pour le groupe Fortin, cette conclusion est fausse puisqu'en incluant toutes les sources de taxation des entreprises (taxe sur le capital, cotisations à l'assurance-emploi, à la CSST, au RRQ, au fonds de santé et autres), «la contribution totale des entreprises aux recettes de l'État n'a pas varié en moyenne depuis 45 ans» et atteignait 19 % des recettes fiscales totales des gouvernements en 2005.
Alors que l'équipe Lauzon affirme que la majorité des entreprises québécoises ne paient pas d'impôt sur les profits, le groupe de Fortin répond que cela s'explique par le fait que 99 % de ce groupe de «privilégiées» est composé de PME qui n'ont pas fait de profits. Dans les autres cas, il s'agissait d'entreprises ayant accumulé des pertes antérieures qui annulent les profits courants.
À l'affirmation selon laquelle les sociétés recevraient plus de subventions qu'elles ne paient d'impôts, Fortin et cie répliquent que Statistique Canada considère comme des subventions les sommes versées à des organisations telles que les garderies... En somme, si l'on se fie à l'étude Fortin-Godbout-Saint-Cerny, les comptables Lauzon-Bernard auraient tout faux.
À l'opposé de cette analyse qui sous-entend que les entreprises du Québec ne paient pas leur juste part du fardeau social, certains souhaiteraient qu'elles soient tout simplement exemptées de payer des impôts puisque, de toute façon, elles refilent la totalité de cette «dépense» aux consommateurs et aux actionnaires.
En fait, là aussi les choses sont plus complexes. Tous s'entendent pour reconnaître que le poids de la fiscalité est devenu l'un des facteurs déterminants dans la décision d'investir ici ou là sur la planète. À l'heure actuelle, la fiscalité des entreprises du Québec n'est pas la pire qui soit. Elle est même plus avantageuse qu'ailleurs au pays. Mais elle est encore loin de figurer parmi les plus attrayantes en Occident.
Or, compte tenu du taux de chômage élevé et des difficultés inhérentes à notre situation particulière (géographie, langue, niveau des salaires, etc.), nous avons tout intérêt à apprendre à jouer la carte de la compétitivité fiscale. De là à proposer l'abolition des impôts pour les entreprises, il y a une marge. Les entreprises doivent payer pour les services publics qu'elles reçoivent, elles et leurs employés, au même titre que tout autre «client» de l'État. De plus, sans impôt sur les profits, les actionnaires éviteraient de payer leurs propres impôts à titre de particuliers en laissant indéfiniment leurs dividendes dans les coffres de la compagnie. Finalement, tous conviendront qu'il serait ridicule de laisser les États étrangers percevoir seuls des impôts sur les dividendes gagnés ici par des actionnaires d'ailleurs.
Trouver le parfait équilibre fiscal susceptible de favoriser l'investissement, la répartition équitable de la richesse et une qualité de services publics satisfaisante, voilà un défi impossible aux paramètres en perpétuel mouvement. Chaque parti politique a son idée et chaque contribuable, ses intérêts à défendre. En limitant l'analyse à des comparaisons simplistes entre particuliers et sociétés, les adeptes de l'école «faisons payer les compagnies» sombrent dans un populisme improductif.
j-rsansfacon@ledevoir.com
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