Prendre un autre chemin

IDÉES - la polis



Quand il convoqua un Concile le 25 janvier 1959, quelques mois à peine après avoir été élu pape, et un mois exactement après la fête de la Nativité, Jean XXIII était guidé par de grandes intuitions. On était alors à mi-chemin de ce qu'on appellerait plus tard les Trente glorieuses. Le monde allait changer. Et l'Église aussi, croyait son nouveau chef. C'était il y a 50 ans.
Un monde qui bascule
Depuis, les fenêtres ouvertes au lendemain de Vatican II se sont souvent refermées. Le monde a traversé des guerres. Les crises économiques sont venues bouleverser bien des vies.
La dernière crise en lice, celle dont les effets nous sont rapportés quotidiennement, a fait tache d'huile sur l'ensemble de notre société. Pendant que les décideurs cherchent à sauver les banques et à soutenir de nos deniers les industriels, plusieurs d'entre nous coupent radicalement dans leurs dépenses. Ils craignent pour leur niveau de vie et l'avenir de leurs enfants.
Un certain nombre, toutefois, pressent qu'il ne sera pas suffisant d'encaisser le coup en attendant que les choses redeviennent comme avant. Une rupture s'est produite au firmament des idées reçues. La confiance dans le système actuel n'est plus au rendez-vous. Déjà, la situation écologique de la planète nous avait fait réfléchir à notre mode de vie. La crise actuelle frappe encore sur le même clou. Les nouvelles qui nous viennent d'Afrique nous rappellent à larges traits la désolation des populations exploitées par la voracité de compagnies qui siphonnent les ressources des pays et qui plieront bagage quand les actionnaires voudront encore plus de rendement. Plusieurs d'entre elles sont canadiennes, comme l'a révélé le livre Noir Canada. Décidément, le laisser-faire de l'État n'est plus de mise. Quelque chose est en train de basculer.
Devant l'ampleur des changements nécessaires, les diverses guignolées apparaissent comme de bien timides solutions. Peut-être ont-elles le mérite de nous rappeler que trop de gens souffrent concrètement de la situation actuelle. Mais elles ne constituent pas des réponses adéquates. Il nous faut chercher plus loin. Exiger que les banques et les gestes des actionnaires soient l'objet d'une réglementation sévère. Tabler sur la coopération à tous les niveaux. Devenir partie prenante des décisions qui se prennent en notre nom. Jauger l'action des décideurs à l'aune du bien du plus grand nombre. Si «un autre monde est possible», il ne peut être la copie recyclée de celui qui se lézarde sous nos yeux.
Habiter la mutation en cours
Quand le vieux pape Jean a ouvert le Concile, il avait conscience de la profonde mutation qui se préparait dans l'ensemble de la planète. Il retenait, entre autres signes, l'aspiration à la paix, dans la mesure où elle est le fruit de la justice entre les parties, la participation des femmes au monde du travail et de la vie sociopolitique, l'émancipation des peuples du joug des différents empires, les transformations multiples des modes de penser et d'agir sous l'effet combiné des nouvelles technologies. Il proposait alors aux croyants et croyantes de son Église de mesurer l'ampleur de la mutation en cours et de ne pas s'enfermer dans le monde du religieux. Avec cet amour des gens qui l'habitait, il proposait de marcher avec les hommes et les femmes de ce temps de mutation, de partager leurs espoirs et leurs souffrances. Il les invitait à lire les «signes» d'un monde neuf qui se préparait, d'y participer pleinement pour, avec beaucoup d'autres, sauver les valeurs d'humanité qui s'y trouvaient.
La traduction québécoise
S'il est difficile d'évaluer toutes les conséquences de cet événement au Québec, il est cependant possible de souligner certaines orientations majeures qui ont alors été comprises par une majorité de croyants et de croyantes. La première en importance est sans doute la confiance accordée à la conscience personnelle. C'est ainsi qu'au lieu des «obligations» traditionnelles, on a alors proposé «l'invitation» à la célébration dominicale, que l'on a souligné le choix diversifié de vivre autrement le carême et la solidarité avec les personnes appauvries qu'il implique, au lieu de l'objectiver dans le «poisson» du vendredi. C'est encore cette conscience personnelle qui a conduit à la forte réaction des gens quand on a voulu, quelques années plus tard, imposer une formule de régulation des naissances, comme si les couples n'avaient pas la maturité voulue pour décider de ce qui touchait à leur sexualité.
Un autre versant de ce primat de la conscience a été la créativité qui s'est manifestée dans plusieurs domaines traditionnellement réservés aux clercs, qu'il s'agisse du chant religieux, de l'attention à la démarche personnelle dans la démarche catéchétique, de l'autonomie des responsabilités sociales et politiques dans le grand chantier de la Révolution tranquille. Cette insistance a coïncidé avec la montée du mouvement féministe et remis en cause la prédominance du clergé masculin et, plus fondamentalement, la tendance patriarcale dans la distribution des pouvoirs. L'ouverture aux autres religions chrétiennes a aussi été un résultat de cette confiance accordée au cheminement personnel dans la foi. Le Pavillon oecuménique, lors de l'Expo 67, l'a illustrée symboliquement, tout en esquissant les tâches communes qui attendaient les diverses confessions. Le Pavillon était, en effet, le seul à rappeler la présence des hommes, des femmes et des enfants laissés pour compte dans la grande fascination collective exercée alors par la modernité.
Dans le monde de ce temps
Certes, depuis ce temps, il a coulé beaucoup d'eau sous les ponts. La mutation est devenue encore plus complexe. On est revenu d'une certaine naïveté concernant la croissance indéfinie des techniques. Plusieurs ont alors pris peur et se sont réfugiés dans l'univers mental d'avant-hier. D'autres ont assimilé ces orientations, mais cherchent encore des lieux de discernement pour être à même d'échanger avec d'autres «mutants» sur les enjeux en cours. Malgré tout, si l'on croit qu'un Souffle soulève notre histoire et des millions de consciences, il devient incontournable d'y participer à la mesure de nos capacités. Le croyant et la croyante deviennent alors autant de nomades qui partagent le chemin de tout le monde, emportant dans leurs bagages une espérance qui les dépasse.
Quand les chercheurs de sens «venus de l'Orient» ont découvert l'enfant couché dans une crèche, ils ont pu repartir, le coeur ébloui par la promesse d'une re-naissance toujours possible. Ils ont toutefois eu la sagesse d'emprunter un autre chemin que celui tracé par le pouvoir d'Hérode, tueur de tant d'innocents.
Telle est peut-être la bonne nouvelle pour le temps qui s'ouvre.
Nous sommes plusieurs à tenter d'habiter cette mutation en cours.
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Guy Paiement, Président des Journées sociales
Alain Ambeault, Michel Beaudin, Céline Beaulieu (Groupe de théologie contextuelle québécoise) Claude Chiasson (Réseau Culture et Foi), Élisabeth Garant (Centre Justice et Foi), Gérard Laverdure (Chrétiens et Chrétiennes dans la cité), Marilyse Lapierre (Centre Culturel Chrétien de Montréal), Gilles Leblanc (Présence magazine), Suzanne Loiselle (Entraide missionnaire), Richard Renshaw, Michel Rioux, Marcella Villalobos Cid


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