La campagne présidentielle française a un petit côté surréaliste. Voilà un homme qui nous avait habitués à une candidature permanente. Un président qui aura passé chaque instant de son quinquennat accroché aux sondages. Un leader qui multipliait les déplacements dès que sa cote de popularité semblait baisser. Un dirigeant qui, quand un enfant se faisait mordre par un chien, sortait aussitôt un projet de loi de sa poche. Un président qui aura mis en scène sa vie personnelle comme aucun autre avant lui. Voilà que cet homme qui n'a jamais cessé depuis cinq ans d'être candidat se retrouve à deux mois de l'échéance présidentielle... à ne pas l'être!
Décidément, Nicolas Sarkozy ne fait rien comme tout le monde. Il aura été le président de la transgression jusqu'au bout. François Mitterrand disait que l'art de la politique tenait tout entier dans la gestion du temps. Candidat quand il fallait être président, président quand il faudrait être candidat, Nicolas Sarkozy aura-t-il finalement passé tout son mandat à contretemps?
On croyait rêver en l'écoutant dimanche dernier s'exprimer sur six chaînes de télévision. L'homme semblait loin de son agitation habituelle. Le voilà qui prenait de la distance, se mettait à proposer des réformes impopulaires comme l'augmentation de la TVA et la négociation des temps de travail. Je crois presque l'avoir entendu prononcer le mot rigueur, que son premier ministre n'osait chuchoter que lorsqu'il était en voyage en Asie. Pour peu, le client du Fouquet's qui se faisait bronzer sur le yacht du milliardaire Vincent Bolloré aurait presque eu l'air d'un président.
Tout cela à 80 jours de l'élection présidentielle, alors même qu'aucun élu n'a plus la légitimité pour se lancer dans des réformes importantes. «Que ne l'eut-il fait plus tôt!», semblait se dire le téléspectateur lambda. L'ennemi principal de Nicolas Sarkozy, ce n'est pas François Hollande, qui mène une bonne campagne sans plus. C'est la saturation médiatique. Ces cinq années de transgression permanente des codes présidentiels semblent, pour l'instant, avoir provoqué une forme d'autisme dans la population. Dimanche, le président avait beau se faire pédagogue, personne ne semblait plus l'entendre.
Nicolas Sarkozy pourrait donc périr par où il a pêché. En cinq ans, n'a-t-il pas dit tout et son contraire? Le voilà entiché du modèle allemand alors qu'il s'était fait élire en se comparant à Margaret Thatcher. L'homme qui a libéré la Libye est bien le même qui avait reçu Kadhafi à Paris avec faste. Comment reprocher aux Français de ne pas saisir l'urgence d'augmenter la TVA alors que le même président l'avait diminuée de 14 points dans la restauration il y a deux ans à peine? Sarkozy devait être le président de l'«immigration choisie». Il y a trois semaines, son ministre de l'Intérieur faisait la chasse aux diplômés étrangers que l'on s'arrache partout ailleurs dans le monde.
N'importe quel président aurait commencé son mandat par des mesures difficiles, comme les réductions de budget. Cela aurait mis la France en meilleure posture face à l'Allemagne et permis de préparer les temps difficiles, comme aujourd'hui. Nicolas Sarkozy a fait exactement le contraire en suppliant Bruxelles, sitôt élu, de repousser la date de l'équilibre budgétaire et en dépensant ses rares surplus pour des mesures à courte vue, comme la défiscalisation des heures supplémentaires. En 2007, il avait demandé qu'on le juge sur sa promesse de réduire le chômage de moitié. Se pourrait-il que les Français l'aient finalement pris au mot?
On a beaucoup ironisé sur le candidat socialiste François Hollande qui s'était décrit comme un «président normal». Peut-être voulait-il se démarquer de la caricature dans laquelle sombre souvent Sarkozy. Le président a misé à tort sur un effondrement de l'ancien secrétaire du PS qui mène depuis des semaines dans les sondages. Or, les chiffres semblent pour l'instant figés dans le froid polaire qui s'abat ces jours-ci sur l'Europe.
Et pourtant, François Hollande ne fait pas de grandes étincelles. Pas le moindre coup médiatique comme son adversaire en a le secret. Le candidat socialiste n'a d'ailleurs toujours pas complètement démontré que la gauche avait enfin appris à gouverner sans dépenser plus. Mais il fait montre de réalisme face à la crise, refusant de promettre à tors et à travers. Il mène tout simplement une bonne campagne avec des propos sensés, biens sentis, faisant appel au sens du devoir et à l'intelligence. Et puis surtout, il redonne espoir aux Français qui, depuis cinq ans, n'ont entendu de la bouche de leur président que critiques et dénigrement systématique de leur pays.
Depuis quelques semaines, François Hollande est donc parvenu à s'imposer comme la solution de rechange à Nicolas Sarkozy, reléguant dans l'ombre le centriste François Bayrou qui avait grugé l'électorat de Ségolène Royal en 2007. Certes, rien ne sera joué avant le mois d'avril. Dans les deux mois qui viennent, le candidat socialiste pourrait manger son pain blanc. Une fois en campagne, Nicolas Sarkozy peut se montrer redoutable. Pour l'instant, son défi n'est pas de gagner, mais simplement de se faire entendre.
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