Natacha Polony à Marianne, la grande peur des rien-pensants

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« Un événement à la fois cohérent, réjouissant intellectuellement, et encourageant quant au mouvement de bascule qui s’opère actuellement dans la reconfiguration des rapports de force idéologiques français et européens »

Dans le paysage parfois ronronnant et convenu de la vie médiatique hexagonale, l’arrivée de Natacha Polony à la tête de l’hebdomadaire Marianne est un événement d’importance. Pour elle certes, qui ne l’aura pas volé après quelques traversées ponctuelles du désert pour délit de malpensance, – désert certes peuplé d’oasis rafraîchissantes comme le fut par exemple l’expérience récente de Polony.tv -, mais aussi pour tous ceux qui, de plus en plus nombreux, cherchent à accéder à une information non consensuelle, faite à la fois d’intelligence, de bon sens, d’honnêteté, de convictions et de rigueur.


Il n’est qu’à observer qui se désole de cette nouvelle pour comprendre que c’en est une excellente.


Le souverainisme, voilà l’ennemi


Les aigris, tout d’abord, qui, dénonçant depuis quelques années ceux qu’ils ont appelés les « éditocrates », se plaignent jalousement – et un peu piteusement, il faut bien dire – de ces journalistes qui leur font de l’ombre, plus talentueux qu’eux, prenant des risques, embrassant des spectres plus larges, n’ayant pas toujours le nez plongé sur le même guidon idéologique ou thématique, ne tapant pas toujours inlassablement sur le même clou, bref, proposant une vision large, libre et structurée. Cette critique, prétendument professionnelle et méthodologique, cache au demeurant fort mal ce qui en vérité l’anime : une allergie viscérale à toute forme de pensée qui ne soit pas formatée selon les critères socialement dominants du gauchisme culturel et de la pensée politiquement correcte. Qu’importe que sa cible soit de gauche républicaine, de droite molle ou dure ou croustillante, d’en haut ou d’en bas : quiconque osera émettre une analyse non conforme à la vision multiculturelle, européiste et social-démocrate libérale sera cloué au pilori pour délit de « populisme des deux bords » et délégitimé sans autre forme de procès.



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Natacha Polony, qui a construit son parcours d’une part sur la critique du pédagogisme dans le milieu éducatif dont elle est issue, et d’autre part sur le souverainisme qu’elle a politiquement défendu, représente donc avec quelques autres figures actuelles de la liberté de penser, d’informer et d’exprimer, en quelque sorte tout ce qui peut satisfaire les attentes d’une partie croissante, voire désormais majoritaire, du public français, constitué comme chacun sait de « Gaulois réfractaires » et autres « lépreux » animés de passions tristes. Elle incarne a contrario tout ce que les moralistes et représentants du vieux monde tant gauchistes que mondialistes (lesquels curieusement se retrouvent de plus en plus souvent dans le même lit sans même s’en apercevoir et tout en croyant sincèrement se détester) abhorrent. Pour cette catégorie d’individus, le souverainisme est l’abomination des abominations, le mal absolu, résurgence nauséabonde du nationalisme tant honni, symptôme hautement suspect du populisme identitaire, et il est également ce qui vient freiner la main invisible du marché qui n’aime rien tant que les flux d’argent, de marchandises et de gens réduits eux-mêmes au statut de marchandises, toutes frontières abolies. Dans ce système dogmatique ultra-simpliste, le souverainiste est la nouvelle figure du fasciste passé de mode. Le souverainiste n’est pas même un adversaire politique : il est un ennemi.


Trop à gauche pour certains libéraux, trop à droite pour certains gauchistes, trop femme dans un milieu empli d’hommes, certes féministes bon-teint mais pas franchement prompts à céder leur place au sommet dès lors qu’ils s’agit de leur propre carrière, trop libre de penser dans un environnement qui n’aime rien tant que les catégories bien définies… : on comprend que la nomination de Natacha Polony réjouisse tous ceux qui, précisément, sont avides d’une réflexion à la fois pertinente et impertinente, dans un paysage politique où l’on observe que des bouleversements tectoniques fondamentaux sont en cours et dont on discerne bien que c’est le regard porté sur l’Union européenne et la souveraineté des peuples qui en sera l’élément déterminant.


Est-ce que j’ai une tête de complosphère, moi ?


La curieuse diatribe de Bernard Schalscha dans la revue de Bernard-Henri Lévy, La règle du jeu, représente probablement le parangon le plus abouti de tout ce que cette nomination peut susciter de jalousies, d’aigreurs, de mauvaise foi et d’élucubrations idéologiques mêlés. Animé d’une sorte d’effroi catastrophé, notre héros de la social-démocratie visiblement en grand péril, n’hésite pas à rapprocher Natacha Polony de toutes sortes de dangers « anti-démocratiques » (énoncés comme tels dès le sous-titre de l’article), ne reculant devant aucun raccourci grossier, allant jusqu’à mettre sur le même pied l’incontestable professionnelle qui lui fait manifestement si peur et le délirant Alain Soral, le tout en prenant appui sur le fait que tout ce petit monde appartiendrait à la même « sphère » des réinformateurs, entendez par-là qui contestent les évidences dans le monde de l’information.


Quoi de plus simple, alors, pour disqualifier un confrère, que de le comparer à un illuminé extrémiste notoire au simple motif qu’il ne se contente pas de considérer ce qu’on lui donne comme étant vrai ? Du reste, pourquoi ne pas aller jusqu’à inclure Descartes dans cette « complosphère », lui qui parmi les premiers révoquait tout en doute, n’acceptant pas les opinions courantes et les informations évidentes comme argent comptant ? Descartes et Soral, même combat, et Socrate est un chat, non ? Nous voici donc plongés avec frayeur dans ce que l’auteur, manifestement en grande panique, nomme la « complosphère » (que l’on peine à énoncer sans pouffer de rire et dont on croit comprendre qu’elle reprend le flambeau de la fameuse fachosphère un peu tombée en désuétude), visiblement saisi lui-même d’une crise aigüe du complotisme qu’il dénonce. Complosphère, fachosphère, russosphère… : il en ressort que ce type de détracteurs a un goût visiblement prononcé pour les raisonnements sphériques ou circulaires, ce qui expliquerait qu’ils finissent par tourner en boucle avec leurs obsessions telles des toupies.


Natacha Novitchok


L’auteur ne reculant devant aucune contradiction logique n’hésite du reste pas à instiller le venin qu’il croit combattre : le nouveau propriétaire de Marianne, riche milliardaire tchèque, représenterait-il un danger pour la souveraineté du journalisme hexagonal, souverainisme par ailleurs constamment critiqué ? Qu’est-ce qui, dès lors, poserait soudain problème dans cette prise de capital ? Le fait que l’investisseur soit tchèque ? Proximité avec les pays de l’Est ? Crise soudaine d’ostophobie ?  Il y aurait, croit-on comprendre, de bons investisseurs étrangers, et des mauvais, un Ukrainien poutinophobe par exemple serait-il plus fréquentable ? Dans ce curieux bricolage conceptuel, les Russes, les Tchèques, ne seraient, semble-t-il, pas en odeur de sainteté… On finit d’ailleurs même par se demander si Natacha Polony ne porte pas dans son nom même le poison cher aux espions venus du froid, le fameux polonium, à défaut qu’elle ne se soit appelée Natacha Novitchok, ce qui eût tout de même été plus clair quant à ses intentions véritables.


Bref, de tout ce salmigondis effarant sur le plan de l’argumentation mais dans lequel on comprend bien que l’ennemi c’est l’information libre (soit la ré-information), on ressort confirmé dans la conviction que cette arrivée d’une femme de qualité, libre-penseuse et souverainiste pour incarner la ligne républicaine de Marianne est un événement à la fois cohérent, réjouissant intellectuellement, et encourageant quant au mouvement de bascule qui s’opère actuellement dans la reconfiguration des rapports de force idéologiques français et européens.