André Larocque, Roméo Bouchard et Frédérik Habel
Un peuple est comme un arbre : il s’enracine dans un territoire déterminé, il construit son tronc et ses branches à travers son histoire et il s’exprime par une langue commune, qui, comme un grand feuillage, lui permet de respirer l’énergie du soleil et d’entrer en rapport avec tout ce qui l’entoure.
La langue commune d’un peuple ne peut être dissociée de son identité comme peuple, comme nation et comme État. Un peuple ne peut vivre sans langue commune, mais également, la langue commune ne peut survivre sans l’attachement à la nation. C’est pourquoi d’ailleurs chaque nation imprime à sa langue une couleur et une vie qui lui sont propres.
Ce qui menace notre langue commune, présentement, ce n’est pas l’anglais comme tel, mais la mondialisation économique et culturelle, et l’effacement des nations qu’elle génère, au profit d’une culture numérique mondiale de divertissement et de bien-être matériel. Ce qui est en péril, surtout chez un petit peuple enclavé comme le nôtre, c’est l’attachement et l’engagement envers une identité nationale et une citoyenneté distincte et commune.
C’est pourquoi nous pensons que tous les efforts pour revaloriser l’usage de notre langue commune risquent d’échouer s’ils ne s’enracinent pas dans une réappropriation de notre identité comme peuple, comme nation et comme État national. Céder à la pression de l’anglicisation, c’est se détacher affectivement et intellectuellement de notre identité historique et de notre citoyenneté québécoise.
Ce qu’il faut réveiller et consolider, si nous voulons revaloriser l’usage de la langue québécoise commune, c’est notre identité, dans ses fondements mêmes.
Or, un peuple, une nation, un État national se définit et se constitue politiquement par une constitution. Et nous n’en avons pas. Nous ne sommes constitués, comme peuple, comme nation et comme État national, que de bribes de dispositions constitutionnelles éparses, héritées de notre passé colonisé, que nous n’avons jamais approuvées et qui ne collent pas à ce que nous sommes. La Constitution canadienne de 1982, nous lie sans nous constituer, car elle n’a jamais été approuvée par le peuple ni le gouvernement du Québec.
Nous sommes, les Québécois, des « sans-papiers » — un peuple sans constitution, une province minoritaire dans un pays multiculturel, égarés au milieu d’un pays et d’une Amérique qui ne parlent pas notre langue. Nous n’avons pas de carte d’identité, ni de citoyenneté officielle, ni de titres de propriété : nous sommes soumis à l’arbitraire de la loi commune britannique, nous sommes une démocratie sans le peuple, où nous ne décidons pas.
L’essentiel de notre message, c’est l’urgence de nous doter, comme peuple, nation et État québécois, d’une Constitution qui nous définisse tels que nous sommes et tel que nous voulons être comme Québécois, en 2023.
Et dans notre esprit, une telle constitution ne peut être écrite que par le peuple québécois lui-même, dans sa totalité. La Consultation pour alimenter la réflexion sur l’avenir de la langue française, qui a pris fin le 30 avril dernier, doit être le fruit du meilleur consensus possible et réalisable auquel parviendront l’ensemble des Québécois d’aujourd’hui, sur le statut, les institutions et les choix politiques du Québec.
En conséquence, nous demandons à l’Assemblée nationale du Québec de convoquer, d’ici le 1er janvier 2024, une assemblée constituante citoyenne non partisane, représentative de la population et du territoire québécois et entièrement libre de ses délibérations — donc, idéalement, tirée au sort —, mandatée pour consulter la population et proposer le texte d’une première constitution québécoise, où seront définies les modalités de notre souveraineté politique et de notre rapport avec le Canada et le monde, texte qui devra être soumis tel quel à un référendum populaire avant la date prévue des prochaines élections du Québec.
Mon Peuple « pas souverain »/Mon pays « pas à nous »/Ma nation « sans papiers »/J’en appelle à toi !/Congédie sans pitié les faiseurs d’élections/Convoque sans tarder l’Assemblée populaire/Qui écrira de sa main nos droits et nos choix/La Charte qui nous guidera/La Constitution qui nous définira/Les papiers qui nous légitimeront/Et nous permettront de dire au monde entier, dans notre langue/Qui nous sommes et de quoi nous rêvons.