Dans un livre publié tout récemment aux éditions Connaissances et savoirs, l'essayiste et militant pour la laïcité François Doyon analyse le parcours de quatre principaux philosophes québécois ayant fait de la défense des religions leur principal cheval de bataille. Après la préface d'un Normand Baillargeon, plus lucide que jamais, mettant en garde ses contemporains contre le virage proreligion d'une certaine partie de la gauche, la table est mise: Doyon s'attaque méthodiquement à déconstruire un discours de plus en plus présent dans les universités.
Doyon part d'un constat très clair: «les philosophes québécois refusent de plus en plus la tâche de critiquer rationnellement les religions». Selon lui, non seulement une majorité d'intellectuels pensent que l'islamisme ne constitue pas une menace, mais croient aussi qu'il faut laisser toute expression religieuse être manifestée publiquement. Pour nous en convaincre, l'auteur décortique la pensée de Michel Seymour, Georges Leroux, Charles Taylor et Jean Grondin.
François Doyon considère ces quatre philosophes comme des figures emblématiques d'une certaine gauche qui «ne laisse jamais passer un attentat djihadiste sans en profiter pour traiter ceux qui critiquent l'islam de racistes». Avec citations et références à l'appui, Doyon montre que la montée de l'islamisme ne s'accompagne pas d'une remise en cause des pratiques et doctrines religieuses pouvant instiller la haine, mais d'un traitement préférentiel en faveur des religions.
Car «chaque fois qu'une tuerie ou un attentat est commis par des individus sincèrement persuadés d'agir au nom d'Allah, il se trouve des gens pour dire automatiquement que ces criminels ne se réclament pas du vrai islam». Chez plusieurs de nos intellectuels respectés qui occupent souvent des postes importants, on ne veut jamais reconnaitre que la religion puisse agir comme principal vecteur de radicalisation. Plus encore, on refuse aussi de penser que la morale puisse être séparée de la religion. François Doyon refuse de voir ses collègues tolérer l'intolérance au nom du vivre-ensemble.
Quand tous les nationalistes québécois sont lâchement associés à la terrible tuerie survenue à la moquée de Ste-Foy, toutes les raisons sont bonnes pour empêcher les représentants de la religion musulmane de s'adonner à une remise en question. L'un des grands mérites de cet ouvrage est de dresser les contours de toute cette dynamique du «deux poids deux mesures» qui inspire actuellement un bon nombre de nos politiciens dans leurs décisions.
Doyon pointe donc la responsabilité de Seymour, Leroux, Taylor et Grondin dans l'interdiction de critiquer un islam que de plus en plus de musulmans eux-mêmes souhaitent pourtant réformer.
Au lieu d'encourager la modernisation de la religion musulmane, ces penseurs contribuent à la rendre intouchable.
Au lieu d'encourager la modernisation de la religion musulmane, ces penseurs contribuent à la rendre intouchable. Paradoxalement, plusieurs de nos intellectuels «progressistes» adopteraient ainsi une posture ultraconservatrice. Probablement sans même le réaliser, ils travailleraient à renforcer une interprétation orthodoxe ou même rigoriste des textes sacrés. D'ailleurs, comme le rappelle l'auteur, le contenu du cours Éthique et culture religieuse (ECR) conçu par le Ministère de l'Éducation témoigne de cette grave dérive.
Au lieu d'engendrer des questionnements légitimes sur la manière dont certains croyants peuvent pratiquer leur religion, François Doyon observe que les attentats terroristes commis au nom de Dieu ont pour effet de détourner complètement ces philosophes des vrais enjeux. Est-ce la peur qui les motive?
Enfin, il aurait pu être intéressant d'analyser la pensée d'une autre figure de proue de ce virage proreligion: celle du professeur Jocelyn Maclure. Ceci dit, Les Philosophes québécois et leur défense des religions de François Doyon est un livre essentiel à la juste compréhension des débats actuels entourant l'identité et la laïcité.
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