Les Bernier en Beauce, un « deux pour un » qui dérange

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La carrière politique de Mad Max facilitée par celle de son père


« Il faut vraiment y aller, monsieur Bernier, vous êtes attendu ».




Une employée du bureau électoral de Maxime Bernier, à Saint-Georges, regarde sa montre. Il est temps de repartir sur le terrain rencontrer des électeurs et serrer des mains.


Gilles Bernier dépose un léger baiser sur les lèvres de son épouse. Sois prudent sur la route, lui souffle-t-elle. Ces deux-là sont mariés depuis 62 ans et n’en sont pas à leur première campagne électorale.


On fait cela depuis 1984. Faut aimer ça, on ne compte pas les heures, dit doucement Doris Rodrigue-Bernier.



À 85 ans, Gilles Bernier est un personnage légendaire en Beauce. Il a été morning man à la radio locale pendant 30 ans. Sa voix est familière, elle inspire confiance. Son fils Maxime a 22 ans lorsqu'il fait le saut en politique aux côtés de Brian Mulroney. C’était en 1984. Gilles Bernier sera élu pour trois mandats consécutifs.


La notoriété de Bernier père est toujours bien vivante, même s’il n’est plus en politique active depuis belle lurette. Dans un café où je suis attablée à l'entrée de la vallée de la rivière Chaudière, l’enseigne « Bernier et fils » est bien connue et fait jaser. Tout un chacun a son anecdote à raconter.


Monsieur Gilles a rendu service à ma sœur pour obtenir une bourse d’études, me raconte une serveuse. Monsieur Gilles m’a aidée quand j’étais jeune à me dépatouiller avec le bureau de chômage, me relate une cliente. Un autre lève la tête : Maxime? Mettons que son père était là avant lui! Un autre : Quand ma mère est morte, Gilles est venu au corps...



Contre deux Bernier


Richard, tu ne te présentes pas contre Maxime, tu te présentes contre Gilles...


Richard Lehoux, 63 ans, est candidat du Parti conservateur du Canada en Beauce. Il raconte que, sur le terrain, il a souvent entendu des gens lui dire que son véritable adversaire n’était pas Bernier le fils, mais le père.


Richard Lehoux et Andrew Scheer, sourient en se tenant la main, les bras dans les airs.

Le candidat Richard Lehoux et le chef conservateur Andrew Scheer, le 3 novembre 2018.


Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot




Gilles fait campagne activement. Je le vois plus sur le terrain que son fils. Faut que je travaille en double parce que je me présente contre deux Bernier, explique-t-il sur un ton moqueur. Il ajoute sur un ton plus sérieux : Je dois souvent rappeler à des électeurs que c’est Maxime qui est candidat, pas son père. Je trouve qu’il y a de quoi qui marche pas tout à fait là-dedans.


Dans la galerie des personnalités beauceronnes, Richard Lehoux n’est pas une petite pointure. À la ferme familiale, il a élevé des vaches laitières que son entreprise a exportées dans près d’une trentaine de pays. Il a été maire de sa municipalité, Saint-Elzéar de 1998 à 2017 ainsi que président de la Fédération québécoise des municipalités de 2014 à 2017.


M. Lehoux raconte que c’est Gilles Bernier qui lui a vendu sa première carte de membre du Parti conservateur lorsqu’il était jeune. Il évoque une conversation difficile avec Bernier père avant de faire le saut contre son fils. Avant l’investiture, il m’a dit : "J’espère que tu ne vas pas te présenter contre Maxime". Je lui ai rappelé que c’est lui qui m’avait convaincu de devenir conservateur et que ce n’est pas de ma faute si, comme on dit chez nous, Maxime a viré son capot de bord.


En claquant la porte du Parti conservateur pour créer un nouveau parti aux positions plus tranchées, notamment en matière d’agriculture, Maxime Bernier a déstabilisé la carte politique en Beauce.


Le chef du Parti populaire du Canada propose notamment d’en finir avec la gestion de l’offre dans les industries du lait et du sirop d’érable, ce qui donne des munitions à son adversaire conservateur auprès du milieu agricole. Dans la circonscription de Beauce, l’agriculture emploie 3000 personnes et représente 20 % du PIB.


Ce que propose Maxime, c’est de fragiliser un système qui assure aux producteurs agricoles des revenus décents en les mettant à l’abri des caprices des acheteurs, estime Richard Lehoux.


Maxime Bernier sur le plateau du « Téléjournal », dans les bureaux de Radio-Canada, à Montréal.

Le chef et fondateur du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier.


Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers




Notre dossier Élections Canada 2019

Le plus fort, c’est le père?


Le petit matin est blême et l’air est cru en ce début d’octobre. À 36 ans, le candidat libéral Adam Veilleux se livre à un débat en « face-à-face » avec Maxime Bernier à la radio locale. Il attaque le chef du PPC sur sa promesse d’abolir la gestion de l’offre. M. Bernier parle plutôt de cartel.


Lorsque les deux candidats sortent du studio, je demande à M. Veilleux s'il a l’impression, lui aussi, de devoir faire affaire avec deux Bernier. La réponse fuse. Ça me dérange beaucoup, admet-il. Gilles est plus présent sur le terrain que Maxime. Moi, je trouve que cela pose un problème d’éthique.


Dans le hall d’entrée d’une entreprise où Maxime Bernier va serrer des mains, nous bavardons un moment. Le député sortant avoue candidement : Moi, quand j’étais jeune, je ne rêvais pas de faire de la politique.


Avant de se lancer, Maxime Bernier a étudié en droit et en commerce. Il a été vice-président de l’Institut économique de Montréal et a œuvré comme conseiller économique de Bernard Landry. Mais tout a changé lorsque Stephen Harper lui a fait un appel de phare. M. Bernier est rentré en Beauce et s’est fait élire pour la première fois en 2006.


Quand je me suis présenté pour la première fois, mon directeur de campagne m’a dit : "Tu as un nom, mais tu n’as pas de prénom", se souvient l’héritier Bernier. Même si, aujourd’hui, tout le monde connaît Maxime, le fils est conscient de la prime à l’urne que constitue son patronyme.



Les gens me disent : on a toujours voté pour ton père, on a toujours voté pour toi, on va continuer. Ça m’a toujours aidé dans ma carrière politique.


Maxime Bernier, chef du Parti populaire du Canada


Comme chef d’un nouveau parti, il livre sans aucun doute sa campagne la plus incertaine depuis son entrée en politique. C’est évident que je ne gagnerai pas avec 67 % des voix, mais je suis confiant de l’emporter, on va surprendre bien des gens, déclare, l’air décidé, Maxime Bernier.


Comme on dit au hockey, si Maxime marque un but, ce sera beaucoup grâce à une passe sur la palette de Gilles. Et le père est très fier de jouer dans l’équipe de son fils. Il a réussi à créer un nouveau parti. Faut le faire. Maxime m’a aidé quand il était étudiant. Je l’aide à mon tour. Et si je suis encore de ce monde dans quatre ans, je vais encore l’aider dans sa campagne.




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