Les Belles-Sœurs (1968)

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Encore le débat sur le joual qui refait surface






Le 28 août 1968, le joual fait irruption dans la dramaturgie québécoise, avec la première des Belles-Sœurs de Michel Tremblay au Théâtre du Rideau Vert. Ça y est: les Mont­­réalais du Plateau, longtemps avant qu’ils ne s’embourgeoisent, peuvent s’entendre. Les personnages de la pièce s’expriment naturellement. Exactement – ou presque – comme dans la rue ou la cuisine. La pièce de Tremblay, tenue pour un chef-d’œuvre, est jouée partout dans le monde. Bravo!




Pour ne pas demeurer en reste, la ville de Québec aura son propre petit scandale du genre deux ans plus tard, avec son «Vous êtes pas écœurés de mourir bande de caves! C’est assez!» du poète Claude Péloquin, qui orne la muraille du Grand Théâtre.




La norme est aujourd’hui d’applaudir ce grand moment de «libération de la parole», mais, comme George Dor, je suis très critique. On a ouvert la boîte de Pandore du joual et, par le fait même, de l’anglicisation qui l’accompagne forcément.




Pendant les pires périodes de notre sujétion humiliante au pouvoir anglais, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, quand le vocabulaire courant s’imbibait de mots anglais, au point que les gens du peuple ne connaissaient même pas leur équivalent en français, il a fallu déployer un gigantesque effort de redressement et de fierté linguistique, avec les grandes campagnes de «bon parler français».




Pour ma part, j’ai été sauvé – je n’ai pas peur de le dire – par un de ces missionnaires de la haute culture, qui m’a fait apprendre le théâtre et qui m’a tiré de la petite vie d’ouvrier dans laquelle je m’enfermais. La culture m’a sauvé du sort qui m’attendait.




La culture se la joue «peuple»











Présenter des femmes du peuple en train de coller des timbres cadeaux et de potiner, c’est un coup de génie. Michel Tremblay maîtrise l’art de rendre la conversation réelle du peuple... avec ses manières très, très peu académiques.




Photo courtoisie des Archives municipales de Montréal


Présenter des femmes du peuple en train de coller des timbres cadeaux et de potiner, c’est un coup de génie. Michel Tremblay maîtrise l’art de rendre la conversation réelle du peuple... avec ses manières très, très peu académiques.





Alors, ne me demandez pas d’applaudir quand la culture se la joue «peuple»... Riez tant que vous voulez du maniérisme précieux des orthodoxes du français qui «perlaient» impeccablement! C’est ce français, sa discipline, qui m’a ouvert sur le monde... Beaucoup plus que l’Expo 67. Bref, je veux bien reconnaître que la pièce Les Belles-Sœurs est un chef-d’œuvre, mais elle a donné aux jeunes élites progressistes le sentiment de s’approprier la réalité populaire et de la nommer.




Quant au peuple, cette ivresse du joual, il vit dedans en permanence. Maintenant, le franglais s’impose comme jamais et nous sommes censés applaudir... Le joual? C’est devenu la norme. La prononciation? Elle s’est relâchée. Il suffit d’écouter les émissions de Radio­­­-Canada, où des humoristes ricanants empochent des millions et imposent leur morale réductrice, en lieu et place des Beaux-Dimanches qui nous élevaient par la culture, ou une autre émission d’humour qui se complaît à rire de Mathieu Bock-Côté parce qu’il ne parle pas joual.




Les politiciens essaient de sembler naturels en parlant mal. Voilà le piège dans lequel nous sommes tombés. À ma connaissance, aucun autre pays du monde n’a chuté aussi bas. Pour prendre un exemple très proche de nous, aux États-Unis, le président doit s’exprimer avec une certaine éloquence, pour donner l’exemple... et non pas faire le pitre.



— Avec la collaboration de Louis-Philippe Messier


 




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