Près de 11 ans après la création de la Commission Bouchard Taylor, le projet de loi 62, favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes, a été adopté, dans la controverse, le 18 octobre 2017.
Une loi inapplicable
Malgré son titre pompeux, le projet de loi ne porte même pas sur la neutralité religieuse de l’État. Il ne vise qu’à « favoriser le respect de cette neutralité ». L’État ne s’oblige à rien. Bien au contraire, il s’en lave les mains en faisant porter le fardeau de la preuve aux gestionnaires des organismes publics.
On est donc loin de la laïcité à laquelle nous avait conviés la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (Bouchard-Taylor, en 2008).
On est également loin du consensus qui s’était dégagé du rapport de la Commission, « Fonder l’avenir : le temps de la conciliation », rendu public, il y a 10 ans, et qui constatait qu’« il existe un large consensus au Québec quant à la nécessité de préciser les balises ou les lignes directrices » permettant d’outiller les responsables du secteur public et parapublic en matière de gestion de la diversité religieuse.
Jugée totalement inutile et inapplicable, c’est sans surprise que la loi 62 a été votée, à l’Assemblée nationale, par les seuls députés libéraux, contre l’avis des élus des oppositions.
Et comme on pouvait s’y attendre, aussitôt adoptée, elle a été contestée devant les tribunaux, le 7 novembre 2017, et son article principal a été suspendu, le 1er décembre de la même année, par la Cour supérieure, en attendant que le gouvernement dévoile les lignes directrices qui présideront à son application.
Or, « les premières lignes directrices portant sur le traitement d’une demande d’accommodement pour motif religieux », rendues publiques par le gouvernement Couillard, le 9 mai dernier, n’apportent aucun élément nouveau à ce que nous savons déjà. La montagne libérale a donc accouché d’une souris.
L’enjeu, c’est la laïcité
C’est que la notion d’accommodement raisonnable a été bien définie par les tribunaux et la jurisprudence. D’ailleurs, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse lui consacre une section complète, largement documentée, sur son site internet.
On peut même y consulter, depuis 2012, un Guide sur le traitement d’une demande d’accommodement avec des balises claires et une foule d’informations utiles pour les demandeurs d’accommodement et les employeurs.
Or, tout ce que propose le gouvernement Couillard, après des années de tergiversations, c’est une fuite en avant. Quand il n’agite pas les signes religieux pour instrumentaliser le vote ethnique, il défonce des portes ouvertes avec sa loi 62 et ses lignes directrices, alors que le véritable enjeu, c’est la laïcité.
Ce faisant, il renie l’héritage du Parti libéral du Québec en matière de séparation de l’Église et de l’État et cherche à noyer le poisson en expédiant aux calendes grecques un enjeu majeur qu’il s’est pourtant engagé à régler.
Rien de rassurant pour les gestionnaires des organismes publics, laissés à leur seul libre arbitre pour trancher, cas par cas, des questions complexes et sensibles qui dépassent leurs compétences.
La réaction du Syndicat de la fonction publique et parapublique est tout à fait justifiée quand son président, Christian Daigle, estime que les agents de l’État nagent dans le flou.
Seule l’introduction de dispositions législatives claires dans la charte québécoise des droits et libertés, définissant l’État du Québec comme étant un État laïque, lèvera l’hypothèque sur ce débat mal engagé et posera les jalons d’une véritable laïcité. Le reste suivra.