La Presse samedi 18 mars 2006
--------------------------------------------------------------------------------
La décision de l'Union européenne de ne reconnaître le référendum sur l'indépendance du Monténégro que si le projet récolte l'appui de plus de 55 % des électeurs de ce pays a réactivé le débat sur notre propre référendum. Cette décision européenne peut-elle constituer un précédent pour le Québec?
Le débat est théorique. Parce qu'il est loin d'être évident que les Québécois seront conviés dans un avenir raisonnablement rapproché à un référendum sur leur avenir, et encore moins que cette éventuelle consultation puisse donner une majorité à la souveraineté.
Mais en fait, c'est une aimable discussion sur le sexe des anges. On peut ergoter comme on veut sur les normes internationales, sur les règles démocratiques, sur la souveraineté de l'Assemblée nationale, ce qu'il faut se demander, c'est quel est le niveau d'appui dont les forces souverainistes auront vraiment besoin pour bâtir avec succès un nouveau pays. Ce débat, le vrai, on l'évite comme la peste au pays du non-dit.
Il n'existe pas de normes juridiques ou politiques internationales sur ce qu'est le degré d'adhésion nécessaire pour légitimer un processus de sécession. Le fait que les pays européens aient mis la barre si haute pour le Monténégro constitue certainement un cas particulier, qui s'explique par la fragilité politique de cet État et par l'absence d'enthousiasme face à la perspective d'une balkanisation accrue de cette région.
C'est ce qui a permis à classe politique québécoise, toutes options confondues, de réaffirmer avec empressement son adhésion à la règle du 50 % des voix plus une. Ouf! Le consensus québécois est intact. Mais le dossier n'est pas clos pour autant.
Bien des analystes, tout en adhérant à cette règle du 50 %, ajouteront que la reconnaissance d'une victoire référendaire dépendra beaucoup du contexte politique et social dans lequel s'est déroulé ce référendum. Mais encore? Concrètement, qu'est ce que cela signifie? Une victoire à l'arraché du camp du OUI, aux alentours de 50 %, constituerait certainement un résultat désastreux, qui ne permettrait pas aux forces souverainistes de recueillir l'adhésion au Québec et la reconnaissance hors du Québec nécessaires pour créer un nouveau pays dans des conditions favorables.
Il y a un précédent très convaincant. Et c'est quand le NON l'a emporté de justesse au référendum de 1995. Comment cet appui à 50,1 % au maintien du lien fédéral a-t-il été interprété? Personne n'a conclu que le peuple du Québec avait alors fait le choix du Canada. Et cette victoire n'a pas convaincu les perdants de se rallier à la volonté majoritaire. Bien au contraire, fortes de leur quasi-victoire, les forces du OUI étaient prêtes à se remettre à l'ouvrage.
C'est exactement la même chose qui se passerait avec une victoire du OUI à une très faible majorité. Cette victoire fragile serait en quelque sorte dans la marge d'erreur, assez pour qu'une petite fraude électorale ou un hasard politique fasse basculer le résultat. En fait, le choix d'un peuple reposerait sur un coup de dés. Et le fait que l'électorat soit coupé en deux ne permettrait pas de conclure qu'il existe au Québec un élan consensuel en faveur d'un nouveau pays.
J'imagine d'ici l'indignation de beaucoup de souverainistes, qui auront tendance à voir une victoire du OUI comme sacrée et irréversible et qui ne sont pas à l'aise avec l'idée que les mêmes règles politiques s'appliquent dans les deux cas.
Mais il me semble évident qu'une victoire courte montrerait que les leaders souverainistes n'ont pas suscité de véritable élan populaire. Que cette profonde division de l'électorat n'imposerait pas l'obligation morale à ceux qui ont voté NON de se rallier au camp victorieux. Cet appui fragile rendrait aussi la tâche difficile pour qu'un gouvernement puisse passer avec succès à travers un processus d'accession à la souveraineté nécessairement cahoteux et qu'il puisse établir un bon rapport de forces dans ses négociations avec le reste du Canada.
Un référendum serré, c'est ouvrir la porte, comme après 1995, à un mouvement qui mènerait à un autre référendum, celui-là dans l'autre sens. Foncièrement, il décrirait la même impasse qu'en 1995. En fait, la règle du jeu est la même pour les deux camps: il faudra beaucoup plus qu'une victoire à 50 % pour mettre un point final à ce débat et conclure que le Québec a fait son choix incontestable et irréversible.
Voilà pourquoi il faudra, s'il y a référendum, que le camp souverainiste recueille pas mal plus que 50 % des voix, et qu'il s'approche le plus possible de la marque de 55 % des voix. C'est certainement ce que la plupart des leaders souverainistes savent pertinemment, qu'ils discutent probablement entre eux, mais qu'ils n'admettront jamais en public.
Adubuc@lapresse.ca
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé