Il y a vingt ans, l’OLP a solennellement renoncé à la lutte armée. Avalisant les accords d’Oslo, elle a troqué une paix factice contre une autonomie illusoire (Voir : « Le processus d’Oslo : la paix pour un plat de lentilles »). Prise au piège d’une négociation inégale, elle a tout concédé dans l’espoir d’une contrepartie qui n’a jamais vu le jour. Elle s’est alors enfermée dans un légalisme d’autant plus pernicieux que son « partenaire » israélien n’en avait cure. Devant l’évidence de ce marché de dupes, Mahmoud Abbas entend désormais faire feu de tout bois, sans transgresser la ligne rouge dont le respect lui garantit le versement de l’aide occidentale.
Spectatrice impuissante des affrontements entre l’occupant israélien et la résistance armée au cours de l’été 2014, la présidence palestinienne a décidé de mener une offensive diplomatique d’envergure. Faute d’affronter l’adversaire sur le terrain, elle espère obtenir gain de cause sur le plan juridique, en faisant valoir les droits d’un peuple victime de l’occupation et de la colonisation. Face à un Etat qui bafoue sans vergogne toute légalité internationale, il va sans dire que l’initiative palestinienne est parfaitement légitime. Mais quelles sont ses chances de succès ?
Sans équivoque, les USA ont déjà manifesté leur opposition à deux reprises. Le 29 décembre 2014, Washington a voté contre le projet de résolution présenté au Conseil de sécurité de l’ONU prévoyant la signature d’un accord de paix d’ici un an et le retrait des territoires occupés d’ici 2017. Aussitôt après, le 18 janvier 2015, la Maison blanche a dénié toute légitimité à la saisine palestinienne de la Cour pénale internationale pour les crimes commis à Gaza, au motif que « la Palestine n’est pas un Etat souverain ». La politique américaine ne déviant pas de son orientation coutumière, le sort de l’initiative palestinienne paraît scellé d’avance.
Se contentant de reproches sans lendemain et d’admonestations sans effet, Washington n’a jamais rien fait contre la colonisation israélienne. En dépit des espoirs naïfs suscités en 2008, Barack Obama a joué à la perfection le rôle du parfait zélateur des intérêts israéliens auquel semble se résumer celui du président des Etats-Unis dans la région. Affirmant dès sa première campagne électorale que « Jérusalem réunifiée » demeurerait la « capitale éternelle d’Israël », il avait d’ailleurs fourni des gages suffisants aux dirigeants d’un Etat capable d’infléchir, par le truchement d’un puissant lobby, le résultat des élections américaines.
Quant à l’Etat d’Israël, non seulement il est l’objet des touchantes sollicitudes d’outre-Atlantique, mais il s’affranchit d’autant mieux de la légalité internationale qu’il croit puiser sa légitimité à d’autres sources : la dévolution biblique de la Palestine au peuple d’Israël et l’héritage moral de la Shoah. Il convient de le rappeler : le tour de force idéologique réalisé par le sionisme, depuis 70 ans, c’est d’avoir prétendu sanctifier une conquête coloniale en la revêtant des oripeaux, à la fois, d’une religion biblique inscrite au patrimoine de l’Occident et d’une conscience universelle meurtrie par les horreurs du génocide.
Ce n’est donc pas pour le folklore que Benjamin Netanyahou vient régulièrement psalmodier l’Ancien Testament devant le Congrès américain. S’adressant aux représentants d’une nation qui s’attribue une « destinée manifeste », il ne manque jamais d’évoquer la mythologie commune d’une double élection, celle du peuple hébreu et celle du peuple américain. Comme si les deux nations pionnières se trouvaient réunies dans une même foi inébranlable en Dieu et en elles-mêmes, il les convie à s’unir contre les forces du mal, identifiées à cet islamisme radical dans lequel il prétend voir l’essence même de la revendication palestinienne.
Mais la connivence religieuse avec une Amérique protestante imbibée de culture biblique ne suffit pas. La référence obligée à la mémoire de la Shoah est devenue aussi, entre les mains d’Israël et de ses alliés, une arme redoutable d’intimidation massive. Leur donnant quitus sur le plan moral, elle persuade les Israéliens que la violence qu’ils exercent contre les autres n’est entachée d’aucun opprobre. Elle range derechef, du côté du Bien absolu, un Etat juif qui serait né en réparation d’un Mal absolu. Assortie du soupçon d’antisémitisme, elle tétanise toute velléité critique.
En percutant le droit international avec le droit divin, Israël s’auréole, par conséquent, d’une sainteté qui rend caduc toute contestation profane. En invoquant l’incommensurable souffrance du peuple juif, il s’extrait pour de bon du droit commun des nations. Ravalé au statut de vaine paperasserie, le droit international se voit donc congédié sans ménagement, car jugé de mesure nulle devant l’éternité d’un destin singulier, celui du peuple élu, devant lequel les autres nations sont sommées d’abdiquer toute prétention fondée sur les règles habituelles.
Malheureusement, les démarches de la présidence palestinienne n’échapperont pas à ce double sortilège. Entre des Palestiniens trahis par la majorité des régimes arabes et un Etat d’Israël soutenu par l’Occident, la partie n’est pas égale. Verrouillé par le veto américain, le Conseil de sécurité de l’ONU est condamné à l’immobilisme. Pour la même raison, la Cour pénale internationale sera réduite à l’impuissance : Israël n’ayant pas signé le traité de Rome, elle ne pourrait déférer les dirigeants israéliens que si le Conseil de sécurité le décidait. Comment le ferait-il puisque les USA y disposent d’un droit de veto ?
Aussi longtemps que l’Etat d’Israël bénéficiera du parapluie de l’hyperpuissance nord-américaine, l’invocation du droit international contre l’occupant sera donc comme le pot de terre contre le pot de fer. Faute d’une modification substantielle du rapport de forces, Israël ne renoncera jamais à son ambition fondatrice, énoncée en 1919 par Chaïm Weizmann, président de l’Organisation sioniste mondiale : « Ce que nous voulons, c’est que la Palestine soit juive comme l’Angleterre est anglaise ».
L’accomplissement du projet sioniste avait un prix à payer : il le fut par les autres, ces autochtones que le hasard avait placés malgré eux sur le chemin de la renaissance juive. S’autorisant d’une dévolution exclusive de la terre palestinienne au peuple juif, le sionisme est une entreprise coloniale dont la radicalité est délibérément occultée par le discours dominant. Mais son seul objectif, c’est de substituer un peuple à un autre. Le sionisme ne pratique pas l’épuration ethnique par un accident de l’histoire : c’est son essence même. Renaissance du peuple élu sur sa terre mythique, il signe simultanément l’arrêt de mort du peuple surnuméraire qui a l’audace d’y vivre.
Aussi les dirigeants israéliens le savent-ils pertinemment : mettre le doigt dans l’engrenage du droit international, c’est admettre publiquement la réalité de la spoliation accomplie depuis un siècle. Cinquante ans après la décolonisation de l’Asie et de l’Afrique, la Palestine occupée demeure alors la butte-témoin d’un colonialisme occidental qui divise l’humanité en sujets et en objets de l’histoire. Pour mettre fin à cette aberration historique, il faudra sans doute davantage que les batailles de procédure d’une présidence palestinienne réduite depuis longtemps à un rôle de figuration.
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