The New York Times, 19 septembre 2010, traduit par Jacques Beaumier
La colère balaie l’Amérique. Il est vrai que cette fureur déchaînée est un phénomène minoritaire qui n’est pas le propre de la plupart de nos concitoyens. Mais la minorité en colère, c’est tout de même de la colère de la part de gens qui pensent que les choses qui leur sont dues leur sont enlevées. Et ils sont prêts à se venger.
Non, je ne parle pas des partisans du Tea Party. Je parle du riche.
Les temps sont terribles pour beaucoup de gens dans ce pays. La pauvreté, la pauvreté aigüe a bondi depuis la récession; des millions de gens ont perdu leurs maisons. Les jeunes ne peuvent trouver d’emplois; les gens dans la cinquantaine mis à pied craignent de ne plus jamais travailler.
Plus encore, si vous voulez vraiment trouver de la colère politique – cette sorte de colère qui compare le Président Obama à Hitler, ou l’accuse de trahison – vous ne la trouverez pas parmi ces Américains affligés. Vous allez plutôt la trouver parmi les très privilégiés, des gens qui ne craignent pas de perdre leur emploi, leurs maisons, ou leur assurance santé, mais qui sont scandalisés, scandalisés à l’idée de payer modestement plus d’impôts.
La colère du riche s’est développée depuis que M. Obama est arrivé en poste. Au début, cependant, c’était largement limité à Wall Street. Ainsi, lorsque le New York Magazine publia un article intitulé Le gémissement du 1 % il s’agissait des spéculateurs financiers dont leurs établissements venaient de se faire rescaper par l’argent des contribuables, qui étaient furieux à l’idée que le prix de ce sauvetage devait inclure temporairement des limites à leurs bonus.
Quand le milliardaire Stephen Schwarzman a comparé une proposition d’Obama à l’invasion de la Pologne par les nazis, la proposition en question aurait mis fin à l’échappatoire fiscale qui profitait précisément à un gestionnaire de fonds comme lui.
Maintenant, toutefois, le temps approche où le sort des réductions d’impôts accordées par Bush – est-ce que les taux d’imposition retourneront au niveau de l’époque Clinton? – la colère du riche prend de l’ampleur, et aussi, en quelque sorte s’est transformée.
Une chose est sûre, la folie s’est propagée. C’est une chose quand un milliardaire fulmine pendant un dîner. S’en est une autre quand le magazine Forbes présente en première page un reportage qui prétend que le Président des États-Unis tente délibérément d’abaisser l’Amérique selon un plan « anticolonialiste » kényan, que « les É.U. sont dirigés selon le rêve d’un membre de la tribu Luo des années 1950. » Quand vient le temps de défendre les intérêts du riche, il semble que les règles normales de la discussion civilisée (et nationale) ne s’appliquent plus.
Au même moment, l’apitoiement parmi les privilégiés est devenu acceptable, à la mode même.
Les partisans des baisses d’impôts avaient l’habitude de prétendre que leur principale préoccupation était de venir en aide aux familles typiques américaines. Même, les déductions d’impôts pour le riche étaient justifiées en termes de retombées économiques, en soutenant que des impôts moins élevés au sommet renforceraient l’économie pour tous.
Ces jours-ci, cependant, les partisans des baisses d’impôt n’essaient même pas d’utiliser l’argument de la retombée économique. Oui, les Républicains essaient bien de pousser l‘idée que les hausses d’impôts au sommet affecteraient les petites entreprises, mais le coeur n’y est pas. Il est plutôt devenu courant d’entendre que les gens faisant 400,000$ ou 500,000$ par année ne sont pas vraiment riches. Je veux dire, regardez les dépenses des gens dans cet échelon de revenu – l’impôt foncier qu’ils doivent payer sur leurs luxueuses propriétés, le coût pour envoyer leurs enfants dans des écoles privées, et ainsi de suite. C’est pourquoi ils peuvent à peine joindre les deux bouts.
Et parmi les véritables riches, un virulent sens du droit a pris place: c’est leur argent, et ils ont le droit de le garder. « Les impôts sont ce que nous payons pour avoir une société civilisée, » disait Oliver Wendell Holmes – mais c’était il y a longtemps.
Le spectacle des Américains à hauts revenus, les gens les plus chanceux au monde, se complaisant dans leur apitoiement et leur propre vertu pourrait être amusant , excepté pour une chose : ils pourraient bien obtenir ce qu’ils veulent. Oubliez les 700$ milliards que représente le prolongement des exemptions d’impôts des hauts échelons : virtuellement tous les Républicains et quelques Démocrates s’empressent de venir en aide au riche opprimé.
Voyez-vous, le riche est différent de vous et moi: ils ont plus d’influence. C’est en partie une question de contributions aux campagnes électorales, mais c’est aussi une question de pression sociale, puisque les politiciens passent beaucoup de temps à fréquenter les plus riches. Alors, quand le riche se retrouve devant la possibilité de payer un surplus de 3 ou 4 pour cent de ses impôts, les politiciens sentent leur douleur – la sente de façon beaucoup plus aigüe, c’est clair, qu’ils sentent la douleur des familles qui ont perdu leur emploi, leurs maisons et leurs espoirs.
Et quand la bataille des impôts sera terminée, d’une façon ou d’une autre, vous pouvez être sûr que les gens qui défendent actuellement les revenus des élites retourneront à leurs demandes de réduire les prestations de Sécurité sociale et les allocations aux chômeurs. L’Amérique doit faire des choix difficiles, diront-ils; nous devons tous être prêts à faire des sacrifices.
Mais quand ils disent « nous », ils veulent dire « vous ». Les sacrifices c’est pour les petites gens.
"La colère balaie l’Amérique"
Le riche en colère
Quand vient le temps de défendre les intérêts du riche, il semble que les règles normales de la discussion civilisée (et nationale) ne s’appliquent plus.
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