Ne comptez pas Jean Charest pour battu. Et ne doutez surtout pas du sérieux de sa candidature potentielle au Parti conservateur...
La corruption? Quelle corruption?
Commençons par le plus évident. Combien de fois j’ai lu cette boutade (ou une déclinaison de celle-ci) sur Twitter quand le ballon d’essai est sorti dans les médias, sur l’intérêt de Jean Charest pour la chefferie du Parti conservateur:
«Y’est pas en prison, lui?»
Bin non. Jean Charest n’a été accusé de rien. Rien pantoute. Blanc comme neige? Ça, on ne le sait pas. On ne le sait pas, car Jean Charest a bel et bien été ciblé par l’UPAC. Pendant des années. Lui et plusieurs personnes de son entourage politique.
Le bureau d’enquête du Journal en a parlé plus d’une fois:
«L'ex-premier ministre Jean Charest et l'ex-grand argentier libéral Marc Bibeau ont fait l'objet de surveillance policière au moins jusqu'en 2016, dans le cadre d'une enquête sur les liens entre le financement politique et l'octroi de contrats publics, a appris notre Bureau d'enquête.
«L'Unité permanente anticorruption (UPAC) a ciblé ces deux hommes ainsi qu'une trentaine d'autres personnes, dont l'ex-ministre Line Beauchamp et l'ex-directrice du financement du Parti libéral du Québec (PLQ) Violette Trépanier, dans le cadre d'une enquête criminelle nommée Mâchurer.»
S’ajoutent à cela les enquêtes Joug et Lierre, par exemple, lesquelles «portent notamment sur le scandale de l'usine d'eau de Boisbriand et le rôle de la firme de génie-conseil Roche, ainsi que sur un système illégal de prête-noms en lien avec des firmes de génie-conseil et des entrepreneurs pour le financement du Parti libéral du Québec».
Enquêtes qui ont mené à l’arrestation de la vice-première ministre libérale du Québec Nathalie Normandeau, un ténor du gouvernement de Jean Charest.
Voilà pourquoi, a priori, plusieurs se demandent s'il est bien légitime, et moral, que Jean Charest pense à briguer un autre poste électif, et non le moindre: chef d’un parti fédéral, aspirant premier ministre du pays.
Tout ça alors que nous ne connaissons pas encore le résultat d’enquêtes très importantes, qui ne sont pas banales, il faut le rappeler. Ces enquêtes qui s’ajoutent à la commission Charbonneau, au cours de laquelle les Québécois ont été témoins de révélations troublantes, parfois même des autorités (policiers, enquêteurs, etc.).
Jean Charest sait-il quelque chose que nous, simples citoyens, ne savons pas? L’article de Philippe Tesceira-Lessard dans La Presse de ce matin, concernant les récentes tractations politiques de Charest, pourrait bien répondre à la question de cet embarrassant passé éthique de l’ex-premier ministre:
«Dans ce parquet de gens d’affaires, personne n’a soulevé le fait que l’UPAC n’avait pas officiellement mis fin à l’enquête Mâchurer, sur son rôle dans le financement illégal du Parti libéral du Québec. Mais des sources sûres au gouvernement Legault s’attendent à ce que l’UPAC “nettoie l’ardoise” et annonce en 2020 la fin de plusieurs enquêtes, qui ne sont pas concluantes. Cette épée de Damoclès peut être un obstacle important pour Jean Charest. Les règles édictées par le PCC en 2017 pour les courses à la direction écartent tout candidat faisant l’objet d’une enquête policière. On y précise que le candidat ne doit pas être “assujetti à toutes les enquêtes qui peuvent mener à des sanctions professionnelles ou des accusations criminelles”.»
Hallucinant, comme Jean Charest a toujours réussi à éviter les tribunaux, quand même! Et là, timing juste parfait pour que l'ex-premier ministre fasse son retour en politique. Au nom de l'unité nationale. J'ai comme un souvenir de Jean Chrétien à la commission Gomery, badinant, sourire aux lèvres, avec ses balles de golf... «Fallait bin sauver l'Canada!»
Vous souvient-il de cet épisode politique ahurissant mettant en scène Jean Charest et le député Amir Khadir? Rappel de l’affaire, Martin Croteau dans La Presse:
«Le député de Québec solidaire Amir Khadir soupçonne Jean Charest d'être responsable de gestes criminels qui auraient été commis par le Parti libéral. Il a qualifié l'ancien premier ministre de “premier suspect”, mardi, et l'a mis au défi de le poursuivre s'il est en désaccord avec ses propos.
«“Je soupçonne qu'il a été à la commande de la machine qui a commis ces crimes, a déclaré M. Khadir. Je soupçonne que c'est lui qui décidait en dernier lieu que, oui ou non, on opérait comme ça. Je soupçonne donc que les choses qu'a faites Mme Normandeau et qui ont conduit l'UPAC à l'accuser en matière criminelle relèvent aussi de la responsabilité de M. Charest.” [...]
«“Je mets au défi M. Charest, s'il pense le contraire, s'il n'est pas suspect d'avoir collaboré et orchestré ce que ses ministres ont fait, de me poursuivre en justice”, a-t-il déclaré.»
Jean Charest ne poursuivra jamais Amir Khadir.
Idem quand la Couronne a annoncé l’abandon des accusations (arrêt Jordan) dans le procès de Luigi Coretti, ex-patron de la firme BCIA (tsé, l’affaire avec le ministre de la Famille Tony Tomassi) et longtemps contributeur à la caisse libérale.
L’équipe d’enquête du Journal, encore:
«Si son procès s’était tenu, Luigi Coretti aurait convoqué à la barre des témoins l’ancien premier ministre Jean Charest, l’ex-ministre de la Sécurité publique Jacques Dupuis et l’actuel haut fonctionnaire de l’État Pietro Perrino.
«C’est ce que l’ancien patron de la firme BCIA a expliqué à notre Bureau d’enquête, hier, dans une entrevue coup de poing.
«Le quinquagénaire a été arrêté pour fraude en 2012. Il devait subir son procès cette année, mais, en novembre, la Couronne a abandonné toutes les accusations.»
Jean Charest n’aura donc pas été appelé à la barre.
Le retour de «Capitaine Canada»
Le Jean Charest dont on se souvient le plus, c’est le plus récent, évidemment. Mais ce politicien de carrière possède une longue feuille de route, le plus souvent traversée de succès.
Élu au fédéral sous la bannière conservatrice à l’âge de 26 ans, la politique l’a toujours habité depuis. Véritable bête politique, dans le sens «propre» de l’expression!
Simon Boivin, dans Le Soleil, rappelle l’époque où l’on avait surnommé Jean Charest «Capitaine Canada»:
«En 1995, au moment de la campagne référendaire, Jean Charest est, à 37 ans, l'un des politiciens fédéraux les plus populaires au Québec. Il a remporté la direction du Parti progressiste-conservateur en 1993, une formation qui ne compte plus que deux députés deux ans plus tard. Surnommé «Capitaine Canada», M. Charest a livré plusieurs discours pour le camp du Non en brandissant un passeport canadien.»
Et ce Jean Charest là, plusieurs le connaissent dans le Canada anglais, et l’apprécient toujours. Vues de l’autre côté de l’Outaouais, vers l’Ouest, les histoires de commission Charbonneau et d’enquête Mâchurer n’ont pas du tout la même résonance qu’ici.
À la limite, on classera ça dans cette idée générale qu’on se fait parfois du Québec, cette province «corrompue» de bord en bord de toute façon. Qui a oublié la une du magazine Maclean’s de septembre 2010, avec le Bonhomme Carnaval traînant une valise pleine de cash et ce titre, dévastateur: «Le Québec: la province la plus corrompue»?
Nous étions en plein dans cette période trouble de la politique québécoise, les allégations toujours plus troublantes les unes que les autres à propos des pratiques de financement douteuses au PLQ sous... Jean Charest.
On lui pardonnerait tout ça, à Capitaine Canada, s’il était capable de mener les conservateurs à la respectabilité politique et de les placer aux portes du pouvoir, advenant le cas où celui-ci plonge, bien sûr.