Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour gagner des votes! Gilles Duceppe promet un TGV Québec-New York, Michael Ignatieff promet aux Québécois la reconnaissance de leur " nation " dans la constitution...
Passons sur le " train à Duceppe ", qui relève de la plus haute fantaisie.
L'initiative d'Ignatieff, qui a été reprise par l'aile québécoise du PLC, est - hélas! - une affaire sérieuse, qui va avoir de graves conséquences, la première étant que les libéraux dupent les Québécois en leur faisant miroiter une " reconnaissance " qui ne se réalisera pas.
C'est bien le comble du cynisme que de soulever des espoirs dont on sait très bien qu'ils ne seront jamais comblés. Michael Ignatieff, qui vient pratiquement de débarquer au Canada, n'en est peut-être pas conscient, mais les libéraux de longue date, eux, le savent pertinemment.
Si le Canada anglais n'a pas pu gober le concept de " société distincte ", il est bien évident que le concept inflationniste de " nation " sera rejeté à plus forte raison.
En rouvrant cette boîte de Pandore, les libéraux font en sorte que le Québec se sente de nouveau " rejeté ", avec les conséquences que l'on sait. Les souverainistes se réjouissent à la perspective de voir la répétition d'une saga à la Meech, et cela se comprend fort bien. Ce qui ne se comprend pas, c'est que les libéraux fassent aussi bêtement le jeu de leurs adversaires.
Ce n'est pas sans raison que Jean Charest s'est toujours abstenu de revendiquer la réouverture de la constitution, en se contentant de dire évasivement que cela serait " souhaitable " mais pas primordial. M. Charest, qui était aux premières loges durant les épisodes de Meech et de Charlottetown, sait fort bien à quel genre de catastrophe conduirait l'exercice.
Mais admettons, juste pour le plaisir de la discussion, que le reste du Canada accepte sans trop rechigner d'inscrire le caractère " national " du Québec dans la constitution. Que se passerait-il?
Comme on l'a vu au chapitre " Charlottetown ", toutes les autres provinces et tous les groupes de pression revendiqueraient une part du gâteau, des environnementalistes aux féministes en passant par les promoteurs du " droit à la propriété " et les défenseurs des animaux de laboratoire, sans oublier bien sûr la vaste cohorte des " nations " autochtones (qu'Ignatieff veut reconnaître sur le même pied que la " nation " québécoise).
Une fois la constitution sur la table, ce sera à qui y plantera sa fourchette. Les négociations seront ardues, et provoqueront nombre de déchirements. Après une foire d'empoigne qui aura duré des années, dans la meilleure (je dis bien la meilleure) des hypothèses, le Québec se retrouvera avec sa petite reconnaissance symbolique, mais en échange, il aura dû faire bien des concessions.
Ainsi, il aura vraisemblablement dû accepter la dilution de son pouvoir sur les territoires des " nations " autochtones. Il aura très certainement dû accepter une réduction de son influence au sein d'un sénat élu et doté de pouvoirs plus substantiels. C'est là la grande revendication de l'Ouest depuis des décennies, et ce sera un dossier prioritaire.
Les provinces de l'Ouest, qui sont en pleine croissance, sont en effet sous-représentées au Sénat par rapport aux provinces atlantiques et au Québec. Or, toute réforme du sénat abolira aussi le mode de nomination des sénateurs au profit d'un Sénat élu. Dans cette institution plus crédible et probablement dotée de pouvoirs plus étendus, le poids du Québec sera diminué. On n'est plus dans les symboles, ici, mais au coeur de l'exercice du pouvoir. Le Québec aura donc perdu plus que ce qu'il aura gagné.
L'ironie, c'est qu'une bonne partie de la classe politique du Québec a déjà réagi à l' " ouverture " du PLC-section Québec par une fin de non-recevoir. Et la surenchère a commencé. On réclame non seulement la constitutionnalisation de la reconnaissance promise par les libéraux (dont la résolution ne parle que de reconnaissance " officielle "), mais aussi l'enchâssement de pouvoirs spéciaux...
Cette résolution qui ne va pas assez loin pour les Québécois est trop explosive pour les libéraux. Ils s'organiseront donc probablement, à leur congrès de novembre, pour en diluer la portée, après un débat vraisemblablement très houleux. Ce qui sera vu comme un autre " rejet " du Québec... Leur soif du pouvoir les aura jetés dans un beau pétrin. Un pétrin bien mérité.
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