Au début de la course au leadership libéral, Michael Ignatieff a pris un pari audacieux : même si tout le monde le considérait comme le meneur, il n'allait pas agir de façon prudente en évitant la controverse. Au contraire, il n'allait pas abandonner ses positions, même si elles devenaient impopulaires. Et ça marche.
La sagesse traditionnelle, dans ces campagnes, dit que la seule chance de celui qui est perçu comme le meneur de le rester tout au long de la course, c'est d'éviter de devenir la cible de tous les autres candidats. Pour cela, il faut, le plus possible, avoir un programme centriste, insister sur ce qui unit le parti plutôt que sur ce qui le divise et essayer de ne pas indisposer qui que ce soit.
M. Ignatieff a fait tout le contraire. D'abord, il a plongé tête première dans la question qui risque le plus de diviser les libéraux, soit la guerre en Afghanistan. En votant avec le gouvernement Harper pour la prolongation de la mission, M. Ignatieff s'est fait traiter de "Harper light". Mais il a décidé de prendre ses adversaires de front sur ce sujet.
Avec l'appui du sénateur et ex-général Roméo Dallaire - que bien des libéraux considèrent presque comme un saint - il a plutôt bien réussi à démontrer que la position de ses adversaires était insoutenable. On ne peut pas envoyer notre armée dans une zone de guerre, contre un ennemi comme les talibans, pour construire des écoles. Si le Canada devait se retirer parce que la soupe devient chaude, qui croira aux promesses du Canada, a répété inlassablement Ignatieff. Et aujourd'hui, ce sont ses adversaires qui essaient tant bien que mal de définir une troisième voie.
Autre problème pour M. Ignatieff, l'image qu'on voulait lui faire du "nouveau Trudeau", une image qui ne peut causer que des déceptions au Canada anglais et qui est carrément un handicap au Québec.
C'est ainsi que M. Ignatieff, loin de jouer le rôle de celui qui allait "remettre le Québec à sa place", a pris le pari de suggérer une réouverture du dossier constitutionnel pour reconnaître le caractère national du Québec. Peu lui importait que les autres candidats partagent l'idée reçue qu'il valait mieux ne pas ouvrir la boîte de Pandore et qu'il faut donc éviter les risques et tout faire pour éviter un échec qui aiderait les souverainistes. Ce qui s'est traduit pendant les années Chrétien et Martin par une paralysie complète sur ce front.
Encore une fois, M. Ignatieff a plongé dans la controverse et il a gagné. C'est au Québec qu'il a obtenu son meilleur résultat et il laisse assez loin derrière les Bob Rae et Stéphane Dion qui défendaient la position traditionnelle de ne pas toucher au dossier constitutionnel.
Dans la population en général, sa volonté de reconnaître le Québec comme une nation - même si, à la fin, ça ne risque guère de se traduire dans des pouvoirs concrets - lui permet de ne plus être vu comme le "nouveau Trudeau", un bon moyen de saboter une carrière avant même qu'elle n'ait commencé.
Pas question, non plus, de revenir sur la loi 101 qu'il décrivait à Tout le monde en parle, dimanche, comme un remarquable équilibre entre les droits de la majorité sans brimer ceux de la minorité. Soit dit en passant, pour un politicien anglophone, ce talk-show est vu comme une sorte de test. Quand on y fait belle figure, il n'y a plus personne qui prétendra qu'on est incapable de s'adresser aux Québécois. Pour M.Ignatieff, ce sera désormais un avantage indéniable.
Enfin, M. Ignatieff pourrait bien réussir à transformer en avantage ce que plusieurs voyaient comme son principal handicap : le fait qu'il ait passé l'essentiel de sa vie d'adulte à l'étranger plutôt qu'au Canada.
Au Québec, en tout cas, c'est un avantage. Il n'a rien eu à voir, ni directement, ni indirectement avec l'ère Chrétien et le scandale des commandites.
C'est d'ailleurs ce qui devrait inquiéter le Bloc québécois. Depuis sa création, le Bloc n'a jamais eu à faire face à un chef libéral qui avait des propositions concrètes à faire aux Québécois. Jean Chrétien était intimement convaincu qu'il ne devait pas le faire, alors que Paul Martin n'en a jamais eu le courage. M. Ignatieff semble vouloir briser ce moule.
On a vu ce qu'un seul discours démontrant une certaine ouverture a pu faire, lors de la dernière campagne électorale, pour Stephen Harper. Imaginez un chef libéral qui reconnaîtrait certaines erreurs du passé et qui promettrait d'essayer de les réparer.
Surtout si cela devait signifier un gouvernement qui ne donne pas dans le conservatisme social et qui ne croit pas que c'est en rejetant le Protocole de Kyoto qu'on fait avancer la cause de l'environnement.
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