13 décembre 1758

Le naufrage du Duke William, du Violet et du Ruby

« Or les Acadiens sur de lointains rivages, Furent disséminés comme des fruits sauvages » - Evangeline d’Henri Longfellow

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Chronique de Marie-Hélène Morot-Sir

Pendant des jours, l’Atlantique Nord s’acharna contre les navires transportant des familles entières d’Acadiens déportés. Les vents déchaînés du Nord-Ouest fragilisaient les embarcations dès leur sortie du golfe du Saint-Laurent, et des vagues d’une hauteur dantesque s’abattaient sur les ponts des bateaux en faisant  craquer les superstructures, impressionnant même les marins ! Le sinistre mois de novembre se terminait pour les prisonniers, emmenés de force sur la mer sous une pluie qui se changeait en neige glaciale, dans la détresse la plus absolue.


Ce fut à Port-la-Joie qu’eut lieu l’embarquement inexorable des déportations de l’Isle Saint-Jean.


Port La Joie, est un endroit où les champs descendent doucement vers la mer, à l’abri des grands vents du large, le promeneur s’arrête devant un tel paysage où il serait facile de croire à la douceur de vivre, alors que tant d’atrocités y ont pourtant eu lieu ! Les prisonniers, hommes, femmes, enfants, ont été réunis ici puis forcés à tout abandonner de leur vie  au nom d’une Angleterre et d’un roi anglais qu’ils ne connaissaient pas et d’un conflit qui n’était pas le leur.


La Déportation des Acadiens par les autorités anglaises, constitue une des plus grandes tragédies humaines dans l’histoire de la Nouvelle France.  Maisons et fermes brûlées, un peuple emprisonné, déporté, déchiré, familles séparées, bateaux naufragés… Il a fallu tant de courage aux Acadiens pour les surmonter et pour ceux qui en ont eu la chance,  d’arriver à survivre. Mais après la première vague des expulsions et des déportations terribles de 1755 en Acadie péninsulaire, a eu lieu cette seconde vague en automne 1758 sur l’ile Saint Jean tout aussi inhumaine et épouvantable que la première,  pourtant  si peu évoquée !


Les Anglais s’étaient alors attaqués à tous les Acadiens qui s’étaient réfugiés sur l‘île Saint Jean ou ailleurs en Nouvelle France, afin d’échapper à la première déportation, pour y trouver un abri sur cette terre encore française, mais après ces trois ans d’accalmie, ils  avaient été poursuivis jusque-là !


Leurs ancêtres Français venus de France avaient replanté leurs racines dans ce pays d’Acadie, ils l’avaient bâti de leur mains, ils l’avaient défriché, y compris gagné des terres sur la mer par tout un système d’aboiteaux avec la technique qu’ils avaient apportée de leurs régions françaises bordant l’océan l’Atlantique, principalement du Poitou. Le premier établissement en Acadie en 1604 marque les débuts de la colonisation française en Amérique du Nord. Il a fait l’objet d’un effort soutenu de peuplement par la France, mais l’Acadie ne cessera de subir les ambitions anglaises et les nombreuses  attaques  des Anglais qui voulaient s’y implanter. L’année 1713, arriva à point pour ces derniers, en effet  le  traité d'Utrecht signant la fin de la guerre de  Succession d’Espagne en Europe, obligea la France à céder la baie d’Hudson, Terre-Neuve et l'Acadie péninsulaire à l'Angleterre,  lui permettant néanmoins de  conserver les autres territoires de la Nouvelle France, dont l’Acadie continentale (New Brunswick),  l'île Saint-Jean (I.P.E) et l'île Royale (Cap Breton).


Le fort Français Beauséjour, avait alors été construit à la frontière de l’Acadie continentale où il joua parfaitement son rôle  durant quelques années, empêchant les Anglais de dépasser la frontière ainsi marquée et défendue par les Français, mais ils attendaient néanmoins avec une grande impatience, de pouvoir s’en emparer. Les Français  comprenant que l’état des choses allait se gâter, insistèrent auprès des Acadiens de la région investie par les Anglais, afin qu’ils passent de leur côté, pour être mieux à même de les protéger, mais beaucoup manquaient d’enthousiasme, c’est peu de le dire, à laisser leurs terres, leurs maisons et toute leur vie !


Pourtant leur pays d’Acadie n’existait plus il avait été rebaptisé définitivement  « Nouvelle Ecosse » par les Anglais, et ces derniers désiraient à tout prix nettoyer ce pays et jusqu’au dernier  de tous ces « Français Neutres » qui l’avaient pourtant créé un siècle et demi plus tôt ! Curieusement les Anglais ne commencèrent à les appeler Acadiens qu’au moment de leur déportation !


Alors  ils  brûlèrent leurs maisons, leurs granges y compris leurs cultures, puis ils organisaient des battues générales dans toute la région, afin de les retrouver, et d’en capturer le plus possible. Tous ces  Acadiens tentaient d’échapper aux Anglais, en passant à travers les bois ou en remontant les rivières, essayant toujours de survivre quelque part, au milieu de ces forêts touffues et boisées malgré les rigueurs de l’hiver, mais un grand nombre d’entre eux, en essayant de rejoindre la Nouvelle France, moururent de faim, de froid et d’épuisement.  Des bateaux français croisaient dans le golfe du Saint-Laurent en 1756, ils réussirent à en amener plusieurs à Québec, dont certains qui tentaient de se regrouper pour venir se réfugier à Miramichi.


En effet, François Bigot, l’intendant  de la Nouvelle France, avait envoyé des soldats canadiens et français sous les ordres de l’officier Charles Deschamps de Boishébert. Ce dernier avait été formé  sous les ordres de son oncle Ramezay, ce qui n’était pas peu dire,  quelques années auparavant. Il  fit  alors installer un camp pour tous ceux qui  ne sachant où aller se réfugier,  se regroupaient sur la Baie des Chaleurs, essayant d’échapper aux arrestations anglaises. Le camp  fut aménagé à Miramichi, qui paraissait suffisamment à l’abri des attaques anglaises. Sur la rivière Miramichi, Boishébert avec l’aide du père Charles Germain, avait  installé un lieu d’accueil pour les réfugiés acadiens, arrivant alors en nombre de plus en plus important chaque jour, Charles de Boishébert en fit  son quartier général. L’intendant avait bien  envoyé des vivres mais ne connaissant pas le nombre important de réfugiés il en avait expédié pour seulement six cents personnes, alors que les Acadiens regroupés à Miramichi allaient être rapidement bien plus de trois mille.


Aussi  cet hiver 1756-1757 va être épouvantable ! La nourriture manque cruellement pour tous, que ce soit les Amérindiens Mi’kmaq  qui n’ont plus rien eux non plus, ayant tant aidés les Acadiens, mais également  la petite garnison de Charles de Boishébert elle-même, tous ne savent plus comment survivre, ils en arrivent à manger les peaux de bison ou l’huile de phoque et lorsqu’ils n’ont plus rien du tout, ils mangent leurs bottes en peau de daim, la misère est totale, impressionnante !


L’île Saint-Jean avait commencé à voir arriver les premiers réfugiés acadiens un peu après ce traité d’Utrecht,   même si cela était un déchirement  de partir de chez eux de quitter leurs maisons, tous leurs biens et leur propre région d’Acadie maintenant aux mains des Anglais, mais quelques premières familles acadiennes de la région de Chignectou, rejoignirent déjà autour de 1720 des pêcheurs français qui utilisaient les ports de la côte Nord de l’île comme base


Le gouverneur de la Nouvelle France tenta de convaincre les Acadiens  de tout quitter pour aller se mettre à l’abri en passant du côté français, là où  avait été  construit le fort Beauséjour par les Français. Mais cela fut très difficile de les convaincre.   L’abbé Jean-Louis Le Loutre au printemps 1750, tenta de  décider  les habitants autour de Cobéquid  proche de Port Royal, à quitter leurs terres et à  émigrer  à Pointe Prime sur l’île Saint Jean, encore française, afin de  quitter  la péninsule acadienne occupée par les Anglais. Certains Acadiens acceptèrent. Noël Doiron a été de ceux-là,  comprenant  parfaitement qu’ils risquaient d'être faits prisonniers et déportés,  avec la perte de tous leurs droits civils, sans compter l'intolérance religieuse vis-à-vis de leur religion catholique,  affichée par les anglicans.  Pourtant c’était très dangereux de partir car les Anglais avaient imposé des restrictions aux déplacements des Acadiens. Il leur était interdit de voyager en dehors de la Nouvelle-Écosse, des barrages avaient été mis en place, des groupes de soldats anglais avaient été envoyés dans tout le Bassin des Mines pour les arrêter et de même c’était également absolument  impossible par la mer,  des bateaux  acadiens avaient été saisis par la Couronne anglaise en quittant le bassin des Mines. De plus les réunions publiques étaient interdites et toutes les armes à feu avaient été confisquées.


Les Acadiens risquaient leurs vies en quittant la Nouvelle-Écosse Même si un grand nombre d'Acadiens terrorisés par la peur des Anglais avaient accepté de quitter leur pays d’Acadie, il y en avait encore beaucoup ne désirant pas tout laisser derrière eux, leurs maisons, leurs cultures, tous leurs animaux et tout ce qu’avaient fait avant eux leurs ancêtres français pour bâtir ce pays.


C’est alors que l’abbé Le loutre et ses Micmacs, voyant que les Acadiens ne voulaient rien entendre,  prirent la grave décision de mettre eux-mêmes le feu à tout leur village de Beaubassin, obligeant ainsi les mille habitants, à prendre cette fois  la décision de partir, pour se réfugier du côté des Français, quels que soient  bien sûr, leur consternation et leur accablement à voir  leurs biens partir en fumée. Ainsi, lorsque les Anglais arrivèrent, ils furent fortement désappointés de ne trouver que cendres et ruines, et même pas l’ombre du moindre habitant sur lequel se venger, aussi  très dépités ils ne purent que repartir à Halifax, furibonds. Au moment de la déportation de 1755, les Anglais ne purent trouver à embarquer aucun Acadien dans ce village.


Il y avait un an seulement que le major Gabriel Rousseau de Villejouin commandait à l’île Saint-Jean où il avait été promu, en remplacement de Claude-Denys de Bonnaventure le 1er avril 1754, quand, à la fin de l’été de 1755, la première vague de déportation des Acadiens amena une grande quantité de  réfugiés qui étaient arrivés à s’enfuir à travers les bois pour échapper aux massacres anglais et rejoindre la Nouvelle France, dont l’île Saint Jean. Cette île devait permettre, dans les plans français, d’approvisionner la forteresse de Louisbourg en produits agricoles, mais alors qu’elle ne  se suffisait même pas encore à elle-même Villejouin dut  réagir  énergiquement aux problèmes posés par l’arrivée des réfugiés et à ceux de cette guerre impitoyable déployée contre eux. Il envoya à Québec les personnes malades aida l’officier français Charles Deschamps de Boishébert dans tout ce qu’il entreprenait pour sauver des Acadiens, tout en accélérant au mieux les cultures.


Le major de Villejouin connaissait les plans des Britanniques,  sachant que  Louisbourg était menacée depuis trois ans, il s’attendait donc  à ce qu'un  ou deux navires anglais arrivent vers eux, c’est pourquoi dès  l'été 1756, il avait fait armer plusieurs habitants, déplacer des vivres et demander de se préparer à se cacher dans la forêt. Certains mêmes commencèrent à  rejoindre le  camp d'Espérance, à la rivière Miramichi, où un grand nombre d’Acadiens ayant fui  avaient déjà été rassemblés par  Charles Deschamps de Boishébert, mais le manque de vivres y était criant au vu  du nombre de réfugiés tant Acadiens que Mi’kmaq, toujours plus nombreux.


Puis a eu  lieu la  chute de Louisbourg en juillet 1758, cela scella le sort de l’île Saint-Jean !


Suite au traité  de 1713 la France avait construit  la forteresse de Louisbourg au bout de l’île Royale, permettant aux Français de surveiller tout le golfe du Saint Laurent. Louisbourg devint une véritable ville et un centre de commerce important depuis les Antilles jusqu’en France. La puissance  de Louisbourg en fit une sentinelle des plus concurrentielles à l’entrée même de ce golfe, surveillant l’entrée vers la Nouvelle France et en barrant largement le passage. Elle présentait de solides murailles, des bastions épais,  des chemins de garde,  et des créneaux qui  faisaient  d’elle une citadelle solide et inédite. 


Trente ans plus tard, un premier siège en 1745 l’avait bien trop facilement donnée aux Anglais sans que l’incompréhensible gouverneur Louis Dupont Duchambon n’ait prévu un plan de défense sérieux et conséquent,  la résistance  sera alors si peu efficace, qu’il laissera même ses batteries aux mains des Anglais !


Cependant,  le traité d’Aix la chapelle en 1748 mettant fin aux guerres européennes de la succession d’Autriche,  l’avait rendue aux Français. Ils s’empresseront d’y remettre une garnison  française bien  plus conséquente.


 Les Anglais patienteront dix années supplémentaires après l’échec de la première prise de Louisbourg, ainsi en 1758 ils envoient une flotte puissante  devant la forteresse. Ils ont préparé  ce  deuxième siège avec une organisation maritime orchestrée par le général Amherst, il aura sous ses ordres  James Wolf. La flotte elle-même se trouve sous les ordres de l’amiral  Edwards Boscawen, elle comportait  vingt-sept mille hommes de force tant terrestres que navales,  trente neufs navires  et vaisseaux,  toute cette énorme force  réunie contre seulement  sept mille marins  et soldats français, qui en si petit nombre vont tenir avec courage et détermination face à une force incontestablement supérieure. Le nouveau gouverneur de Louisbourg,  Augustin  de Boscheny de Drucourt, dès le début du blocus  naval, en juillet 1758 contre la forteresse, avait appelé Charles de Boishébert à la rescousse. 


Il arriva aussitôt, après avoir  voyagé par terre et par mer à la mode amérindienne, avec huit cents hommes, autant de soldats que de miliciens et que d’Amérindiens. Ce renfort était des plus précieux mais la force totale n’arrivait toujours pas à celle déployée par les attaquants anglais !


Lorsque le 26 juillet la forteresse tombera, malgré tous les efforts de résistance des Français réunis autour du gouverneur de Drucourt, les Anglais seront surpris en pénétrant dans la ville de constater leur petit nombre, et pourtant malgré cela ils avaient réussi à les repousser durant plus de huit semaines. Cette constatation les dépita énormément eux qui avaient affiché une armée incomparable, de cette impressionnante force navale avec tous leurs vaisseaux, leurs nombreux  canons, tout cela paraissait bien ridicule  devant cette petite troupe de soldats français et de miliciens, soutenus par leurs alliés amérindiens, qui avait si vaillamment,  et durant si longtemps, défendu leur forteresse. Cette longue  résistance française n’aura cependant pas été inutile,  la saison était maintenant bien  trop avancée pour que l’ennemi d’Angleterre puisse envisager la remontée du fleuve Saint Laurent pour attaquer immédiatement Québec, ainsi qu’il l’avait prévu  au premier abord, pensant un peu à tort que la prise de la forteresse ne serait qu’une simple formalité, grâce à leur énorme force avancée !


Il leur faudrait  donc attendre  l’année suivante pour mettre leur projet à exécution. Québec tombera à son tour, mais ce sera seulement le 13 septembre 1759, grâce à cette grande résistance des  Français de Louisbourg, la Nouvelle France aura eu un sursis d’un an.


Les autorités anglaises entreprennent de déporter en Angleterre non seulement tous les soldats français faits prisonniers, mais aussi tous les « sujets français » non seulement de la forteresse de Louisbourg mais de toute l’île Royale, il y a très peu d’Acadiens parmi eux,  puis ils agiront de la même manière sur l’île Saint Jean, maintenant qu’ils tiennent enfin Louisbourg, ils s’approprieront tout !




Charles de Boishébert, ses hommes et leurs alliés Amérindiens  s’éloignèrent rapidement par les terres, ils rejoignirent sans attendre la rivière,  puis de là les rives d’un lac proche, où ils avaient cachés leurs bateaux, parvenant ainsi à échapper aux Anglais et à rejoindre Miramichi. 


Aucune consolation n’était à espérer, après la  chute de Louisbourg fin juillet 1758, le sort de l’île Saint-Jean était malheureusement scellé !!


Immédiatement à la fin de l’été le général anglais Amherst envoya des troupes commandées par James Wolf  tout le long de la côte Nord  du golfe Saint Laurent ainsi que sur l’île Saint Jean, afin d’y arrêter tous les Acadiens qu’ils trouveraient. Le lieutenant Andrew Rollo dirigea la troupe de  cinq cents hommes dont James Rogers à la tête de sa compagnie des Rogers ’Rangers,  pour prendre possession de l’île Saint Jean avec ordre de construire le fort Amherst où tous les prisonniers devraient être rassemblés.  James Wolfe, renforcé de son côté après la prise de Louisbourg, donna l’ordre à James Murray d’anéantir les camps de réfugiés acadiens dont celui de Miramichi,  afin d’éliminer une bonne fois pour toutes, la présence française partout et jusque dans le golfe du Saint Laurent. Les Acadiens  et les Mi’kmaq se cachent  à nouveau dans les bois  avec le missionnaire Récollet  Bonaventure Carpentier. Durant deux longues journées les Anglais de Murray les chercheront en vain, alors ils feront brûler tout ce qu’ils trouveront, l’église, les maisons, les wigwams.


Une véritable chasse à l’homme avait été mise sur pied puisque simultanément, le colonel  Robert Monckton , commandant  deux mille soldats,  patrouillait le long du Saint Laurent , d’autres régiments longeaient la rive Nord de la baie des Français  (baie de Fundy) et en novembre 1758 le major George Scott avec plusieurs centaines de soldats remontèrent la rivière Petit Codiac à bord de plusieurs bateaux surarmés,  détruisant  tous les villages les uns après les autres  sur leur passage,  y compris le village de Beausoleil,   village de la famille Broussard.


Pendant ce temps le major de Villejouin écrivait de Port-la-Joie (Fort Amherst) en septembre 1758 : « Je me voyais cet automne en situation avec  bien peu de secours pour faire subsister toute l’Isle. »


L’île Saint-Jean comptait alors cinq paroisses car le nombre était toujours plus important de réfugiés, des cabanes avaient  même été construites à la hâte, ce qui avait fait  passer cette population à plus de 4 700 habitants.


Le lieutenant-colonel Andrew Rollo dépêché à Port-la-Joie, à l’automne de cette même année, avec 500 soldats est là pour  écraser toute résistance. Mais  le commandant, Gabriel Rousseau de Villejouin, sait qu’il lui est impossible  de résister avec une aussi petite garnison française,  et c’est bien trop risqué  de demander aux habitants de prendre les armes  cela les exposerait à une  riposte immédiate et sanglante,  il se rendra sans combattre inutilement.


Andrew Rollo s'active en ce mois de novembre  1758, tous les Acadiens de Pointe-Prime seront emprisonnés, puis embarqués de force à bord des navires, onze seront nécessaires dont le Duke William,  pour embarquer autant de monde. Mais grâce à la prévoyance  de  Villejouin  les Acadiens  avaient été heureusement nombreux à s’enfuir,   et à se cacher dans les bois. Plusieurs réussiront  heureusement encore  à s’échapper avec leur bétail, aidés par les Mi’kmaq pour tenter de se rapprocher de la baie des Chaleurs. Cependant malgré cela  près de 3000 personnes seront embarquées sur les bateaux.


Le Capitaine Nichols, commandant du Duke William, le plus grand navire  réquisitionné, ordonne au charpentier de vérifier les fuites dans la cale. Il a déjà traversé l’Atlantique une fois au cours de cette année 1758, pour transporter les soldats britanniques d’Irlande à Halifax, et ensuite jusqu’à Louisbourg, où ils ont participé au siège et à la capture de la forteresse française, en juillet. Il expliqua aux autorités anglaises  que la condition du vaisseau rendait  impossible « d’arriver sain et sauf dans la Vieille France » Néanmoins, il ne fut pas écouté et fut contraint de procéder au transport des prisonniers Acadiens.


Ils quittèrent l’île le 4 novembre, mais à cause d’un vent contraire, la flotte dut rester dans le Détroit de Canso jusqu’au 25 novembre, où grâce à un fort coup de vent du Nord-ouest, ils purent enfin naviguer. Ils n’étaient en mer que depuis trois jours, lorsqu’une tempête se mit à souffler en pleine nuit, avec du grésil et de la pluie, la mer se gonflant « à hauteur de montagne. » La tempête dura plusieurs jours. La mer démontée éparpilla les navires, c’est alors que la flotte fut dispersée.


Après avoir été séparés pendant quelques semaines, le 10 décembre, le Duke William aperçoit des voiles à l’horizon. C’est le Violet, transportant 400 Acadiens. Le capitaine Sugget du Violet  explique que sa situation est intenable et que son navire a pris une grande quantité d’eau, les pompes sont  encrassées et il craint bien de couler avant le matin. Nichols lui dit de rester à proximité,  même s’il  lui fait part de ses inquiétudes sur la condition de son  propre navire  expliquant  qu’il est pratiquement impossible d’arriver à bon port, en France, en cette saison de l’année. Effectivement il se retrouve lui-même  bientôt en grande difficulté, lorsqu’ un gros coup de vent commença à enfler.


À 4 heures le matin suivant, le Duke William reçut une autre  bourrasque si terrible de la mer en furie qu’une grosse vague créa brusquement une brèche dans la coque du Duke William,  si bien qu’il commença à prendre l’eau. Quand il s’aperçut que l’eau s’infiltrait si rapidement, le capitaine réveilla tous les Acadiens, les informa du danger et tous  se mirent au travail avec les pompes. Au petit matin, ils aperçurent au loin dans la brume le Violet, il semblait dans une pénible  position si bien qu’après une autre  longue bourrasque de près de dix  minutes, lorsque le temps s’éclaircit à nouveau, ils s’aperçurent,  consternés, que le pauvre malheureux navire, avec près de 400 âmes à bord, avait totalement sombré par le fond ! Le Violet se trouvait à environ 480 km au large des côtes de l’Angleterre lorsqu’il coula.  La disparition du Violet et de ses passagers éprouva même les plus courageux à bord du Duke William, puisque le même sort leur semblait maintenant inéluctable. Les hommes et les femmes du Duke William, témoins terrifiés de la scène, formèrent une chaîne humaine et ils écopèrent le navire pendant toute une journée. Les vigiles aperçurent deux fois des navires, mais les signaux de détresse et les coups de canon lancés par le Duke William restèrent  ignorés.


A bord du Duke William, tout le monde  se remit alors à pomper fébrilement pour le sauver.


Mais l’eau s’infiltrait trop rapidement dans la cale, ils avaient beau emplir des tonneaux pour les hisser par-dessus bord pendant que les pompes étaient continuellement au travail, tout ce qui fut utile fut tenté. Malgré tous leurs efforts, le bateau continua à s’emplir d’eau, le naufrage pouvait arriver  à tout moment.


Au matin du deuxième jour de pompage, Ils réalisèrent parfaitement que plus rien ne pouvait être fait pour sauver le bateau, le Duke William continuait à s’enfoncer inexorablement.


Au matin du 13 décembre, le navire flottant à grand peine, les Acadiens épuisés comprirent qu’ils ne sauveraient ni le navire, ni leur propre vie.  A bord se trouvait aussi  le Père Girard. A la demande du capitaine il informa les Acadiens de ce qui les attendait tous. Il les prépara à rencontrer l’Éternel, et  termina en leur donnant l’absolution générale.


 Le capitaine, expliqua que « d’après son propre jugement il envoyait tout simplement 400 personnes vers l’éternité.  Il s’ensuivit une scène d’une grande tristesse, où les hommes encore robustes et sains se consolaient les uns les autres, maudissant leur condition désespérée, et se préparèrent à mourir ».


Mais sans davantage d’empathie deux bateaux de sauvetage furent mis à l’eau, dans lesquels embarquèrent,  sans se sentir le moins du monde gênés, sous les yeux des Acadiens stupéfiés, le capitaine et son équipage ainsi que le père Girard, laissant les pauvres gens à leur horrible destinée.


Ce Père fut  plus tard largement blâmé pour n’être pas resté aux côtés de ses ouailles et partagé leur destin !


Après une suite d’angoisse et de désarrois, miraculeusement, le petit canot parvint à atteindre la côte sud-ouest de l’Angleterre, près de Falmouth. Le compte rendu du Capitaine Nichols fut alors publié à London et à Glasgow par George Winslow Barrington, dans son ouvrage « Remembering Voyages & Shipwrecks » La Société Historique Acadienne en a donné une transcription dans son trimestriel en 1968.


Le Capitaine Nichols n’a pas raconté dans son récit  ni les cris, ni les scènes d’horreur  dus au  terrible désespoir qui s’empara des pauvres prisonniers lorsqu’ils se virent engloutis par la mer, mais il  a décrit  les ponts  du  Duke William lorsqu’ils se fracassèrent, en faisant un bruit comparable à l’explosion d’un canon, atténuant un instant les pleurs, les cris et les hurlements de 400 misérables agonisants qui  après l’explosion avaient été éparpillés au milieu des vagues, criant et agitant frénétiquement leurs mains en proie au désespoir, au milieu d’un immense tourbillon glacé qui les emportait un à un, avalés, au milieu de l’Océan Atlantique, dans les profondeurs de la mer. Quatre Acadiens étaient parvenus  à lancer une petite embarcation de fortune et à s’y accrocher alors que le Duke William sombrait. Ils réussiront eux aussi à atteindre les côtes anglaises.


Un des navires  de la flotte avait été détourné vers Angleterre Au moins 250 des 560 Acadiens du Mary, pour la plupart des enfants, moururent avant d’arriver à Portsmouth à la mi-novembre.


Les vents écartèrent le Ruby de sa course, il s’échoua près des  Açores; seulement 120 des 310 Acadiens à bord furent sauvés.


1 700 Acadiens périrent lors de cette  déportation de l’Île Saint-Jean., victimes de l’insensibilité des autorités britanniques qui n’ont pas hésité à expédier ces populations déjà éprouvées de l’autre côté de l’Atlantique pendant la pire saison de l’année sur des navires  en mauvais état.


 


Cette journée du 13 décembre fut choisie en 2004 comme journée du Souvenir Acadien, afin de commémorer les naufrages du « Violet » et du « Duke William », qui eurent lieu respectivement le 12 et le 13 décembre 1758, lors de la Déportation des Acadiens de l’île Saint Jean. Elle commémore également le naufrage du « Ruby », survenu quelques jours plus tard au large des Açores.  Ce jour fut celui où le plus d'Acadiens déportés moururent.


 


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Marie-Hélène Morot-Sir151 articles

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Auteur de livres historiques : 1608-2008 Quatre cents hivers, autant d’étés ; Le lys, la rose et la feuille d’érable ; Au cœur de la Nouvelle France - tome I - De Champlain à la grand paix de Montréal ; Au cœur de la Nouvelle France - tome II - Des bords du Saint Laurent au golfe du Mexique ; Au cœur de la Nouvelle France - tome III - Les Amérindiens, ce peuple libre autrefois, qu'est-il devenu? ; Le Canada de A à Z au temps de la Nouvelle France ; De lettres en lettres, année 1912 ; De lettres en lettres, année 1925 ; Un vent étranger souffla sur le Nistakinan août 2018. "Les Femmes à l'ombre del'Histoire" janvier 2020   lien vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=evnVbdtlyYA

 

 

 





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