COMPRENDRE LE POLITIQUE

Le discours de la méthode Carl Schmitt

Indispensable thèse d'une « banalité supérieure » (André Gide)

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Chronique de Rémi Hugues

La leçon la plus fondamentale dʼordre philosophique sur le politique aura mis des siècles à advenir. Elle était implicitement présente à lʼesprit de chacun, et se manifestait dans la réalité sociale, mais il fallut attendre le XXème pour quʼelle soit objectivée.


Elle aurait la force dʼune vérité dʼévidence, avait dit en substance André Gide : elle était dʼapès lui dʼune banalité supérieure.


Il est clair en tout quʼelle est ésotériquement posée par la philosophie politique occidentale, qui commence avec Platon et Aristote, et se poursuit avec Karl Marx et Charles Maurras, en passant par Augustin dʼHippone et Thomas dʼAquin.


 


Cette leçon peut être résumée ainsi : le politique a pour trait distinctif la distinction entre lʼami et lʼennemi. Rien à voir avec la politique, que Max Weber définissait de la manière suivante : lutter pour lʼaccession au pouvoir, au contrôle de lʼÉtat, ou effort pour maintenir ce contrôle, pour conserver sa place en tant que maître de lʼÉtat1.


La politique nʼest affaire que dʼinsiders – lʼélite politique ou establishment – ou dʼarrivistes, les potentiels membres de lʼélite de remplacement dont parlait Vilfredo Pareto. Le politique est existentiel, dans le sens où il touche à lʼexistence de chaque individu.


 


Tout être humain, indépendamment de son appartenance au rang des élites ou à celui des masses, est concerné par le politique. Dans ce sens, oui : lʼhomme par nature est politikon zoon (animal politique), pour reprendre lʼaffirmation du livre I des Politiques dʼAristote.


Entre le célèbre philosophe grec, dit le Stagirite, et Carl Schmitt, il aurait ainsi une continuité méthodologique. Cʼest en tout cas la thèse de ce bien curieux personnage, totalement extravagant pour ne pas dire démoniaque, quʼétait Aleistair Crowley. Cet homme qui vécut au XXème siècle est la part dʼombre, la part sombre, de lʼOccident moderne.


 


Dans un ouvrage intitulé Astrologie, il explique la chose suivante, à propos du cosmos, soit le réel, de res – « la chose » en latin – cʼest-à-dire ce qui est, ce qui existe, lʼêtre en tant quʼêtre, lʼétant :



« Les gnostiques le nomment Plérôme. Les cabbalistes lui donnent de nombreuses appellations telles que la Tête Blanche, le Point Lisse, lʼAncien des Anciens, le Caché des Cachés et ainsi de suite. Dans les temps anciens, il fut appelé Dieu ou lʼAbsolu, ou lʼEsprit et même pour certains philosophes considéré comme étant la Matière.


Tous cependant sont dʼaccord sur ces attributs et ceux-ci sont naturellement le plus souvent de caractère négatif. Mais les Grecs le nommaient le Un et cʼest en fonction de son unicité fondamentale que nous le considérerons ici, car Un est en calcul la première manifestation positive. Puisque cette substance est Une, homogène et consciente, elle ne peut donc être manifestée de quelque manière que ce soit tant quʼelle reste dans cet état.


Il serait absurde de rechercher des raisons à ses manifestations en un autre état puisque la raison nʼest pas un attribut propre à cette unicité. Il suffit de savoir quʼelle sʼest divisée elle-même en deux courants égaux et opposés diversement décrits par différentes écoles de philosophie comme mâle ou femelle, ou actif ou passif, ou feu et eau, ou être et forme, ou matière et mouvement, ou le yin et le yang ou encore sous forme de personnifications comme Shiva et Shakti et, en fait, tout autre paire de déités de premier ordre.


Ce principe dualiste, ainsi exalté approche dʼun peu plus près les limites de lʼesprit humain car cet esprit est lui-même dualiste, notre conscience étant constituée de subjectif et dʼobjectif, de lʼego et du non-ego.


Il est possible de dissoudre à nouveau cette dualité en unité par un processus mystique mais le cours naturel suivi dʼaprès sa structure propre, est de constituer une troisième unité qui participe des qualités des deux et possède pourtant une existence indépendante.


Ainsi se constituent le triangle descendant du père, de la mère et de lʼenfant, le Yod-Hé-Vau du Trigramme Cabbalistique et la trinité pré-chrétienne des dieux tels quʼIsis, Horus, Osiris et beaucoup dʼautres noms dont les noms viendront aisément à lʼesprit du lecteur.


Dans lʼancienne philosophie grecque, celle de Parménide, dʼEmpédocle, dʼHéraclite, de Zénon lʼÉléate et même dans la philosophie de Pythagore et dʼAristote le Stagyrite, ces trois principes sont reconnus sous les noms de feu, air et eau. Ils sont liés aux trois états possibles dans lesquels peut concevoir lʼUnivers, lʼÊtre, le Non-Être et le Devenir. Plus attentivement on étudie Platon et Aristote et plus en ces concepts deviennent clairs. Il faut bien comprendre cependant que ces principes sont tous actifs et causatifs – ils appartiennent encore à la hiérarchie divine. En un mot, au monde Yetziratique de Rabbi Ben Siméon. Toutefois, de cette trinité dʼactifs se trouve unifié un passif, lequel, pour continuer dans la terminologie de lʼécole philosophique du physicisme, est appelé Terre. »2



 


Quelle belle explication du concept de la Trinité divine de la part dʼun sataniste3 ! Pour tenter de le dire autrement, il nous paraît que la proposition suivante soit en adéquation avec la raisonnement dudit Aleister Crowley, en vertu du principe de lʼidentité des contraires : «  le réel pris comme un tout intelligible est effectivement réel en tant que multiplicité de syzygies, cʼest-à-dire infinité de couples (ou appariements) dont lʼun des deux pôles est le négatif, lʼopposé, de lʼautre »4.


 


Laquelle proposition pourrait être mise en perspective avec ces lignes signées Aristote. Dans Les Politiques, il énonce la loi tendancielle selon laquelle « sʼunissent en couple les êtres qui ne peuvent exister lʼun sans lʼautre »5 Tout part du logos, de la voix, qui exprime soit le douloureux, soit lʼagréable. Le langage manifeste ainsi lʼavantageux et le nuisible, et par suite le juste et lʼinjuste.


 


Lʼon aurait pu citer aussi Plotin, F. Nietzsche ou Carl G. Jung, mais aussi Grégoire de Nysse, qui sʼest évertué à exprimer la nature du plérôme, mentionnant les syzygies terre / eau, repos / mouvement et ciel / terre :


« Afin quʼil y eût entre les êtres une liaison solide, la nature reçut en elle lʼart et la puissance divine pour conduire toutes choses par deux principes. »6 Plus loin il poursuit en évoquant lʼexistence dʼune « intime union quʼont entre elles par cet intermédiaire les parties opposées »7.


Le système binaire qui régit lʼinformatique – ou le digital – nʼest quʼune reprise de cette antique loi philosophique réduisant toute substance à une opposition entre la positivité (le + ou 1) et la négativité (le – ou 0).


Le « plus » et le « moins » comme fondements de lʼordre intelligible, du réel en somme : nʼest-ce pas le point de départ de La notion de politique de Carl Schmitt ?


Expliquant que lʼart est la discrimination entre le beau et le laid, que la science est la discrimination entre le vrai et le faux, que la morale est la discrimination entre le bien et le mal, que lʼéconomie est la discrimination entre lʼutile et le nuisible, il en arrive à soutenir que la politique est la discrimination entre lʼami et lʼennemi.


Toujours un pôle positif face à un pôle négatif, une « bonification » face à une « privation », pour ainsi dire. Ce que mathématiquement peut se traduire par 1 contre 0, pour poursuivre lʼanalogie avec lʼinformatique et ses données qui ont pour unité de base lʼoctet, cʼest-à-dire une suite de huit unités, ou éléments, quʼils soient positifs ou négatifs.


 


Il ne sʼagit pas, néanmoins, dʼidentifier les sources philosophiques de la technologie numérique, mais de se contenter dʼélaborer une généalogie critique de la conception du politique de Carl Schmitt.


Lequel a puisé dans lʼAntiquité la plus profonde, bien plus ancienne que la Rome ayant inventé cette science du Droit qui lui était très claire, peut-être était elle-même antédiluvienne...


 


Quoi quʼil en soit, au monde sensible peut aussi sʼappliquer cette méthode du plérôme, ou, ce qui revient au même, des syzygies. En effet, la vue nʼest-elle pas lʼopposition entre lumière et obscurité ? Lʼouïe opposition entre bruit et silence ? Lʼodorat opposition entre le fragrant et le fétide ? Le goût opposition entre le savoureux et lʼinsipide ? Le toucher opposition le doux et lʼâpre ?


 


Or, quand lʼunivers des sens se limite à cinq domaines, celui de la vie sociale est par principe infini.


Tel est le secret que nous a livré Pierre Boutang dans son très précieux essai Ontologie du secret :



« les ʽʽdyadesʼʼ, les îles jumelles toujours imitant la dualité originelle de la vie et de la mort : veille et sommeil – parole et silence – mémoire et oubli – et non, le moindre secret, larmes et sourire, hors desquels Virgile ne découvre aucune chance de penser ou rêver le fatum, lʼêtre dit, de lʼhomme. Certes nous ne décrivons pas ces dyades dans leur totalité, dont une part immense, bien quʼinfondée, est manifeste, appartient à lʼévidence anthropologique et dʼabord à lʼethnologie : comme secrètes, uniquement, dans la mesure où leur apparence est mise à part, et re-cèle ce quʼelle manifeste. »8



Carl Schmitt dénombre donc les cinq domaines de la vie sociale : lʼart, la science, la morale, lʼéconomie et le politique.


Pour lui, le politique est par voie de conséquence le « cinquième élément » de la vie sociale. Il peut être défini comme tout ce qui concerne les rapports entre les hommes relevant de la Socialité (au sens de πολιτις, politis), rapports dʼamitié, dʼinimitié ou apathiques.


 


Le fondement absolu de la communauté politique est lʼamour : ni Charles Maurras ni Hannah Arendt ne contesteraient cette proposition. Ce qui est extérieur à cette communauté – soit parce quʼil est étranger soit parce quʼil est anomique – en est un ennemi : le barbare venu de loin ou le barbare de lʼintérieur, qui, sans feu ni lieu, ne se conforme pas à la Loi, vit en marginal si ce nʼest en parasite.


Après le syntagme « sans feu ni lieu » est venu « ni foi ni loi » : cette remarque, le sympathique et très pédagogue Alain-Gérard Slama aime la répéter à lʼenvi – mais la pédagogie nʼest-elle pas lʼart de la répétition ?, cʼest dommage quʼil se soit tant écrasé dans sa jeunesse vis-à-vis de Bernard Henri-Lévy, alors quʼil le domine intellectuellement, et de très loin.


 


Mais il existe aussi – et cela nʼest pas présent dans la théorie du politique développée par Carl Schmitt – des processus sociaux de dépolitisation. Ces phénomènes sociaux à propos desquels Alexis de Tocqueville est certainement lʼun des plus éminents spécialistes.


Quelque part dans le tome de 4 de De la démocratie en Amérique il développe le propos suivant :


« On ne peut pas dire d’une manière absolue et générale que le plus grand danger de nos jours soit la licence ou la tyrannie, l’anarchie ou le despotisme. L’un et l’autre est également à craindre, et peut sortir aussi aisément d’une seule et même cause qui est l’apathie générale, fruit de l’individualisme ; c’est cette apathie qui fait que le jour où le pouvoir exécutif rassemble quelques forces, il est en état d’opprimer, et que le jour d’après, où un part peut mettre trente hommes en bataille, celui-ci est également en état d’opprimer.


Ni l’un ni l’autre ne pouvant rien fonder de durable, ce qui les fait réussir aisément les empêche de réussir longtemps. Ils s’élèvent parce que rien ne leur résiste, et ils tombent parce que rien ne les soutient. Ce qu’il est important de combattre, c’est donc bien moins l’anarchie ou le despotisme que l’apathie qui peut créer presque indifféremment l’un ou l’autre. »9


Lʼapathie est le troisième terme, lʼélément médian se situant entre amitié et hostilité.


 


Les évolutions des démocraties occidentales que lʼon observe depuis la publication des travaux de Tocqueville valident lʼanalyse tocquevillienne. La hausse tendancielle de lʼabstention serait dʼaprès Françoise Subibeau la manifestation de processus de dépolitisation :


« Aux États-Unis, cʼest dès le début des années 1960 que sʼamorce le déclin de la participation. [...] Le Canada connaît une situation analogue. »10


En outre, en ce qui concerne notre pays, elle indique quʼ « [i]l est clair, en France, que les progrès de lʼabstention ont été parallèles à lʼeffacement progressif du Parti communiste et à lʼévolution idéologique du Parti socialiste.


Lʼabstention protestataire, fondée sur le ressentiment, est une donnée permanente de la vie politique française. Une partie de lʼélectorat est tentée, de façon constante, de se réfugier dans le retrait à lʼégard du politique. Mais la montée de lʼabstentionnisme depuis le début des années 1980 semble due essentiellement à la désillusion, la constatation désabusée quʼun changement de majorité électorale nʼentraîne aucun changement dans la société politique. »11


Enfin, lʼauteur conclue « que les électeurs se détournent de plus en plus du système politique »12, en témoigne la crise des Gilets jaunes, qui a débuté le 17 novembre 2018.


 


Notre époque du triomphe démocratique et libérale – désormais en voie dʼeffondrement – se plaît à se bercer de lʼillusion que toute désignation de lʼennemi est à prohiber car polémogène, autrement dit dangereuse parce que porteuse de conflictualités.


 


La conception schmittienne du politique serait par conséquent nuisible. Elle nourrirait la violence. Elle justifierait les discours de haine. À mettre, du coup, dans les poubelles de lʼhistoire. Elle serait, horreur absolue, « fasciste ».


Rappelons-nous ce quʼa dit un jour Emmanuel Todd sur Carl Schmitt. Il lʼa présenté lors dʼun débat face à Florian Philippot animé par Daniel Schneidermann qui sʼest tenu en 2012 sur le plateau dʼArrêt sur images, comme un « théoricien allemand complètement... euh... euh... une sorte de juriste proto-nazi insupportable. »13


En lʼattaquant, le démographe et historien, au lieu dʼinvalider sa thèse schmittienne de lʼami / ennemi, la renforce. Il nomme lʼennemi, par la calomnie, lʼopprobe, le mépris.


 


Michel Foucault devait probablement vouer aux gémonies Carl Schmitt. Cependant, en sʼefforçant de déceler dans certains discours des années 1960 un fascisme chimiquement pur il sʼauto-érigeait en son meilleur disciple. Toute pensée politique est effectivement inséparable dʼune désignation de lʼennemi. Cʼest à cela quʼon la reconnaît.


Karl Marx avait fait de lʼaristocratie financière (ou bourgeoisie), la classe sociale à abattre, jugée coupable dʼexploiter économiquement et de dominer politiquement le prolétariat, les classes subalternes. Il soutenait que les élites capitalistes formaient la classe révolutionnaire par excellence14.


 


Dans la vision du monde de Maurras, la figure de lʼennemi se cristallise à travers quatre groupes, si ce nʼest tribus, identifiés à la base par La Tour du Pin et Vaugeois comme des états confédérés dressés contre la France au service du règne de lʼétranger appelé République.


Tant chez « Charles Marx » que chez « Karl Maurras » – si lʼon nous concède cette dissolution de la dualité – cʼest quʼil faut vilipender, critiquer, combattre, cʼest le maître de la loi de lʼor, le ploutocrate, quʼil sʼappelle Monod, Laffitte, Worms ou Rothschild.


 


Mais lʼautre grande métaphysique de la modernité – ou idéologie – nʼest pas exempte de cette désignation de lʼennemi. Celle qui a accouché de la Révolution de 1789 – ce libéralisme politique apparu aux temps des Lumières – eut comme cible prioritaire le catholicisme.


« Une des premières démarches de la révolution française a été de sʼattaquer à lʼÉglise »15, nous rappelle Tocqueville. Le roi très chrétien Louis XVI, garant de lʼalliance du trône et de lʼautel, fut dʼun coup était paré de tous les vices par les partisans de lʼantinomisme.


À cet égard il faut bien comprendre que le despotisme royal et lʼobscurantisme religieux étaient mutuellement solidaires : pour que lʼun soit arraché de lʼexistence sociale française il fallait arracher lʼautre.


Alexis de Tocqueville fut lʼobservateur tranquille de cette gigantesque mutation. Lui aussi sʼinquiétait de la civilisation capitaliste qui était née de la Révolution, vitupérant contre le primat de la loi de lʼor : « et comme l’argent, en même temps qu’il est devenu la principale marque qui classe et distingue entre eux les hommes, y a acquis une mobilité singulière, passant de mains en mains sans cesse, transformant la condition des individus, élevant ou abaissant les familles, il n’y a personne qui ne soit obligé d’y faire un effort désespéré et continu pour le conserver ou pour l’acquérir. L’envie de s’enrichir à tout prix, le goût des affaires, l’amour du gain, la recherche du bien-être et des jouissances matérielles, y sont donc les passions les plus communes. »16


 


Ce qui fondamentalement gênait Tocqueville, cʼétait le matérialisme. Celui de Diderot par exemple. Ses œuvres étaient pour lui de la « littérature dangereuse »17. Par-delà le matérialisme dʼun Diderot, ce que Tocqueville pourfendait cʼétait le socialisme, qui dʼaprès lui puisait sa source dans lʼécole des physiocrates dʼHolbach et dʼHélvetius.


Auxquels il rajoute les économistes, Morelly18 et Quesnay : « On croit que les théories destructives qui sont désignées de nos jours sous le nom de socialisme sont dʼorigine récente ; cʼest une erreur : ces théories sont contemporaines des premiers économistes. »19 Au fond, pour Tocqueville, qui était plus conservateur que libéral, libéralisme et socialisme sont les deux face dʼune même pièce, une sorte de Janus, dont la dialectique a régné sur le second XIXème siècle et le XXème siècle, en particulier de 1945 à 1991, autrement dit lors de la Guerre froide.


 


Frédéric Bastiat était un libéral, lui, authentique, pur sucre. Il se rangeait lui-même dans la classe (au sens fort du terme, à relier avec lʼexpression avoir la classe) des économistes. Et il sʼen prenait autant aux socialistes quʼaux catholiques, posant une dialectique bicéphale de lʼinimitié (Julien Freund, le plus grand des fidèles de Carl Schmitt choisirait plutôt le vocable dʼhostilité) : « Les socialistes disent : Les grandes lois providentielles précipitent la société vers le mal ; il faut les abolir et en choisissant dʼautres dans notre inépuisable arsenal.


Les catholiques disent : Les grandes lois providentielles la société vers le mal ; il faut leur échapper en renonçant aux intérêts humains, en se réfugiant dans lʼabnégation, le sacrifice, lʼascétisme et la résignation.


Et au milieu de ce tumulte, de ces cris dʼangoisse et de détresse, de ces appels à la subversion ou au déséspoir résigné, jʼessaye de faire entendre cette parole devant laquelle, si elle est justifiée, toute dissidence doit sʼeffacer : Il nʼest pas vrai que les grandes lois providentielles précipitent la société vers le mal. »20


 


Il existe même aujourdʼhui, comme on vient de le voir, une voie libérale pour condamner le capitalisme. Le Capital, entendu au sens de lʼUsure, voilà lʼennemi ! Et nʼallez pas croire que cʼest être marxiste, ni même marxien, que de dire cela.


Cʼest tout simplement une devise catholique, héritière de la sainte colère21 du Christ contre les marchands du Temple. Cela prend tout son sens à lʼheure où nous vivons la « chute de Rome », la seconde, et il nʼy pas à sʼen faire, Augustin dʼHippone nous le dirait, car ainsi le veut la Providence, pour reprendre un terme abondamment utilisé par Bastiat dans ses œuvres, mais auquel Augustin et Schmitt accordaient une importance relevant dʼune toute autre dimension.


 


 


1Le Savant et le Politique de Max Weber nʼest pas à précisément parler un essai, dans le sens où cʼest une compilation de deux conférences quʼa données le sociologue allemand au moment de la Première Guerre mondiale.


2Aleister Crowley, Astrologie. Archétypes de lʼunivers astral selon la mythologie et les traditions occidentales, Paris, Saint Jean de Braye, 1974, pp. 66-67.


3Cʼest lui-même qui le dit, dans la préface de lʼessai précité, page 20.


4Rémi Hugues, Mai 68 contre lui-même, Paris, Édilivre, 2018, p. 66-67.


5Paris, Flammarion, 2015, p. 105.


6Grégoire de Nysse, La création de lʼhomme, Paris, Cerf, 1943, p. 84.


7Ibid., p. 85.


8Pierre Boutang, Ontologie du secret, Paris, P.U.F., 2016, p. 20.


9https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Alexis_de_Tocqueville_-_De_la_d%C3%A9mocratie_en_Am%C3%A9rique,_Pagnerre,_1848,_tome_4.djvu/363


10« Abstention » in Pascal Perrineau et Dominique Reynié, Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001, p. 1.


11Ibid., p. 3.


12Ibid., p. 4.


13https://www.dailymotion.com/video/xqfakn


14Lire à ce sujet Idées et doctrines de la Contre-révolution de Pierre de Meuse, Poitiers, Éditions Dominique Martin Morin, 2019.


15Alexis de Tocqueville, LʼAncien régime et la révolution, Paris, Folio p. 101.


16Ibid., p. 94.


17Ibid., p. 245.


18Lire à ce sujet son Code de la Nature (1755), ouvrage méconnu des Lumières, pourtant fondamental.


19Ibid., p. 254.


20Frédéric Bastiat, Harmonies économiques, t. 6, Paris, Guillaumin et Cie, 1879, p. 11.


21Qui fut annoncée par Ézéchiel, et chacun appréciant les films de Quentin Tarantino se rappelle de cette scène de Pulp Fiction où le personnage appelé Jules Winnfield et interprété par Samuel L. Jackson récite, avant de commettre un assassinat, la « Marche des Vertueux » (Éz 25 : 17).


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