Nous avons tous maintenant une meilleure idée des ravages qu’un seul petit virus peut causer à une population mal préparée et mal dirigée. Notre expérience des deux dernières années devrait nous rendre plus vigilants et nous apprendre à nous méfier des autorités qui, à Ottawa, sont plus qualifiées à briller sur une plage qu’aux commandes de l’État. Pour notre propre bien, nous aurions sans doute intérêt à compter davantage sur nous-mêmes que sur les autres. La présente pandémie nous aura une fois de plus rappelé qu’il y a un prix à payer à ne pas assumer son propre destin. Examinons maintenant la menace sanitaire que représente le virus de la variole.
La « picote », la « petite vérole » et la « variole » sont trois termes qui identifient la terrible maladie infectieuse qui a affligé l’humanité depuis de nombreux siècles. Suite à une entreprise internationale destinée à vaincre le mal à sa source et une fois pour toutes, l’Organisation Mondiale de la Santé déclarait victoire le 8 mai 1980 et proclamait solennellement l’éradication de la variole.
En conséquence, tous les pays ont abandonné leurs programmes de vaccination antivariolique. Sauf aux États-Unis et en Russie, tous les stocks de virus des laboratoires ont été détruits. La dernière personne emportée par la variole a été Janet Parker, une technicienne contaminée accidentellement en 1978 dans un laboratoire de la faculté de médecine de Birmingham. Dans la mesure où la proclamation optimiste de l’O.M.S. est fondée, plus jamais un être humain ne devrait décéder des suites de cette terrible maladie.
Jeffrey Amherst n’y a vu aucune question de conscience
Mais les contaminations n’ont pas toujours été d’origine naturelle ou accidentelle : le virus a déjà été utilisé à des fins stratégiques et militaires. L’un des cas les mieux documentés de cet usage malveillant et meurtrier est celui du général Jeffrey Amherst, commandant en chef des forces britanniques en Amérique du Nord. Dans une dépêche du 7 juillet 1763 adressée à son subalterne, le colonel Henry Bouquet, Amherst lui ordonnait de faire le nécessaire pour transmettre la variole parmi les populations indiennes qui venaient de se soulever contre les britanniques menaçant leurs territoires de chasse.
Quelques semaines plus tard, une épidémie de variole causait des ravages importants parmi les indiens Delawares, Shawnees et Mingos. Quatorze mois plus tard, un témoin rapportait que l’épidémie continuait à semer la désolation parmi les Shawnees. C’est ainsi que, faute d’ennemis et de combattants, la révolte s’est éteinte d’elle-même. Il s’agit là d’une preuve éloquente de l’efficacité d’un agent biologique utilisé à des fins militaires. À la ville de Montréal, le nom d’une rue a même été dédié à la mémoire de ce stratège qui, par son audace et son inconscience, a permis à l’humanité de faire un pas de plus dans la manière de régler en douce le cas de ceux qui dérangent et qui ne méritent pas de vivre. Voilà un bien étrange panthéon municipal où les héros sont à la fois nobles et ignobles, honorés et déshonorants.
Depuis lors, on ne compte plus les États séduits par l’idée d’un usage militaire d’agents infectieux. De nombreuses recherches ont été conduites en ce sens et des stocks importants et variés de produits biologiques ont été cultivés et accumulés à des fins militaires mais, à de rares exceptions près, les États qui s’étaient approprié l’arme biologique n’ont pas osé en faire usage. À partir des années 1980, toutefois, des organisations criminelles, voire terroristes, se sont intéressées au potentiel dévastateur de l’arme biologique. Outre quelques attentats sans lendemain, d’innombrables canulars et menaces non fondés ont révélé l’intérêt de nombreux groupes pour l’acquisition et l’usage de l’arme biologique. Jusqu’à ce jour, l’absence de moyens technologiques a été le premier facteur à contrarier les espoirs de ceux qui veulent s’en prendre au genre humain pour promouvoir des projets politiques. Mais, il est permis d’avancer que la situation n’aurait pas été la même si ces individus ou groupes avaient eu l’opportunité de mettre la main sur le virus de la variole, lequel peut être cultivé sans besoin de recourir à un support technologique de pointe. Les gestes criminels du général Amherst sont là pour rappeler à notre souvenir à quel point il peut être facile de répandre aveuglément la mort avec des moyens dérisoires.
Il existe des réserves naturelles du virus
Malgré l’affirmation rassurante de l’O.M.S. à l’effet que l’humanité ne court plus de risque d’épidémie de variole parce qu’il n’existe plus de réservoirs naturels du virus, il se trouve quelques bonnes raisons de ne pas partager un tel optimisme. Les changements climatiques qui ont cours depuis des années pourraient permettre au virus de la variole de refaire surface et d’amorcer, sans prévenir, une nouvelle carrière de destruction de vies humaines.
À l’analyse des archives laissées par la compagnie de la Baie d’Hudson portant sur les causes de mortalité de son personnel des régions nordiques et de la façon dont les corps étaient ensevelis dans le pergélisol, force est de constater qu’il y a encore des réservoirs du virus qui pourraient être dégagés par l’érosion du sol ou des glissements de terrains provoqués par le recul du pergélisol.
À partir de 1714, la compagnie de la Baie d’Hudson a tenu au jour le jour un registre de ses activités au comptoir central de York, situé à l’embouchure de la rivière Hayes. Entre autres informations, on y retrouve des notes précises sur l’état de santé des employés, sur les décès survenus et leurs causes. On y apprend que les sépultures sont creusées à une certaine profondeur dans le pergélisol et que les corps sont préalablement déposés dans des cercueils en bois. Compte tenu que le virus de la variole s’est avéré extrêmement résistant lorsque conservé au sec et à basse température, il est permis de croire qu’il soit encore présent dans certains cimetières de nos régions nordiques. Il peut être également présent dans les autres régions froides du monde où il est d’usage de creuser dans le pergélisol pour ensevelir les morts. Étant donné que ce micro-organisme peut survivre presque indéfiniment à l’état de gel, le risque existe que des sépultures anciennes soient ramenées en surface par l’érosion ou des glissements de terrain provoqués par les changements climatiques. Un tel risque existe certainement dans les anciens cimetières de la compagnie de la Baie d’Hudson.
Compte tenu des effets des changements climatiques et des risques encourus pour la santé humaine, il serait prudent de ne plus partager l’optimisme de l’O.M.S., de réévaluer les risques de contamination et de penser à vacciner préventivement le personnel médical oeuvrant dans les régions où la réapparition du virus est susceptible de se produire. Il serait également utile de mettre au point des plans de repérage et de surveillance des anciens cimetières en zone nordique, et ce, afin de s’assurer que nulle personne ne puisse s’emparer du virus pour l’utiliser à des fins militaires ou créer des états de panique dans les populations. Il y a là un danger réel. Dans quelle mesure est-il grave et imminent, la question demeure ouverte et requiert un minimum d’attention. Nous venons de recevoir une bonne mise en garde. Au-delà des accidents, il y aura toujours quelqu’un quelque part qui, comme le général Amherst, se sentira justifié de recourir à des moyens extrêmes pour régler le compte de ceux qui « dérangent et ne méritent pas de vivre ».
Christian Néron
Membre du Barreau du Québec
Constitutionnaliste,
Historien du droit et des institutions.
Références :
- Joseph Kennedy, "The Archaeological Recovery of Smallpox Victims in Hawaii : Scientific Investigation or Public Health Threat ?" Perspectives in Biology and Medecine, 37 (Summer 1994) 499-510.
- William B. Ewart, "Causes of Mortality in a Subartic Settlement (York Factory, Manitoba)" Canadian Medical Association Journal, 129 (Sept. 1983) 571-74.
- Henri Hubert Mollaret, L’arme biologique: bactéries, virus et terrorisme, Plon, 2002.
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