par Joël-Denis Bellavance

Le froid qui s'est installé entre le Canada et la Chine depuis l'arrivée au pouvoir de Stephen Harper risque de nuire considérablement aux échanges commerciaux entre les deux pays.
Et le Canada pourrait bien être le grand perdant de cette partie de bras de fer, estiment plusieurs experts, des gens d'affaires et l'opposition officielle à la Chambre des communes. D'autant plus que la Chine, qui connaît une croissance économique annuelle moyenne de quelque 10% depuis plusieurs années, est devenue au fil des ans le deuxième partenaire commercial du Canada après les États-Unis.
En 2005, les échanges commerciaux entre le Canada et la Chine dépassaient 33 milliards de dollars, et les deux pays se sont donné comme objectif de les faire passer à 60 milliards d'ici 2010.
Les tensions sont encore plus palpables au sommet de l'APEC, qui réunit actuellement les principaux pays de la région de l'Asie-Pacifique à Hanoï, au Vietnam.
Le président chinois, Hu Jiantao, a annulé une rencontre qu'il devait avoir la semaine dernière avec Stephen Harper, signe évident de l'irritation des dirigeants chinois envers le gouvernement conservateur. M. Harper a réagi à cette décision en affirmant que le Canada n'avait pas l'intention de «brader» les droits de l'homme simplement pour avoir de meilleures relations commerciales avec la Chine et empocher «les puissants dollars» de ce pays de plus d'un milliard d'habitants.
Au cours des dernières heures, les autorités chinoises ont finalement remis à l'ordre du jour cette fameuse rencontre, la première entre les deux hommes. Mais le tête-à-tête officiel reste à confirmer.
De toute évidence, le président chinois n'a guère prisé que Stephen Harper insiste autant pour aborder la question du respect des droits de l'homme en Chine durant le Sommet de l'APEC.
Gens d'affaires inquiets
Cet incident s'ajoute à une série d'autres survenus au cours des derniers mois qui ont contribué au refroidissement des relations sino-canadiennes. Cette situation inquiète d'ailleurs grandement les gens d'affaires, qui invitent le premier ministre Harper à corriger le tir rapidement.
«En n'ayant pas des relations commerciales robustes et positives avec la Chine, le Canada est en train de faire littéralement une croix sur un pays où tout le monde tente de brasser des affaires», a fait valoir Shirley-Ann George, de la chambre de commerce du Canada.
«Le monde entier se rend en Chine pour faire des affaires, et la file d'attente est assez longue. Alors il ne faut rien tenir pour acquis», a soutenu Sergio Marchi, ancien ministre libéral du commerce aujourd'hui président du Conseil commercial Canada-Chine.
Michael Byers, professeur à l'Institut Liu de l'Université de la Colombie-Britannique, a affirmé hier sur les ondes du réseau CTV Newsnet que le gouvernement Harper ne semblait pas comprendre toute la complexité des relations canado-chinoises. Certes, il est important de soulever la question du respect des droits de l'homme, mais il faut le faire sans offusquer les dirigeants chinois. «La décision du gouvernement Harper d'aborder de front la question des droits de l'homme est une chose noble et correcte. Mais je suis inquiet de la manière dont cela est fait. Il le fait sur la base d'une relation qui est fragile en ce moment», a dit M. Byers. «Je crois que les choses ont vraiment mal commencé. Le gouvernement a carrément négligé les relations avec la Chine et maintenant nous payons le prix de cette négligence. Je ne vois aucune contradiction entre l'idée de promouvoir les droits de l'homme et celle de consolider des relations commerciales. Mais il faut que cela soit fait de manière coordonnée.»
Le piège des droits de l'homme
John Manley, qui a été ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Chrétien, a aussi critiqué le ton adopté par Stephen Harper à l'endroit de la Chine: "Le premier ministre a l'obligation de faire preuve de prudence lorsqu'il choisit ses mots. Il ne pourra faire de percée en Chine s'il tente de coincer les Chinois au point de les embarrasser. Il faut aborder la question des droits de l'homme, mais il faut le faire de manière constructive", a-t-il dit à l'émission Mike Duffy Live, sur CTV Newsnet.
Les libéraux, lorsqu'ils étaient au pouvoir, avaient pris soin de cultiver les relations avec la Chine. Jean Chrétien s'est rendu en Chine six fois en 10 ans, dont deux fois à la tête de missions commerciales d'Équipe Canada. Il a rencontré les dirigeants chinois à 16 reprises en une décennie. Mais il a toujours pris soin de soulever à sa manière la question des droits de l'homme. Paul Martin avait aussi fait de l'accès au marché chinois l'une de ses priorités en matière d'affaires étrangères durant ses deux ans comme premier ministre.
Mais les groupes de défense des droits de l'homme comme Amnistie internationale saluent le ton plus ferme adopté par Stephen Harper: "Il y a toujours des préoccupations au sujet des droits de l'homme et le gouvernement fait bien de les aborder", a-t-on fait savoir.
LA CHINE IRRITÉE
Il est vrai que les relations entre le gouvernement Harper et Pékin ont mal commencé. Deux mois seulement après son arrivée à la tête de la diplomatie canadienne, le ministre des Affaires étrangères, Peter MacKay, a en effet affirmé que le gouvernement canadien avait "des preuves " que des agents secrets chinois se livraient à de l'espionnage industriel au Canada. Cette déclaration avait soulevé l'ire de l'ambassadeur Lu Shumin, qui avait nié avec véhémence cette allégation. M. MacKay n'a d'ailleurs toujours pas rencontré l'ambassadeur chinois depuis qu'il a été nommé ministre. La Chine a également mal digéré que le ministre de l'Immigration, Monte Solberg, rencontre le dalaï-lama, à qui le Canada a récemment accordé la citoyenneté canadienne à titre honorifique.
Encore hier, le gouvernement canadien a refusé de prolonger le visa d'un employé de l'ambassade chinoise à Ottawa, Wang Pengfei, parce qu'il aurait espionné des membres du groupe Falun Gong, un groupe religieux interdit en Chine.