L'option souverainiste peut-elle survivre à la débâcle électorale du parti politique qui la porte depuis près de 40 ans? Voilà la question que se posent aujourd'hui de nombreux indépendantistes lorsqu'ils ne sont pas occupés à chercher qui, du chef ou du programme, il faut blâmer pour la déconfiture du Parti québécois.
Avec 28 % des suffrages, le PQ est passé lundi sous le seuil des «purs et durs», évalué à 34 %, soit le noyau qui voterait pour la «séparation» sans offre de partenariat avec le Canada. Pourtant, il y a moins de deux ans, l'option caracolait à 54 % dans les sondages, gonflée par le scandale des commandites. On rappelait aussi que les aînés attachés à l'identité canadienne-française étaient progressivement remplacés par les baby-boomers, que les jeunes étaient plus souverainistes et que les néo-Québécois devenaient moins réfractaires à cette idée.
Le fruit espéré n'a pas pu être cueilli et le PQ est maintenant relégué au troisième rang à l'Assemblée nationale. À l'horizon, une crise interne menace au sein du Parti québécois. «L'option souverainiste risque d'être orpheline de son parti», fait observer le sociologue Simon Langlois, de l'Université Laval. Il croit néanmoins que le noyau dur pourrait raviver les braises souverainistes, d'autant plus que l'appui à la souveraineté oscillait toujours autour de 44 % pendant la campagne électorale (avec une question référendaire qui n'impliquerait pas de partenariat avec le Canada).
«Depuis le début des années 2000, il y a un divorce entre le niveau d'appui à la souveraineté et celui des intentions de vote en faveur du Parti québécois. On veut la souveraineté, mais on pense que les conditions ne sont pas réunies, que les astres ne sont pas alignés pour s'engager dans un référendum», fait observer le sociologue, précisant qu'auparavant, le PQ était généralement plus populaire que son option.
Résultat des courses: bon nombre de ces électeurs qui se déclarent souverainistes ont accordé leur vote à l'ADQ lundi, sans compter ceux qui ont opté pour les verts, pour Québec solidaire, ou qui sont carrément restés chez eux.
Discours identitaire
Comment une telle faction de souverainistes a-t-elle pu faire le saut à l'ADQ? La question est complexe et il faudra certainement plusieurs mois avant d'y voir clair. Cependant, plusieurs observateurs pointent déjà en direction du sentiment identitaire, que l'ADQ aurait mieux su incarner à l'extérieur de Montréal.
«Nos nationalistes ont eu le sentiment que le vrai défenseur de l'identité québécoise, c'était Mario Dumont. Ça fait mal», avance l'historien Éric Bédard, qui présidait le comité des jeunes du PQ au moment du référendum de 1995. Selon lui, c'est le discours du chef adéquiste sur les accommodements raisonnables qui a été le point tournant. «En disant que ce n'est qu'une question de droits et de libertés, André Boisclair a laissé le cheval de l'identité québécoise, dont Mario Dumont s'est emparé. Cela a été le laissez-passer pour aller vers l'ADQ», poursuit M. Bédard, qui trace un parallèle avec la position du premier ministre unioniste Jean-Jacques Bertrand en faveur du libre choix en matière de langue d'enseignement en 1969 (bill 63), ce qui lui avait coûté la victoire par la suite.
Pour M. Bédard, le Parti québécois a mis en sourdine le discours identitaire dans son argumentaire depuis le traumatisme causé par la déclaration de Jacques Parizeau sur le vote ethnique le soir du référendum de 1995. «On a tellement voulu montrer patte blanche qu'on a tourné le dos au pathos identitaire. Ça ne sentait pas bon, ça sentait l'ethnicisme», fait valoir M. Bédard, qui estime que le PQ a fait la promotion d'un «souverainisme dénationalisé». «On veut faire la souveraineté au nom de la vertu supérieure du peuple québécois, plus écologiste, social-démocrate, ouvert sur le monde, plutôt que parce que nous sommes un peuple inscrit dans l'histoire, qui veut s'inscrire aussi dans la durée», analyse l'historien.
Tout en jugeant adéquate la réponse du chef péquiste aux accommodements raisonnables, le président de la Société Saint-Jean-Baptiste, Jean Dorion, est lui aussi d'avis que la question identitaire est négligée dans le discours péquiste depuis plusieurs années. Il cite en preuve le peu de cas fait de la langue française dans le programme péquiste. «C'est même le parti qui en a le moins parlé», déplore M. Dorion, rappelant que le PQ n'a pas fait entrer en vigueur la loi adoptée en 2003 qui faisait du français la langue des communications de l'État. «M. Dumont a fait vibrer la corde identitaire d'une façon pas très saine. Cela a contribué à le faire monter et à distraire les gens de questions tellement plus importantes, comme le bilinguisme de la société et l'hégémonie de l'anglais», croit M. Dorion, qui dénonce le fait que la moitié des nouvelles infrastructures hospitalières de la métropole sera gérée en anglais.
Au discours identitaire, pierre d'assise du Parti québécois dès sa fondation, a succédé un autre discours, plus pragmatique, qui s'est appuyé entre autres sur le déséquilibre fiscal au cours des dernières années. Cette réorientation a mené à une argumentation un peu trop «comptable» au goût du président du Conseil de la souveraineté, Gérald Larose. «Ma préoccupation, c'est que la souveraineté redevienne une question identitaire et moins une question comptable, de bouts de ski, moins une question de stratégie où on travaille sur les modalités et le calendrier», plaide l'ancien syndicaliste, convaincu qu'il faut maintenant recréer une nouvelle coalition souverainiste puisque le PQ n'en est plus une en soi.
«Ça reste à inventer. J'ai récemment rencontré des artistes qui étaient eux aussi surpris des résultats électoraux. Ils pensent qu'il faut qu'on reparle du pays, mais pas comme des comptables», explique M. Larose.
L'autonomie
Une autre explication de la désertion de plusieurs souverainistes vers l'ADQ pourrait se trouver du côté de la position autonomiste de ce parti. La célèbre boutade d'Yvon Deschamps («Un Québec fort dans un Canada uni») représente peut-être encore l'idéal de plusieurs Québécois.
Mario Dumont peut-il aller au bout de sa logique et exiger de nouveaux pouvoirs à Ottawa, à la faveur d'un gouvernement conservateur? Le champ de la politique-fiction est ouvert. S'il se hissait au pouvoir, s'il osait mener cette bataille et se faisait dire non, qu'adviendrait-il? Et si on lui disait oui?
«Comme c'est un film qu'on a déjà vu, il se jouerait vite. Je ne crois pas qu'on va veiller tard sur la question de l'autonomie. Je ne sais même pas si Mario Dumont va avoir la force d'aller au bout du processus», affirme Gérald Larose. Celui-ci est convaincu qu'un hypothétique pèlerinage de Mario Dumont à Ottawa se terminerait dans le même «cul-de-sac» que celui où avait abouti Robert Bourassa. «[Les adéquistes] vont finir par se démarquer: les uns seront canadiens, les autres québécois.»
Jean Dorion juge lui aussi la position autonomiste de l'ADQ complètement «irréaliste». «Si Mario Dumont va à Ottawa et se fait dire non, peut-être que cela pourrait aider un parti indépendantiste ou l'idée d'indépendance», avance-t-il prudemment avant de préciser que le PQ ne doit surtout pas laisser de terrain à l'ADQ. Une chose est certaine, tant pour M. Dorion que pour plusieurs autres indépendantistes: le PQ ne doit pas renoncer à son option et devenir une deuxième ADQ. «Ce serait la mort du PQ. On ne peut pas battre un tel parti populiste sur son propre terrain», lance-t-il.
Moins tranché, le philosophe Michel Seymour, ex-président des Intellectuels pour la souveraineté, est prêt à appuyer Mario Dumont s'il se lance dans une quête constitutionnelle. «Si on transformait radicalement l'État fédéral en un État multinational, je deviendrais moi-même un fédéraliste. Mais je suis souverainiste parce que je crois que c'est devenu impossible», fait-il valoir, conscient que les péquistes sont plutôt réfractaires à une telle ouverture. «On refait le script de Meech, mais cette fois-ci, peut-être qu'on aurait autre chose qu'un premier ministre qui, en fait, ne voudrait jamais de la souveraineté comme Bourassa», suggère M. Seymour.
Pour l'heure, de telles questions ne se posent pas: Mario Dumont n'est pas premier ministre et ne peut donc pas formuler de demandes à Ottawa. Les souverainistes en sont plutôt à se demander comment traverser le désert.
Pour les militants de la première heure, quelques leçons doivent d'abord être tirées de la campagne électorale. D'abord, un chef en campagne ne doit plus être encarcané dans un échéancier référendaire trop strict, qui le mène à promettre un référendum le plus tôt possible au cours d'un premier mandat et à pousser l'audace jusqu'à vouloir le tenir en situation de gouvernement minoritaire.
C'est notamment l'avis de l'ancien ministre péquiste Marc-André Bédard. «Les Québécois n'acceptent pas que le premier ministre de tous les Québécois soit enchaîné sur la stratégie et sur le moment de la réaliser par un parti», fait valoir M. Bédard, dont le fils, Stéphane, est aujourd'hui député de Chicoutimi.
Selon M. Bédard, les souverainistes doivent cesser de chercher «des raccourcis» pouvant mener à la souveraineté. «Faire la souveraineté, c'est convaincre, animer un milieu et sa population, s'inscrire dans tous les secteurs d'activité», plaide-t-il.
Le conseil du sage péquiste qui fut aux côtés de René Lévesque dès la fondation du Parti québécois reçoit écho dans les propos de Gérald Larose et de Jean Dorion. «Il faut reprendre la pédagogie de la souveraineté. Il n'y a eu aucune démarche dynamique sur l'indépendance depuis des années, et pas juste sous Boisclair: ça remonte au départ de Jacques Parizeau. On dirait qu'on attend que l'idée se diffuse d'elle-même dans la population», déclare Jean Dorion.
Celui qui a la tâche titanesque de faire la promotion de la souveraineté à l'extérieur du cadre péquiste, Gérald Larose, pense lui aussi que tous les enjeux doivent être «traités systématiquement à l'aulne du projet à construire». «Le développement local, les accommodements raisonnables, le développement durable, etc., il faut systématiquement imposer notre point de vue indépendantiste», plaide-t-il. À l'instar de Marc-André Bédard, il conclut que les Québécois en ont assez de «la fixation sur la modalité référendaire et sur son calendrier». «Pour moi, c'est secondaire. On n'est plus prêts à parler de la question de la souveraineté sur la question de la modalité. Sur celle d'un projet de société à construire, oui!»
Le lendemain de veille est difficile pour les souverainistes, qui doivent encore comprendre ce qui s'est produit lundi, panser leurs plaies, reprendre leur souffle. Mais la plupart des souverainistes interrogés ne sont pas prêts à renoncer au pays. L'idée saura-t-elle traverser la tempête? Seul l'avenir le dira. Ceux qui s'ennuient déjà des débats référendaires peuvent toujours se sustenter partiellement en suivant les élections écossaises du 1er mai prochain, alors que le Parti national écossais (SNP), qui domine dans les sondages, promet un référendum sur l'indépendance.
La souveraineté peut-elle survivre?
«L'option risque d'être orpheline de son parti»
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