La province et le butin

Le destin québécois


Mathieu Bock-Côté, Échos Montréal, vol.18, no.1, janvier 2011, p.9
Janvier. C’est le moment convenu pour afficher un peu d’optimisme pour l’année à venir. Rien de tel n’est toutefois permis sur le plan politique. Les choses vont mal et risquent d’aller encore plus mal. C’est ce qu’on appelle une spirale régressive. Autrement dit, le Québec est en déclin.
On le sait, 2010 s’est déroulé sous le signe de la corruption. Le Québec a l’allure d’une province conquise où chacun vient piller dans le trésor public sa part du butin. Le débat public est d’ailleurs obstrué par les rumeurs de corruption. Désespérés par ce spectacle, certains en viennent à faire de l’honnêteté leur seul projet de société.
Faut-il y voir seulement le signe d’une dégénérescence des mœurs politiques ? C’était la thèse soutenue par le Maclean’s en septembre dernier. Pour le Maclean’s, à cause de son vieux fond catholique et de son nationalisme, le Québec serait abusivement permissif envers la corruption et ce qu’elle implique.
Cette explication relève du mépris traditionnellement entretenu par le Canada anglais à notre égard. En plus, elle néglige le fait qu’une part significative de la corruption est liée aux différentes factions qui trouvent un avantage matériel à la perpétuation du régime fédéral. Le fédéralisme est aussi une affaire de gros sous.
Je formule une autre hypothèse : les scandales à répétition sont symptomatiques d’une forme de dislocation en profondeur de la société québécoise. Ils ne sont que l’expression caricaturale d’une dissolution radicale de l’intérêt public, les corporatismes s’accaparant chacun leur morceau. Le bien commun est charcuté.
Les problèmes graves qui exigeraient une réponse volontariste de la part de l’État se multiplient. Mais au même moment, c’est sa capacité à formuler ces problèmes dans l’espace public qui est neutralisée. Et ce qui devrait relever de la gestion élémentaire des affaires publiques se transforme en problème insurmontable.
Un exemple : l’échangeur Turcot. Comment la rénovation d’un échangeur, aussi important soit-il pour la circulation dans la métropole, a-t-il pu devenir un symbole de l’impuissance québécoise ? On peut y voir à la fois le signe d’une concurrence entre différentes agences bureaucratiques dans l’État québécois, ainsi que l’emprise croissante de la gauche écolo sur le débat public.
Un autre exemple : la saga du CHUM. Derrière le débat sur son emplacement se trouvait un problème fondamental : le consentement à la construction de deux mégahôpitaux. Un seul hôpital universitaire aurait dû suffire. Mais il aurait été francophone. Par une étonnante confusion entre les droits historiques de la minorité anglaise et leur transformation en privilèges communautaristes, nous avons préféré en construire deux. Au diable la dépense !
Dernier exemple, moins attendu : la confiscation de l’école par le lobby pédagogiste. Les classes sont transformées en laboratoires où les enseignantes doivent gérer des élèves de moins en moins disciplinés. Il devrait être aisé de revenir à une école plus classique, plus traditionnelle, qui restaure sa vocation première et le sens de l’autorité qui l’accompagne : instruire, transmettre des connaissances. Il faudrait pour cela casser la bureaucratie du ministère de l’Éducation. Plusieurs ministres ont essayé. Aucun n’y est parvenu.
On pourrait poursuivre longtemps la démonstration qui revient à un problème de base. Même lorsque le gouvernement discerne l’intérêt public, il parvient de plus en plus difficilement à gouverner selon ses exigences, tant il semble paralysé devant des corporatismes particulièrement puissants. C’est la classe moyenne qui en paie le prix. Ses membres ne disposent que de leur bulletin de vote pour peser politiquement et elle n’est pas organisée en lobby.
Le Québec se disloque sous la pression des corporatismes privés et publics. Ce n’est pas seulement d’une alternance au gouvernement que nous avons besoin, mais d’une véritable alternative, d’une refondation. Elle n’arrivera pas en 2011. On pourrait à tout le moins commencer à l’imaginer.


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