Pauline Marois m’a appelé jeudi matin pour me dire que j’étais «à côté de mes pompes» en écrivant, dans ma chronique du jour, que «si Mme Marois, ex-ministre de la Santé, et son gouvernement avaient manifesté le même empressement pour le nouveau CHUM au début des années 2000, on y soignerait des patients depuis quatre ou cinq ans déjà».
De fort bonne humeur (c’est elle-même qui le dit!), la chef du PQ m’a rappelé, ce qui est vrai, qu’elle a beaucoup poussé pour que le CHUM soit construit au site original du 6000 Saint-Denis, contredisant même son chef Bernard Landry et ses collègues. Vrai aussi, Mme Marois ne peut être tenue responsable des décisions (ou, plutôt, de l’indécision) du gouvernement Charest dans le dossier à partir de 2003.
Cela dit, Mme Marois convient que son gouvernement, qui avait lancé le projet du CHUM en 2000, n’a pas livré la marchandise.
Ce que je retiens surtout de cet appel matinal, c’est que Mme Marois ne voulait pas parler du dossier chaud de l’heure: le futur amphithéâtre de Québec (et les contorsions juridico-politiques de son parti pour accommoder le maire ).
«Je comprends que nous ne sommes pas du même avis sur la question, et je respecte votre opinion», m’a simplement dit Pauline Marois, ajoutant que Denis de Belleval s’agite autant simplement parce qu’«il est contre le projet».
Voilà mon point, justement: M. De Belleval, comme n’importe quel citoyen, a parfaitement le droit d’être contre et il existe des recours légaux pour faire valoir son opposition (une requête en nullité), recours dont le PQ, le gouvernement libéral, l’ADQ et le maire veulent le priver.
Si le «deal» est légal, solide et justifié, pourquoi craindre une contestation? Pourquoi une loi spéciale? N’utilise-t-on pas ici une masse pour tuer une mouche?
Selon Mme Marois, il n’est pas inusité, pour l’Assemblée nationale, de légiférer pour «rendre légal ce qui est illégal». Elle ajoute que l’Assemblée nationale l’a fait au moins 25 fois, dossiers à l’appui.
Je veux bien que les députés permettent, de façon exceptionnelle, à un village d’enterrer ses déchets dans le village d’à côté, même si cela est illégal en principe, mais il me semble que l’affaire qui nous préoccupe ici est d’une toute autre envergure, non?
Pour mieux comprendre, d’ailleurs, les tenants et aboutissants juridiques, je vous suggère la chronique de mon collègue Yves Boisvert.
Quant au droit au recours juridiques de Denis de Belleval (ou de quiconque), voyez la jurisprudence relevée par le professeur de droit constitutionnel et administratif de l’Université de Montréal, Frédéric Bérard, dans ma chronique de jeudi.
Mais de ça, Pauline Marois ne voulait pas vraiment parler. Je la comprends, parce que la suite de l’histoire s’annonce encore plus gênante que l’épisode du projet de loi spéciale.
Le PQ, opposition officielle à l’Assemblée nationale, s’apprête en effet à appuyer le recours au bâillon, pour faire passer la loi spéciale bétonnant le deal -Quebecor.
Ben coudonc, la fin justifie les moyens, apparemment. Surtout quand cette fin est purement électoraliste.
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À quoi joue le PQ?
Cyberpresse le 26 mai 2011
Difficile de dire ces jours-ci à quoi jouent exactement les députés à Québec, en particulier ceux du Parti québécois, dans le dossier du nouvel amphithéâtre, mais l'expression «attaque à l'emporte-pièce» popularisée par le regretté René Lecavalier, s'appliquerait ici à merveille.
La députée du PQ, Agnès Maltais, doit déposer ce matin à l'Assemblée nationale un projet de loi pour contrecarrer toute contestation juridique de l'entente entre la Ville de Québec et Quebecor.
Le geste est non seulement inusité, il est franchement douteux puisqu'il demande aux élus de priver préventivement un ou des citoyens d'un recours prévu dans notre système.
«La majorité veut un amphithéâtre», clame le maire Labeaume, conclusion reprise prestement par la chef du PQ, Pauline Marois. Voilà un argument glissant: à partir de quand, au juste, retire-t-on des droits à certains pour satisfaire la majorité? Et on arrête où? Le devoir des élus n'est pas de se cacher, par pur opportunisme politique, derrière la majorité, mais de protéger les droits de tous.
Douteuse, aussi, cette manoeuvre parce qu'elle défie le bon sens. Si cette entente est aussi extraordinaire que prétendent ses défenseurs, à commencer par M. Labeaume, qu'on la présente et elle recueillera nécessairement l'adhésion du public. Et puisqu'elle est légale, comme le disent les rares élus qui l'ont vue, pas de problème, elle résistera sans coup férir aux attaques. Elle s'en trouvera même renforcée.
À moins que le projet de loi vise à prévenir les coups, en légitimant rétroactivement une entente qui, comme l'ont laissé entendre les juristes de l'État, tourne peut-être un peu les coins ronds.
Le sort du projet de loi est entre les mains d'Amir Khadir, seul député de Québec solidaire, qui a déclaré hier qu'il s'y opposera. Oh là là, le «King» du Plateau qui ose se dresser devant l'empereur de Québec, ça va crier dans la capitale nationale...
Inusitée, douteuse, la démarche soutenue par le PQ de Pauline Marois (avec le silence complice des libéraux) est aussi futile puisque, selon des spécialistes consultés, l'État ne peut, même avec une loi spéciale, empêcher une éventuelle requête en nullité.
Voici un extrait d'une décision de la Cour suprême dans une affaire de requête en nullité (Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), 1991): Le principe de subordination de l'administration publique au pouvoir de surveillance des cours supérieures est la pierre angulaire du système de droit administratif canadien et québécois. Ce contrôle judiciaire est une conséquence nécessaire de la rule of law telle qu'identifiée par Dicey dès 1885, dans son ouvrage Introduction to the Study of the Constitution. (...) Dicey voyait trois sens à la rule of law: premièrement, le principe de légalité et la loi gouvernent les actes de l'autorité publique par opposition à l'arbitraire et aux vastes pouvoirs discrétionnaires; deuxièmement, tous sont égaux devant la loi; et troisièmement, tous sont justiciables devant les tribunaux de droit commun. Ces principes signifient fondamentalement que l'exercice du pouvoir public doit être contrôlé et en corollaire, que l'administré doit posséder les recours appropriés pour se protéger contre l'arbitraire. C'est à partir de ces principes que se fonde, dans notre système juridique et politique, le contrôle judiciaire des cours de justice sur l'action administrative.»
Agnès Maltais a elle-même précisé mardi qu'«en aucun cas, ce projet de loi n'empêche des poursuites».
Le maire Labeaume, lui, a réclamé ce projet de loi privé «pour tuer dans l'oeuf toute éventuelle contestation judiciaire du projet d'amphithéâtre multifonctionnel». Et Mme Marois, de son côté, a affirmé mardi à Québec que son parti prenait ses responsabilités en parrainant un projet de loi spécial pour empêcher les contestations judiciaires.
Alors, à quoi jouent exactement nos élus, à Québec? Difficile à dire, mais, chose certaine, Pauline Marois semble très pressée, elle qui qualifie de «niaisage» les questions et objections de ceux qui ne partagent pas son enthousiasme pour le projet.
Si Mme Marois, ex-ministre de la Santé, et son gouvernement avaient manifesté le même empressement pour le nouveau CHUM au début des années 2000, on y soignerait des patients depuis quatre ou cinq ans déjà.
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