L'Iran dans la mire

Le président Bush est déterminé à éliminer la "menace" nucléaire iranienne, avec des armes atomiques s'il le faut

2006 textes seuls


Après l'expédition sanglante en Irak, les États- Unis sont-ils sur le point d'attaquer l'Iran et de plonger ce pays dans le chaos et la destruction? Oui, si on se fie aux informations publiées cette semaine par deux influents magazines américains. Le président Bush est déterminé à éliminer la " menace " nucléaire iranienne, avec des armes atomiques s'il le faut. Ses juristes lui ont dit qu'il était au-dessus des lois, même celles qui gouvernent l'humanité, et Dieu lui a confié cette mission. Tous les ingrédients sont prêts pour une catastrophe à l'échelle planétaire.
L'Iran, faut-il le rappeler, est sur la courte liste américaine des pays de l'axe du mal avec l'Irak et la Corée du Nord. L'Irak a maintenant basculé dans l'axe du bien, et la Corée du Nord est devenue intouchable du seul fait d'avoir acquis l'arme atomique. Le régime des mollahs est donc engagé dans une course folle pour sauver sa peau. Avec l'arme nucléaire, il pourrait s'éviter le sort réservé à Saddam Hussein. L'administration Bush n'a pas l'intention de laisser faire.
Dans la dernière édition de l'hebdomadaire The New Yorker, le célèbre journaliste Seymour Hersh décrit les préparatifs du Pentagone visant à bombarder une partie des installations terrestres et souterraines du programme nucléaire iranien. Selon le journaliste, dont les reportages depuis 40 ans ont révélé entre autres le massacre de My Lai, au Vietnam, et les tortures dans la prison d'Abu Ghraib, en Irak, plusieurs scénarios de guerre ont été proposés au président, dont un comporte l'utilisation d'armes nucléaires de haute précision. Toutefois, les militaires ont demandé le retrait de l'option nucléaire, ce qu'ont refusé les membres de l'administration. Tout est sur la table, même l'impensable, même l'ouverture du feu nucléaire pour la première fois depuis Hiroshima contre un autre peuple asiatique.
Le président américain a rejeté lundi ces rumeurs journalistiques, de " folles spéculations ", a-t-il dit. À Londres, le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, a qualifie l'" idée même d'une frappe nucléaire contre l'Iran de complètement cinglée ". Vraiment? Straw sous-estime le caractère messianique de la présente administration américaine. Le plan existe bien, il est entre les mains d'un homme, responsable de la mort de 40 000 Irakiens, et bien déterminé à attaquer l'Iran dans l'espoir qu'une telle action provoquera le soulèvement de la population contre le régime en place, même si cette agression doit déboucher sur la mort de dizaines de milliers de personnes, victimes d'armes conventionnelles et du nuage radioactif atomique.
Militaires américains
Si les civils de la Maison-Blanche s'amusent avec leurs scénarios de frappes nucléaires " chirurgicales " et " propres ", les militaires américains ne rient pas. Selon Seymour Hersh, plusieurs généraux s'apprêtent à démissionner si le président s'entête à conserver l'option nucléaire. James Fallow, dans l'édition de mai du mensuel The Atlantic Monthly, va plus loin. Il rappelle que son magazine avait sponsorisé en octobre 2004 une simulation de guerre afin de déterminer quelles étaient les options des États-Unis si la question iranienne débouchait sur une crise majeure.
Les experts militaires et civils américains réunis avaient conclu à l'échec de toute frappe militaire limitée, nucléaire ou conventionnelle, compte tenu des conséquences potentielles. Selon eux, une frappe pourrait ne détruire qu'une partie des installations nucléaires iraniennes, mais provoquer une réplique sur plusieurs fronts: attaques terroristes globales, accentuation du chaos en Irak, manipulation des prix du pétrole. L'attaque pourrait même forcer Washington à envahir l'Iran pour y installer un régime " ami ". À la Maison-Blanche, on ne s'inquiète guère. Tout semble réglé comme du papier à musique, au point où James Fallows pense que c'est là le problème. " La principale lacune de la politique étrangère américaine au cours des dernières années a été la victoire de l'espoir, de la pensée magique et de l'illusion sur le réalisme et le pragmatisme ", écrit-il. On peut constater les conséquences de cette politique chaque jour en Irak. On imagine ce qu'elle réserve à l'Iran.
Dans dix ans, dans vingt ans, l'Iran aura la bombe atomique. Pourquoi en irait-il autrement? L'Iran considère le régime de non-prolifération nucléaire comme injuste et faisant obstacle à ses ambitions régionales. Les grandes puissances ont laissé leurs copains, Israël, la Corée du Nord, l'Inde et le Pakistan se doter d'armes nucléaires. Au temps où le régime impérial et pro-américain dominait l'Iran, Washington ne s'inquiétait nullement des ambitions de l'empereur. Au contraire, il les alimentait.
La démocratie indienne vient de se voir récompenser par les États-Unis et la France, même si elle a continuellement violé l'esprit de la politique de non-prolifération. La dictature pakistanaise reçoit argent et armes. Conclusion: nous vivons dans un monde où la puissance et la domination l'emportent sur le respect des règles. L'Iran l'a parfaitement compris. C'est un jeu dangereux, mais qui rapporte gros. Le jour où l'Iran aura acquis l'arme atomique, on lui offrira des fleurs, des armes et une place au soleil avec les Grands. On apprendra à vivre avec lui.
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix. Il est aussi professeur invité au GERSI et au CERIUM de l'Université de Montréal.


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