Quel affligeant spectacle ! Plus rien ne tient de l’intelligence ni de la décence devant ce qu’on nous donne à voir et à entendre dès lors qu’il est question de la passoire Roxham. Violence sourde de l’État canadian qui ne peut résister à la tentation du mépris à l’égard du Québec qui regimbe à peine, pourtant. Violence doctrinaire de tous les inquisiteurs qui refusent jusqu’à la moindre réticence critique et ne supportent rien d’autre que la résignation enthousiaste au nom d’une vertu qu’eux seuls peuvent brandir.
L’été qui s’annonce sera accablant. À la démagogie habituelle de la petite politique politicienne s’ajoutera ce qui se dessine déjà comme un formidable exercice d’automutilation et d’autodénigrement. Il y en aura des reportages gluants de bons sentiments, du mémérage Facebook, des capsules sur les demeurés qui s’inquiètent des frontières et qui n’en reviennent pas de tant de complaisance démissionnaire.
Les mots vont continuer de servir à tuer le langage, à détruire la pensée et à ruiner le débat démocratique. La médiocrité toxique baignera le spectacle – une caméra sur le bord de la route, un micro tendu dans la file aux portes des refuges, les nouvelles à bas prix vont empoisonner les jours.
Du sort pénible des vrais demandeurs d’asile, nous ne saurons que ce qui servira à mieux faire taire ceux-là qui s’inquiètent des fraudeurs qui cherchent à couper la file, à court-circuiter les procédures.
De la force du crime organisé et de l’emprise des passeurs, nous ne saurons rien sinon que ce que nous en donneront les analyses contrites de pseudo-experts qui ne fourniront qu’un argument de plus pour plaider la complaisance à l’endroit des floués qu’il ne faudrait pas refouler parce qu’ils sont devenus des victimes à traiter sur le même pied que les authentiques réfugiés.
Rien de l’indigence intellectuelle si caractéristique du babillage médiatique ne nous sera épargné. Prévenus, nous pourrions toujours laisser braire. Mais il sera plus difficile de rester stoïques devant l’avalanche de sous-entendus accusateurs qui serviront à ne pas voir ce qui déjà crève les yeux : l’impuissance totale du Québec et ses conséquences.
La question des migrants ne servira pas à faire voir plus clairement la condition québécoise. Au contraire, elle nous y enfoncera. La rectitude politique, la démagogie partisane, le dogme inquestionnable du multiculturalisme, la morgue de Couillard qui ne résistera à aucune occasion de faire la morale pour mieux habiller la démission politique, tout cela nous fera une campagne électorale sale, démoralisante.
Il faudra pourtant savoir raison garder contre tous les donneurs de leçons, devant les semeurs d’anathèmes et les flamboyants idiots utiles qui feront tout pour ne pas voir l’immensité du problème social qui gangrènera la métropole après avoir empoisonné ce qui reste de capacité de cohésion nationale. C’est un immense défi, car il ne pourra être relevé que par une discipline civique à toute épreuve et un immense effort de relèvement des compétences citoyennes. Il faudra le faire en combattant l’anxiété existentielle qui monte sans rien céder aux démagogues qui chercheront à instrumentaliser l’insécurité identitaire.
Ce que révèlent les contingents qui défilent devant les Québécoises et Québécoises médusés et perplexes ce n’est pas tant une affaire de politique d’accueil des réfugiés qu’une image tordue de ce que la société québécoise est devenue. Le gouvernement du Québec peut rouler des mécaniques, les politiciens jouer les matamores et les bonimenteurs médiatiques se draper dans les bons sentiments, la vérité du chemin Roxham c’est celle de l’errance du Québec lui-même. Ne contrôlant rien de ses frontières, interdit de réfléchir aux conditions d’accueil non pas chez lui, mais dans le Canada de son propre effacement, le p’tit Québec estival est promis à un interminable supplice de rectitude souriante enrobée dans l’unifolié. Nous aurons droit jusqu’à plus soif à tous ces clips de migrants arborant le canadian flag devant des reporters dégoulinants de bons sentiments.
Jamais n’a-t-il été aussi évident que le Canada nous tient dans un exil intérieur dont il ne nous épargnera aucun tourment. Ce que l’été va nous infliger ne sera qu’un nouvel épisode de la dépossession de soi. Les Québécois n’ont plus rien à dire qui ne doive d’abord être autorisé par le Canada lui-même et tous ceux qui sacrifient aux mêmes dieux et qui le servent par opportunisme ou veulerie. Aucun écart n’étant plus toléré, tout débat québécois qui s’écartera des termes dans lesquels la doctrine d’État exige qu’il se tienne ne servira qu’à resserrer l’étau de mépris. À grand renfort de savantes analyses radio-canadiennes et de pseudo-journalisme « au-dessus de la mêlée », la bien-pensance et la pensée oblique continueront de fausser les perspectives de la délibération publique. Les Québécois ne cesseront de se faire sermonner. Ils n’auront même pas droit de dire la douleur ressentie par la violence symbolique qu’on leur inflige. La vertu est canadienne et le Canada qui l’incarne un phare pour l’humanité engluée dans ses identités.
À défaut de nommer l’exil intérieur auquel le régime nous condamne, il ne sera plus possible de penser la condition québécoise ni pour dénoncer le présent ni pour inventer l’avenir. Entre l’errance et l’indépendance, il n’y a plus qu’une seule voie : celle du consentement à la minorisation.
Nous n’avons pas construit ce pays depuis des siècles pour y renoncer sous les sentencieux sous-entendus accusateurs et culpabilisants. Nous avons le devoir d’accueillir et le droit de le faire sous notre drapeau et à notre manière. Il faut en finir avec l’usurpation canadian. Ceux-là qui en appellent à aller à la rencontre de l’Autre pour ne pas voir ce qui brûle le regard devraient réaliser que, dans le Canada, cet Autre c’est nous-mêmes. Un Autre oblitéré et jeté sur les chemins qui ne mènent nulle part.
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