Qu’on me comprenne bien : je n’entends pas un seul instant ici dédramatiser les effets sociaux du confinement quasi généralisé que nous connaissons actuellement et qui risque de se radicaliser dans les temps à venir.
L’homme est un animal social, il a besoin de sortir de chez lui pour s’épanouir, pour créer des liens. Enfermé de force dans sa tanière, l’homme s’ennuie, dépérit. Même les solitaires ont besoin d’amis.
Je n’entends pas non plus en nier les effets économiques catastrophiques. Il suffit de consulter ses REER ces jours-ci pour risquer la crise cardiaque.
Catastrophe
Le ralentissement de la vie économique sera pénible pour tout le monde, et particulièrement pour les moins nantis, qui ne disposent pas d’un emploi protégé, d’un statut consacré ou des réserves nécessaires pour traverser des mois difficiles.
Mais sans jouer à Oprah Winfrey avec son insupportable optimisme obligatoire, on peut essayer de voir dans l’épreuve actuelle un peu de lumière.
Nos sociétés vivent dans une frénésie un peu inquiétante. L’homme contemporain ne cesse de se disperser en mille activités pour se donner l’impression qu’il existe.
D’un bar à l’autre, d’un café à l’autre, d’un gym à l’autre, d’un commerce à l’autre, il s’agite, et veut faire de sa vie une fête permanente. On pourrait même croire qu’il aime s’étourdir. Philippe Muray, le grand écrivain français, a ainsi pu le surnommer dès les années 1990 « l’homo festivus ». Au fil des ans, son diagnostic s’est mille fois confirmé.
Même avec ses enfants, notre contemporain se croit obligé d’être en mobilisation maximale.
Pourrait-on transformer cette période d’encabanement collectif involontaire en occasion de ralentir mentalement notre rythme – ou pour le dire autrement, de reprendre notre souffle ?
Car il peut y avoir, du moins pendant un temps, une douce ivresse du confinement. À tout le moins, une certaine douceur. Certains liront. Pour leur plus grand bien, je les souhaite très nombreux. D’autres écouteront de la musique ou regarderont des films et des séries. Le confinement oblige à cultiver sa vie intérieure.
Pour un temps, nous serons délivrés de notre vie sociale. Nous marcherons dans notre quartier. Nous achèterons le nécessaire dans les commerces de proximité.
Peut-on même espérer que nous reconnecterons avec certaines valeurs fondamentales, comme la famille, l’entraide, la gratuité ? Nous renouerons avec nos attachements premiers. Nous sommes arrachés à la fourmilière sociale pour retrouver la communauté dans ses formes premières.
Silence
Partout fleurissent des gestes de solidarité, et l’interconnexion globale rendue possible par les médias sociaux, de ce point de vue, a du bon. Une idée simple surgit : aider son voisin. Appeler son père et sa mère.
Étrange paradoxe : nous vivons un tumulte silencieux. Le tragique cohabite avec la quiétude.
On peut croire qu’une fois sortis de la crise, nous conserverons quelque chose de ces nombreuses expériences et aurons appris à douter des dérives d’une civilisation dont il a fallu suspendre le fonctionnement de toute urgence.
À tout le moins, on peut l’espérer.