Les indépendantistes écossais ont manqué leur rendez-vous avec l’histoire. Le Non a remporté une victoire sans équivoque au référendum de jeudi, sauvegardant une union politique vieille de 307 ans avec le Royaume-Uni.
Malgré une remontée spectaculaire dans les sondages, la campagne du chef indépendantiste Alex Salmond s’est heurtée à l’incertitude des électeurs écossais. La petite nation de 5,3 millions d’habitants a dit un Non clair au projet de société souverainiste, malgré la vive insatisfaction envers le pouvoir central à Londres manifestée durant la campagne référendaire.
Vers 6h10 vendredi matin, heure de l’Écosse (1 h 10 au Québec), le Non avait remporté 55,4 % des voix et le Oui, 44,6 %. Il ne restait que 2 des 32 bureaux de scrutin régionaux à dépouiller. Les Écossais ont voté en masse. Le taux de participation atteignait 84,5 %, un chiffre comparable à celui du référendum de 1980 au Québec, mais inférieur au taux inégalé du référendum québécois de 1995 (93,5 % des électeurs inscrits avaient voté).
Le gouvernement de coalition du conservateur David Cameron doit désormais livrer la « superdévolution » de pouvoirs promise au Parlement écossais au cours des derniers jours.
Les souverainistes écossais ont non seulement perdu la partie jeudi, ils ont remporté un pourcentage inférieur à celui des Québécois, qui avaient voté Oui à 49,4 % au référendum de 1995. Les indépendantistes écossais — et plusieurs du Québec — font déjà valoir que le Oui a progressé de façon spectaculaire durant la campagne : l’appui à l’indépendance partait loin derrière, avec 35 % des voix il y a tout juste quelques semaines.
La nuit a été fertile en émotions. Les premiers résultats rendus publics vers minuit, heure de l’Écosse, ont placé le camp du Non en avance. Le Oui a remporté presque systématiquement moins de voix que prévu par les stratèges indépendantistes, y compris dans les régions souverainistes de Dundee et des Îles de l’ouest, ce qui laissait présager une grosse déception pour les partisans d’Alex Salmond.
L’agglomération de Glasgow, plus grande ville écossaise, a aussi appuyé l’indépendance avec 53 % des voix, moins qu’espérait le camp du Oui.
Des allégations de fraude ont été signalées à Glasgow, où 10 électeurs auraient tenté de voter deux fois. La police a saisi les bulletins de vote suspects.
Des milliers d’Écossais suivaient jeudi soir le déroulement du scrutin dans des bars. Une foule sous surveillance policière s’était aussi rassemblée à la place entre le parlement et le palais de Holyroodhouse, à portée de vue des médias du monde entier qui ont braqué leurs lentilles sur la petite nation écossaise.
Le Royal Mile, mince artère de pavés centenaires qui s’étire entre le château d’Édimbourg et le palais royal, était le théâtre à ciel ouvert de tous les états d’âme du peuple écossais. On lisait l’émotion sur tous les visages. La peur, l’inquiétude et aussi l’espoir d’une nation qui semblait divisée en deux camps.
Incertitude
« Je suis inquiet. Je ne serai pas bien tant que je n’aurai pas la confirmation de la victoire du Non », dit John Loughney, un original vêtu de la tête aux pieds aux couleurs de l’Union Jack, le drapeau britannique. « Je suis aussi le plus grand fan de Diana. Tu peux l’écrire. » Voilà, c’est fait.
Dans les rues, les partisans du Oui surpassaient nettement en nombre ceux du maintien de l’union avec le Royaume-Uni. Les unionistes ont été discrets durant la campagne. Ce n’est pas trop excitant de défendre le statu quo, aux yeux de l’opinion publique, même un statu quo auquel on tient. Ces partisans effacés du Non se gardaient quand même le dernier mot dans l’isoloir.
« Je me suis senti jugé, presque menacé, durant les dernières semaines. J’ai des amis qui avaient peur de s’afficher pour le Non », dit Graham Walker, un unioniste aux cheveux en brosse qui porte fièrement un tatouage des deux côtés du cou, dont celui-ci : « Proud to be British ». Pour le reste de ses jours, il peut difficilement changer d’avis.
Un peu plus loin, au restaurant Mussels and Steak Bar, rue Jefferey, un vieux monsieur est venu s’asseoir au bar. Il a commandé une bière. Puis un flot de paroles s’est déversé dans la salle à manger.
« Il est temps qu’on prenne le contrôle de notre destin », dit Robert McCallum, ce sympathique grand-père de 82 ans — il en paraît dix de moins —, qui a vécu toute sa vie à Édimbourg. La première chose qu’il a faite en se levant jeudi, c’est d’aller voter pour le Oui. Et il a hâte de se lever vendredi pour prendre un scotch à la santé d’un pays qu’il souhaite nommer Écosse.
Vous n’êtes pas censé avoir peur pour votre pension, vous ? David Cameron l’a dit, vous allez souffrir si le Oui l’emporte.
« Ha, ha, ha ! Tu me fais rire ! Il ne faut pas croire ce que disent les politiciens, voyons ! On a survécu à deux guerres mondiales au siècle dernier, et la vie a continué. Pour moi, c’est comme une élection générale. Que le Oui ou le Non l’emporte, je vais me dire que c’est la volonté du peuple. C’est ça, la démocratie. La vie va continuer d’une façon ou d’une autre. Mais peut-on enfin se faire confiance une fois pour toutes ! »
Dehors, une voiture munie de haut-parleurs diffuse un message enregistré en faveur du Oui. Un passant descend dans la rue pour aller serrer la main au conducteur. Un peu plus loin, sur le trottoir, un autre vieux monsieur — James McMillan, 80 ans celui-là — chante un air patriotique dans un porte-voix : « Je verserais mon sang pour la liberté de l’Écosse, votez donc Oui. »
Il n’a peut-être pas versé une goutte de sang, mais McMillan a eu la peur de sa vie, il y a deux semaines : une passante l’a violemment poussé par terre. Le frêle homme a eu le poignet cassé. Il me tend une photocopie de la une du Edinburgh Evening News où on le voit, le bras dans une écharpe. Une sorte de médaille de guerre.
Une campagne flegmatique
Malgré quelques gros mots et sans doute quelques poings sur la gueule, la campagne s’est étirée sur un ton calme, poli, civilisé. Peut-être le légendaire flegme britannique emprunté par les Écossais… Le jour du vote s’est aussi déroulé sans incident notable. « Les électeurs étaient calmes. Les gens de la Commission électorale nous ont dit qu’ils n’avaient jamais vu autant de monde participer à une élection », dit Alice Trudelle, une Montréalaise qui était observatrice accréditée pour le référendum. Elle n’a remarqué aucune anomalie lors d’une tournée de bureaux de scrutin en banlieue d’Édimbourg.
« C’était très calme, en effet», confirme David Thompson, un bénévole du Oui croisé devant un bureau de vote, rue Abbeyhill. J’ai rencontré beaucoup d’électeurs qui disaient : « J’ai envie de l’indépendance, mais ce n’est peut-être pas le bon moment. Je leur répondais que c’est le moment ou jamais, ils n’auront pas de deuxième chance ! »
Engagement de Cameron
À Londres, Le premier ministre britannique David Cameron s'est engagé vendredi à respecter les promesses faites aux Écossais avant le référendum de jeudi.
Ces promesses comprennent l'octroi de nouveaux pouvoirs en matière d'impôts, de dépenses et de bien-être social.
M. Cameron a promis que les détails auront été finalisés d'ici la fin du mois de novembre et qu'un projet de loi sera déposé en janvier.
Il a ajouté que les habitants d'autres régions du pays recevront aussi davantage de contrôle sur leur sort, notamment en Angleterre.
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