Après avoir assisté au débat des chefs, après avoir entendu aux mots de la
fin le petit discours de Jean Charest qui divinisait son économie
d’exploitation sauvage du grand nord québécois, je me suis rappelé, non
sans inquiétudes, la réflexion d’un sociologue hors-pair qui – désenchanté
par la tournure des événements – prévoyait voter vert. Il disait :
[Finalement, notre indépendance passe davantage dans la protection de nos
ressources et de l'environnement que dans la commercialisation, la
privatisation et la spéculation à outrance que nous avons connues depuis
Bouchard, Landry et Charest. Bref, c'est peut-être plus souverainiste de
voter vert que PQ].
À part le fait de vouloir voter vert, je me suis dit qu’il avait raison
quant à la protection de nos ressources naturelles. Voila qui expliquerait,
entre autres, le virage PQ vers ce qui est plus vert. Un virage cohérent si
on considère le fait que le PQ ne peut pas moralement, physiquement et
métaphysiquement, abandonner sa raison d’être…
Quant à Jean Charest qui nous demande de nous libérer de ceux qui veulent
nous libérer (PQ, PI et autres) il devrait lire ce qui suit (comme il nous
le propose) à genoux devant Ottawa:
Nicodème. C
P.-S. : Les textes qui suivent ne sont pas de moi. On les retrouvera en
archive sur le site http://www.societascriticus.com/ ou
http://epe.lac-bac.gc.ca/100/201/300/societas_criticus/word/1999/index.html
La démocratie substitue l'élection du grand nombre des incompétents à la
désignation par le petit nombre des corrompus. B. Shaw
(Roland Jacquard, Dictionnaire du parfait cynique, Livre de poche, biblio
essais)
Quand on écoute nos élites discourir, que ce soit nos élites d'affaires,
politiques, scientifiques et techniques, toutes les annonces vont dans le
sens de l'évolution. Mais quelle évolution? S'est-on posé la question? Et
si oui, se la repose-t-on assez souvent?
Oui, il y a évolution indéniable au niveau des sciences et des techniques.
Pensons à la médecine, à l'ingénierie, à la science. Pensons aux techniques
de guerre. Mais, au niveau des comportements humains, y-a-t-il eu la même
évolution? On dit être sur une petite planète, de plus en plus dépendant
les uns des autres… mais la coopération n'a jamais eu et n'a pas encore
autant de ressources que les ministères de la guerre. Un ministre de la
coopération est moins important qu'un ministre de la Défense dans la
plupart des pays. C'est dire où sont nos valeurs.
D'ailleurs, actuellement, dans bien des pays du globe, il y aurait encore
beaucoup de chemin à faire pour en venir à la conception démocratique des
anciens grecs. Mais, techniquement, et surtout militairement, ces pays sont
bien équipés pour maintenir leurs populations sous leur joug.
Même nos pays démocratiques le sont-ils vraiment? Quand la presse, la
radio et la télévision, grands moyens de diffusion des idées s'il en est,
sont contrôlés par des magnas ou des États, les idées nouvelles ont peu de
chance d'être diffusées à moins d'aller dans le sens voulu par ceux qui
contrôlent ces moyens de communication.
Par contre, de nouveaux moyens émergent et le principal d'entre eux est
l'internet. En effet, tous peuvent diffuser dessus, que ce soit des
groupuscules ou des grands groupes de presse. Il n'est pas dit non plus que
les groupuscules ne sont pas eux-aussi idéologiquement orientés. Loin de là
s'en faut. Pensons aux sectes et à certains groupuscules politiques, où
l'idéologie est plus importante que les faits. (1)
Nous avons pensé utiliser l'internet pour diffuser. Notre but n'est pas
tant de diffuser des idées ou des évènements que de les diffuser
différemment, c'est-à-dire que nous ne diffuserons pas nécessairement une
nouvelle ou un événement qui vient d'arriver. Si nous le faisons cependant,
c'est parce-qu'on peut l'inscrire dans une suite d'évènements marquants
dont on peut tirer une analyse ou une critique.
Comme tout est social ou politique, nous pourrons tout regarder sous cet
angle, que ce soit les sports ou les arts, la politique ou la science, la
technique ou la philosophie. Pourquoi se limiter. En fait, ce sont les
gouvernements et les élites qui veulent limiter le peuple avec leur
vocabulaire hermétique que seul les spécialistes comprennent. Ainsi il est
beaucoup plus facile de ne pas élargir le débat à tous, sous prétexte d'un
manque de connaissance. Et en limitant l'entrée dans le débat, on limite
aussi l'accès aux connaissances nécessaires pour en faire partie. On crée
donc un cercle vicieux où le citoyen est toujours laissé de côté avec un
bon prétexte: il n'a pas la connaissance pour débattre et, comme il ne
peut débattre, il ne peut jamais l'acquérir. On lui parle de démocratie
lorsqu'il est temps de choisir un Gouvernement; lorsqu'il est temps de
décider de ce qui est bon ou mauvais pour lui, on lui parle des
spécialistes. Il n'a pas mot dire.
(Michel Handfield, M.Sc. sociologie)
***
QUI COMMANDE DANS NOS SOCIÉTÉS DÉMOCRATIQUES ?
(Par Gaétan Chênevert)
Je lisais récemment un texte qui disait : "Ainsi que l'a résumé M.
Dostaler (professeur d'économie à l'UQAM), pour le dernier Nobel d'économie
comme pour Keynes, «le rôle de l'économie consiste à indiquer quels sont
les moyens techniques qu'il faut employer pour atteindre des objectifs
fixés par la sphère politique qui, elle, est du ressort des citoyens».
Donc de la démocratie". Alors voilà, y a beaucoup à dire là-dessus. C'est
un sujet vaste et dense qui ne manquera pas de soulever des discussions.
Qui devrait dicter la marche à suivre en économie? Les spécialistes? Les
affairistes? Les entreprises? Les gouvernements? Le Peuple? Quand un pays
décide de ce qui est économiquement bon pour lui, qui le fait ? Que ça
soit au niveau local, national, mondial, quelles sont les personnes qui
décident de ce qui est bon pour les pays et les peuples ?
Pourquoi toutes ces questions? Parce qu'il est toujours bon de faire
travailler notre cervelle; c'est un excellent exercice. Voyez-vous, il ne
faut pas que notre caboche abandonne une des facultés les plus précieuses
qui lui ait été donnée, celle de penser. Même si on cherche à l'aveugler,
la détourner ou l'intoxiquer, restez vigilant, doutez et, surtout,
questionnez toujours. Tous ces beaux discours économiques et politiques que
l'on nous vend me laissent malheureusement perplexe sur notre capacité à
penser le vrai et le faux.
On dit que la démocratie c'est le gouvernement par et pour le peuple. Ne
pouvant être tous présents en chambre pour gouverner, on se choisit des
représentants (administrateurs, conseillers, députés selon les régimes
politiques). Ils ont pour mandat de nous représenter. Dans nos
démocraties occidentales, ce n'est plus une personne (roi, tyran,
dictateur) qui gouverne seul avec sa clique un pays ou un état, ce sont nos
élus qui nous représentent, qui gouvernent et voient à la bonne marche de
l'État. Le pouvoir nous appartient donc, il s'agit de l'exercer. (a)
La démocratie n'est pas facile à obtenir, on n'a qu'à regarder partout
dans le monde les peuples qui se battent pour la conquérir. Elle se bâtit
au fil des ans et même des siècles. On se bute au pouvoir en place, on fait
des guerres, on s'affronte, on fait des référendums, mais, à force de
persévérance et de combats on y parvient, non sans de douloureux
sacrifices. Une fois qu'on l'a gagnée, elle s'infiltre partout, surtout au
gouvernement et dans ses institutions, à travers les organismes et dans la
population. Ça devient une façon de vivre. Après l'avoir goûtée on ne
veut plus s'en départir. Ses effets sont bénéfiques et salutaires. Le
pouvoir est mieux équilibré. On peut contester, s'impliquer, s'organiser,
se faire entendre pour influencer nos élus sur les orientations majeures
touchant les principaux domaines de notre société. S'ils ne font pas
l'affaire, on les remplace aux prochaines élections ou on démarre un
nouveau parti, on monte aux barricades, on conteste, on persuade la
population qu'on est meilleur. On veut acquérir le pouvoir, on veut
gouverner pour changer les choses. La démocratie le permet, on se sent
donc plus libre, plus sûr et mieux protégé. Par contre, pour la défendre
et la conserver bien vivante, il faut l'exercer et là, le citoyen a un rôle
primordial à jouer à part voter lors d'une élection. (b)
Notre démocratie est-elle bien vivante ? Chez nous au Québec, lorsqu'on
veut déterminer les grands enjeux de notre société, comment procédons-nous
? Un des mécanismes consiste à tenir des sommets (économiques, jeunesse,
éducation…). Prenons l'exemple du sommet économique. On y retrouve bien
sûr nos dirigeants politiques, quelques hommes d'affaires, les principaux
représentants syndicaux et quelques groupes communautaires reconnus. A
première vue, tous les éléments de notre société y sont représentés
(gouvernement, affaires, syndicats, chômeurs, assistés sociaux,
handicapés…). La démocratie s'exerce à travers nos représentants, donc nos
décideurs. On y discute les grandes orientations économiques dont les
décisions auront un impact majeur sur la vie de millions de gens. Chacun
des groupes arrive avec sa liste d'épicerie et tente d'en gagner le plus
possible. On négocie, on échange, on gagne, on perd, on fait des jeux de
coulisse, on lave son linge sale, on use des médias pour faire valoir son
point de vue, on dénonce …et tout le tralala. Cette arène, où chacun
défend ses idées, est démocratique, il faut en convenir, la plupart des
gens dans la population y étant représentés. On cherche le consensus afin
de satisfaire tout le monde. (c )
Il semble bien que la démocratie soit vivante et s'exerce correctement
chez nous. Alors pourquoi certaines personnes prétendent qu'elle soit
menacée? Qui la menace? Quand on observe notre société depuis quelques
années, on constate un accroissement de la pauvreté, du chômage et des
déficits gouvernementaux. On réclame l'État minimal, le désinvestissement
dans les programmes sociaux, la déréglementation; on glorifie la
rentabilité, la productivité, la compétitivité, la concurrence, la
performance. On déménage la production vers les endroits où les coûts sont
les plus bas. On exige des compensations et des subsides de la part des
gouvernements sous peine de ne pas investir chez eux. Dans les marchés
financiers on se réjouit des fusions à outrance, des mises à pied qui
réconfortent les actionnaires en augmentant le prix de leurs actions; on
autorise la concentration des capitaux et leurs flux etc. Mais, d'où nous
viennent tous ces commandements? D'où proviennent toutes ces notions qu'on
nous force à appliquer? Qui ordonne ces actions? Toutes ces prescriptions
ont des répercussions majeures sur notre vie et sont commandées non par les
élus mais par les mandarins de l'idéologie néo-libérale, les gardes du
temple et leurs prédicateurs. Ils n'ont rien à foutre de la démocratie, car
elle est en contradiction totale avec leur idéologie. (d)
Toutes ces notions dites néo-libérales sont très bien enracinées dans nos
sociétés. À preuve, lors du dernier sommet économique du Québec, même si
les participants connaissaient les ravages des politiques néo-libérales -
ayant été expérimentées dans d'autres pays - elles ont quand même été
adoptées. Le consensus Québécois. L'idéologie nous est imposée de
l'extérieur et, malheureusement, on retrouve à l'intérieur du gouvernement
plusieurs défenseurs des idées néo-libérales qui, avec l'appui des
affairistes, imposent facilement leur vision aux autres groupes sans que
les syndicats, à part quelques offuscations, n'y changent grand-chose étant
eux même pris au piège. Quant aux dégâts, on n'a qu'à lire les journaux,
ils en sont remplis. (e)
À vrai dire, c'est la sphère économique pensée et dirigée de l'extérieur
qui fixe ses objectifs et indique à la sphère politique les moyens
techniques et stratégiques qu'il faut employer pour atteindre ses
objectifs, qui eux ne sont pas du ressort des citoyens. Donc une
oligarchie d'affaires. La démocratie en prend pour son rhume. Ce sont des
non élus affairistes et spécialistes qui dictent de la marche à suivre de
l'économie. (e)
Que pouvons-nous faire ? Investir dans la base, c'est-à-dire former et
éduquer les gens. Apprendre à penser, questionner, partager; se regrouper
et discuter; interpeller nos élus et nos décideurs; se battre. Informer
ses amis et jouer son rôle de citoyen. Pourquoi ne pas globaliser ou
mondialiser nos revendications en jouant le même jeu. Les moyens
techniques existent pour nous aussi. Pourquoi ne pas mobiliser la planète?
Le gouvernement, c'est nous. Exerçons notre rôle et prenons notre place.
Seul, on ne peut rien faire, ensemble on peut aller loin. Comme le dit
Benjamin Disraeli:
"Nul gouvernement ne peut être longtemps solide sans une redoutable
opposition." [No government can be long secure without a formidable
opposition.] (in Coningsby, I, 1.1)
La pire chose est de se taire et de rester endormi. Ils y rêvent.
QUELQUES PISTES DE RÉFLEXIONS
A) Pour susciter le débat, on pourrait s'interroger sur certaines
questions : Quel serait le meilleur mode de représentation? Se peut-il, en
démocratie, qu'une clique gouverne un État? Les députés nous
représentent-ils vraiment? Nos députés ont-ils du pouvoir? La ligne de
parti les empêche-t-elle de se prononcer librement? En tant que
responsable, veillons-nous vraiment auprès de nos élus à ce que la
démocratie soit bien respectée?
B) Nous battons-nous encore pour la garder? Sommes-nous écoutés?
Aujourd'hui, le pouvoir est-il mieux équilibré? Sommes-nous plus libre
dans notre démocratie? Nos grandes institutions sont-elles vraiment
démocratiques? L'individu, exerce-t-il son rôle de citoyen?
Réagissons-nous lorsqu'elle n'est pas appliquée?
C) Qui commande et dirige dans ces sommets? Ces rencontres ne sont-elles
pas déjà biaisées, c'est-à-dire enfermées dans un cadre donné par le
gouvernement sous la pression de l'idéologie dominante? Quels sont le
poids et l'importance de chacun des groupes représentés? Qui sont les plus
forts? Quels sont les groupes les plus influents et pourquoi? Pour quels
intérêts travaillent-ils?
Qui commande? Comment réagissent nos élus? Comment réagissent les
citoyens? Qui s'oppose et critique?
D) Existe-t-ils d'autres choix?
Réplique du co-éditeur:
"Nul gouvernement ne peut être longtemps solide sans une redoutable
opposition." (in Coningsby, I, 1.1)
Il faudrait voir le contexte de cette citation, car la réalité semble s'y
opposer, du moins au premier sens. Quand un Gouvernement fait face à une
opposition forte, il est souvent renversé. Pensons à l'Italie où les
coalitions tombent comme des mouches. Inversement, les Dictatures qui
écrasent l'opposition durent. Même en occident on connaît certaines
oligarchies politiques. Un Gouvernement - au sens de Parti ou Groupe au
Pouvoir - peut être longtemps solide sans opposition selon moi.
Il est vrai que l'on peut y trouver un second sens. Si par Gouvernement on
parle de l'Assemblée Législative, du Parlementarisme, bref de
l'institution, tout change. Car le Gouvernement du Peuple, voir la
Démocratie, se maintien dans le passage du Pouvoir d'un groupe (ou Parti) à
l'autre. Les gouvernements font le succès du Gouvernement! Voir de l'État.
Il est vrai qu'il peut substituer une dictature parlementaire entre les
élections, le Gouvernement élu pouvant faire ce qu'il veut jusqu'au
prochain mandat. C'est souvent le cas du parlementarisme bipartite tel
qu'on le connaît.
Par contre si l'on dépasse le bipartisme (avec le régime proportionnel) et
que du débat entre les forces en présences naît une forme de Gouvernement
et de direction de l'État par coalition (qui n'est alors plus le fruit du
seul parti au Pouvoir), là on ne sait plus quoi vient de qui. C'est une
macédoine d'idées. Des compromis et des alliances se font et se défont pour
représenter l'électorat le plus large. On peut alors dire comme Disraeli.
Il faudrait donc avoir une idée plus large de ce texte de Disraeli. Si un
lecteur peut nous éclairer là-dessus… ce serait bienvenu.
(Michel Handfield, co-éditeur.)
La dénatalité: un phénomène d'adaptation?
La plupart des pays industrialisés sont aux prises avec un problème de
dénatalité et de vieillissement de la population - naturellement pour
certains le problème est plus grave, mais tel n'est pas notre propos. Tous
en cherchent les causes. Et si ce n'était qu'un phénomène d'adaptation?
Telle est la question que nous posons ici. Comme vous allez le voir, ceci
nous amènera à poser un diagnostic beaucoup plus large de la civilisation
moderne occidentale.
1. Les facteurs sociaux:
Autrefois, la famille nombreuse était nécessaire, car il fallait des bras
pour produire. Pensons aux cultivateurs dont tous les membres de la famille
participaient au travail de la ferme. Pensons aux usines qui embauchaient
"à tour de bras" comme le dit l'expression. L'humain était la force motrice
des entreprises. Mais avec la technologie, l'humain est de moins en moins
nécessaire, du moins dans les pays occidentaux. (1)
Avec le développement des technologies, l'humain est devenu un coût
(plutôt qu'un actif) que l'on cherche à éliminer pour rendre les
entreprises plus compétitives. Signe des temps: les actions boursières
prennent de la valeur quand les entreprises débauchent du personnel.
Autrefois les entreprises avaient un "Service du Personnel", la personne
étant facteur de plus-value. Aujourd'hui le "Service du Personnel" a été
remplacé par les "Ressources Humaines". Ce n'est pas un hasard. Le propre
d'une ressource c'est d'être exploitée. Après on passe à autre chose. On se
retrouve avec des ressources humaines jetables (du personnel au besoin) au
même titre que toutes autres ressources servant à produire. D'ailleurs les
ressources humaines gèrent de plus en plus de personnel temporaire.
Le même phénomène se voit dans l'agriculture, un secteur pourtant
qualifié de primaire. Autrefois, il fallait des bras pour faire le travail;
aujourd'hui il faut du Capital, car la plupart des opérations sont
automatisées. Et pour suivre les développements technologiques, il ne faut
pas embaucher plus de personnel que nécessaire. Gérer une ferme, une PME ou
une succursale bancaire relève des mêmes opérations comptables. On ne gère
plus du personnel mais des ressources… et l'objectif est de les aménager
pour avoir le rendement le plus élevé à moindre coût. Les considérations
humaines ne sont plus de mises. Si un équipement peut remplacer quelques
travailleurs et accroître la rentabilité, il sera acheté. Que cela soit
sur une ferme, dans une PME ou dans une multinationale n'a pas
d'importance.
Les considérations sociales n'étant pas l'affaire de l'entreprise, elles
sont transférées à la communauté. Si fermer une usine fait économiser 200
000$ à une entreprise elle le fera même si, socialement, cela coûte
plusieurs millions à la communauté. Elle n'a que faire de ces
considérations. D'ailleurs ce n'est pas elle qui les assumera, mais l'État.
Et conséquence, comme le travail est de moins en moins certain et de plus
en plus rare, bref précaire, il est de moins en moins facile d'avoir une
famille nombreuse - et même d'avoir une famille. Il se produit une
autorégulation: les conditions sociales demandant de moins en moins de
personnel, il devient de plus en plus difficile d'avoir les moyens d'élever
une famille. Autrefois les enfants étaient un support nécessaire tant à
l'entreprise qu'à la famille (le travail des enfants accroissaient en même
temps les revenus familiaux et de l'entreprise). Aujourd'hui, au contraire,
la technologie est plus profitable à l'entreprise. Et le surplus de
revenus familial (lorsqu'il y en a) doit être investit dans la formation
continue des personnes pour assurer leur employabilité avant de penser
l'investir dans une famille. Les enfants sont ainsi passés d'une nécessité
à un luxe. Telle est la fatalité de notre temps.
2. Le décalage humain:
Un autre problème est le décalage humain. Quand l'économie va et que
l'avenir semble prometteur, il est tentant de vouloir des enfants. Ce fut
le cas de l'après-guerre qui nous a donné le "baby boom"! Cependant, entre
le temps où naissent ces enfants et le temps où ils sont prêts à entrer sur
le marché du travail (entre 16 et 25 ans), les conditions peuvent changer.
Des emplois sont disparus et d'autres apparus. Des emplois qui existaient
il y a 10 ans n'existent plus ou sont rares aujourd'hui - comme une
sténo-dactylo - et d'autres dont on ne connaissait même pas le nom il y a
15 ans (comme créateur de multimédia) sont en pénurie de personnel
qualifié.
Ainsi si l'humain subit peu de menace d'un environnement naturel qu'il a
maîtrisé, il en subit de grandes de l'environnement social qu'il a créé -
c'est-à-dire technologique et économique. Et comme il ne peut s'adapter à
court terme, il est toujours en décalage par rapport à cet environnement
artificiel.
Dans la nature, s'il manque de nourriture une année, la population peut se
stabiliser en quelques mois. S'il y a davantage de nourriture une autre
année, la population croît en conséquence. On ne peut jouer avec les
populations humaines de cette façon. (2) On se trouve ainsi aux prise avec
des gens sans emplois d'un côté et des pénuries de mains-d'œuvre de
l'autre. On ne peut planifier les progrès et ses conséquences sur l'homme.
Il y a donc continuellement décalage entre l'offre de main-d'œuvre et les
besoins des entreprises, vu les progrès technologiques. (3)
On ne peut alors regarder les politiques familiales sans regarder la
notion de revenu, sinon ces politiques seront inefficaces. On ne peut
soutenir les enfants (comme certaines politiques le font) sans considérer
la condition des parents. Et il ne faut surtout pas s'arrêter à court
terme (4 ou 5 ans d'interventions), car ce problème d'inadaptation entre
population et emplois est perpétuel, l'environnement économique et
technologique n'arrêtant pas d'évoluer. Il faut donc créer de nouveaux
mécanismes régulateurs… pour le bien des citoyens.
3. Du besoins de mécanismes régulateurs:
La richesse se crée avec de moins en moins de travailleurs, parfois même
sans travailleur comme dans la spéculation. Il faut donc penser à sa
redistribution. Cela ne peut être laissé aux entreprises comme le croient
trop souvent les Gouvernements. La tendance actuelle, qui consiste à croire
que si les entreprises font davantage de profits toute la société
s'enrichira, est fausse. Au contraire. D'ailleurs, les entreprises
s'enrichissent et rationalisent leur personnel. Emploi et enrichissement ne
vont pas nécessairement de paire et sont parfois contraire. Il n'est pas
rare qu'après des coupes massives dans le personnel, les actions montent en
flèche et les dirigeants voient leurs bonis croître! Dans l'entreprise
moderne, l'emploi est souvent un coût qu'il faut réduire, sinon éliminer.
La grande entreprise poursuit un but de profit, non de redistribution de la
richesse. (4) Ce dernier but est politique. Trop souvent nos politiciens
semblent l'oublier et agissent comme s'ils n'étaient que des
administrateurs du budget national.
Le rôle de l'État est de mettre en place des mécanismes régulateurs pour
contrer les effets pervers du marché et de la technique. Il ne faut jamais
oublier que l'objectif de l'entreprise n'est pas nécessairement compatible
avec le bien être des Citoyens. C'est au Politique d'y voir en mettant en
place des mécanismes de régulation économique.
Préalablement à la mise en place de ces mécanismes, l'État doit s'assurer
des revenus. Malheureusement, tous s'accordent à dire que le travailleur
paie trop d'impôt. Nous sommes tout à fait d'accord avec eux sur ce point.
Sauf que, contrairement à d'autres, nous croyons que réduire les impôts des
travailleurs ne veut pas dire réduire les revenus et les services de
l'État. Il faut trouver de nouvelles sources de revenus. Si l'apport du
travail humain diminue comme facteur de création de la richesse, on ne peut
le taxer davantage. Cependant on se doit de taxer les nouvelles formes de
création de la richesse. C'est ainsi que les équipements qui remplacent les
humains pourraient être taxés, tout comme les profits spéculatifs et les
échanges électroniques de capitaux. L'État a des services à assurer. C'est
son rôle d'adapter ses outils de taxation aux méthodes modernes. Pourquoi
l'État continuerait à taxer les outils de production du siècle précédent,
soit les travailleurs, si ces outils sont de plus en plus délaissés au
profit de nouveaux moyens de production?
Une fois que l'État s'assure de revenus, il doit répondre aux besoins de
ses citoyens. On peut alors parler d'un revenu de citoyenneté, car si
l'humain est de moins en moins nécessaire comme producteur dans la société
moderne, il l'est de plus en plus comme consommateur. Éliminer la
consommation et vous éliminerez les entreprises, même celles qui plaident
pour le désengagement de l'État! L'humain est le carburant de la société
capitaliste! Il ne faut pas l'oublier.
La qualité de vie est un autre objectif à atteindre. Si on a besoin de
moins d'humains pour produire, on peut, avec l'aide d'outils comme le
revenu de citoyen, penser à la réduction du temps de travail et au partage
de l'emploi. Ainsi, le citoyen aura du temps pour étudier, faire des arts,
inventer de nouveaux produits, faire du sport ou dormir si cela l'enchante!
La productivité n'est pas nécessairement un objectif de vie. Quant à ceux
pour qui elle l'est, cela ne passe pas nécessairement par le travail
organisé en usine. Cela peut aussi passer par la créativité.
Il est temps de regarder l'économique autrement que comme une sphère
privée. Il faut redonner ses lettres de noblesse à l'économie politique! Le
Citoyen n'est pas un client et l'État n'est pas un "centre de profit"!
Peut être qu'en faisant un retour sur nos valeurs… on résoudrait davantage
le problème de la dénatalité qu'en faisant des programmes d'aide à la
famille. D'ailleurs, si d'un côté on met sur pied des programmes d'aide à
la famille et que de l'autre on rationalise les emplois, pense-t-on
vraiment favoriser l'émergence de familles? Si l'on cherche à améliorer la
natalité tout comme à sauvegarder la dignité des personnes âgées, à donner
des soins de qualité aux malades, à diminuer la criminalité, etc., il n'y a
qu'une solution: améliorer les services à la population et favoriser une
redistribution de la richesse. Cela est le rôle de l'État, pas de
l'entreprise. (5) Que l'État joue son rôle. Car un État qui ne questionne
plus et qui suit uniquement les diktats économiques, s'il n'est pas une
dictature militaire, l'est néanmoins au plan des idéaux. Car c'est
l'absence de choix qui caractérise d'abord la dictature.
Note:
1. Dans les pays en voie de développement, l'humain est toujours la force
motrice du développement. Les taux de natalité y sont aussi plus élevés.
Naturellement d'autres facteurs (comme la culture, la religion, etc.) sont
aussi des facteurs explicatifs.
2. Certains régimes politiques peuvent avoir tenté de le faire. Pensons au
nazisme, aux génocides et autres violences ethniques. Les rébellions
peuvent aussi avoir des origines économiques. Après il faut reconstruire la
société civile, économique et politique, donc du travail pour les gens et
les élites. C'est peut être cynique comme réflexion, mais cette possibilité
n'en est pas moins tristement possible.
3. En fait la technique a toujours évolué plus rapidement que le social et
le politique. A preuve, Platon parlait de démocratie il y a 2,300 ans et
bien des pays ne connaissent pas encore ce qu'est une démocratie. Combien
de pays, en comparaison, ne connaissent pas les armes modernes?
4. Il faut faire cette distinction, car les très petites entreprises (ou
commerces) sont souvent de l'auto-emploi. Les petites entreprises étant
souvent imbriquées dans leur milieu, elles considèrent davantage le milieu
dans leur décision tout comme elles sollicitent son appui. Les grandes
entreprises étant souvent dirigées par des technocrates, elles sont moins
portées à accorder du poids à ces facteurs sociaux, d'autant plus qu'elles
sont dirigées d'ailleurs. C'est ainsi qu'une filiale rentable d'une
multinationale peut être fermée pour des considérations inconnues du milieu
- des considérations politiques ou de globalisation par exemple. Les
moyennes entreprises naviguent entre ces deux pôles que sont les petites et
les grandes entreprises.
5. A ce sujet je vous suggère la réflexion d'un auteur libéral, David
Hume (1711-1776) qui dit que:
“Tout État est affaibli par une trop grande disproportion entre les
citoyens. Chacun, si c’est possible, devrait jouir des fruits de son
travail, par la pleine possession de tout ce qui est nécessaire à la vie,
et de plusieurs des choses qui la rendent agréable. Nul ne peut douter
qu’une telle égalité soit ce qui s’accorde le mieux avec la nature humaine
et qu’elle ôte bien moins au bonheur du riche qu’elle n’ajoute à celui du
pauvre. Elle augmente aussi le pouvoir de l’État, et elle est cause que les
taxes ou impositions extraordinaires seront payées de meilleur gré. Là où
les riches s’engraissent sur le dos d’un petit nombre, il faut que leur
contribution aux nécessités publiques soit très large; mais dès lors que
les richesses sont répandues sur une multitude, le fardeau semble léger à
chaque épaule, et les taxes n’apportent pas de différence bien sensible
dans la façon de vivre de chacun.” (La liberté comme nécessité historique,
in Le libéralisme, 1998, Paris: GF Flammarion, coll. Corpus, p. 63)
(Michel Handfield, co-éditeur.)
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé