L’éclatement de la Libye que j’avais annoncé dès le 1° avril 2011[1] a été officialisé le 6 mars 2012 avec la déclaration d’autonomie de la Cyrénaïque. Chaque jour qui passe, les résultats de l’intrusion franco otanienne dans la guerre civile libyenne apparaissent ainsi de plus en plus catastrophiques, deux réalités ayant été totalement ignorées par ceux qui décidèrent de cette insolite expédition :
1) La Libye n'existe pas.
_ 2) Ses deux principales composantes, la Tripolitaine et la Cyrénaïque ont toujours été opposées.
Au début de l’année 2011, ce ne fut pas à un soulèvement « démocratique » que nous avons assisté, mais à une tentative de sécession de la Cyrénaïque. Sur ce mouvement vinrent ensuite se greffer les islamistes arabistes radicaux, puis les Berbères arabophones de Zentan et leurs cousins berbérophones de Zouara et du Jebel Nefusa désireux d’en découdre avec un régime qui avait constamment nié leurs droits.
Ainsi donc, dans l’ignorance bétonnée du dossier, l’Elysée prit-il le parti d’un camp contre un autre, croyant, ou pire, feignant de croire, que le CNT était l’émanation d’un peuple en lutte pour ses droits démocratiques alors qu’il n’était qu’un conglomérat d’intérêts contradictoires.
Le colonel Kadhafi massacré dans les conditions que l’on connaît, ses « vainqueurs » se déchirèrent ensuite à belles dents :
- En Tripolitaine, le faible CNT navigua à vue entre les milices islamico-mafieuses de Misrata, les milices islamiques de Tripoli, les Berbères de Zentan et du jebel Nefusa et les Warfalla[2].
- En Cyrénaïque, les chefs de tribus virent dans le CNT une émanation de la Tripolitaine et ils s’en affranchirent.
Ce fut cependant un problème local qui hâta leur décision de proclamer l’autonomie de leur région. Les tribus supportaient en effet de plus en plus mal le climat anarchique résultant des agissements de certaines milices islamistes fondamentalistes soutenues par une partie du CNT et qui s’en prenaient à leurs pratiques religieuses coutumières. Dans cette région à forte caractéristique confrérique, l’islam salafiste ou wahhabite voulut en effet interdire le culte rendu aux saints – les marabouts du Maghreb- allant jusqu’à détruire leurs tombeaux (voir mon communiqué du 18 janvier 2012).
Tout ceci fit que ce qui devait arriver « arriva » avec la déclaration d’autonomie du 6 mars 2012 prononcée par l’assemblée des tribus de Cyrénaïque qui reconnut comme chef Ahmed Zubaïr al-Sanussi, parent du roi Idriss I° renversé en 1969 par le colonel Kadhafi, et membre éminent de la famille-confrérie sénoussiste qui régnait sur la région à l’époque ottomane.
En Libye, c’est donc à un retour à la longue histoire que nous assistons. Face à ce puissant mouvement de fond, la démocratie individualiste ou les droits de l’homme apparaissent pour ce qu’ils sont, des modes occidentales passagères bien éloignées des réalités locales. Il est cependant regrettable que les dirigeants français y aient une fois de plus cédé avec pour conséquence le bouleversement de toute la géopolitique sur l’arc de tension saharo-sahélien.
Bernard Lugan
07/03/12
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