L'un des mots favoris, dans la rhétorique des partisans (de plus en plus rares) de l'intervention en Irak, c'est le mot anglais appeasement. «L'apaisement», ou la conciliation à outrance, c'est le fait de céder un peu de terrain à un adversaire (ou un ennemi), dans l'espoir que cela «apaisera» son agressivité et sa volonté de conquête... alors que ce faisant -- par un classique effet pervers -- vous ne faites en réalité que l'encourager à continuer et à devenir plus gourmand, plus dangereux.
Dans un discours prononcé la semaine dernière devant ses derniers inconditionnels -- un parterre de vétérans de la Légion américaine --, l'inamovible secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, coauteur de la magistrale stratégie états-unienne en Irak, a une fois de plus ramené cet argument. Il a, oui, comparé les critiques de sa politique aux tenants de «l'apaisement» face à Hitler, dans les années 1930 en Europe.
«L'apaisement» équivaut à donner, et nous citons Rumsfeld au texte, «un peu de nourriture au crocodile, en espérant qu'il ne vous mangera que plus tard». Alors que Steve Irwin, l'homme qui nourrissait les crocodiles pour amuser la galerie, a trouvé ironiquement la mort à cause d'une raie pastenague et non pas d'un saurien, il se peut que le souci (sincère ou rhétorique) de lutter contre «l'apaisement»... puisse occasionner de nouvelles menaces, de nouveaux effets pervers encore pires.
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En Afghanistan, des armées étrangères, y compris 2300 soldats du Canada, font la guerre à des militants insurrectionnels animés par un mélange de nationalisme, de désespoir économique, d'intégrisme islamiste et de haine de l'Occident. Cette guerre de plus en plus sanglante, à laquelle de jeunes Québécois iront bravement mourir à compter de l'automne 2007, est en train de virer à la catastrophe.
Tous les indicateurs sont au rouge. Pour 100 talibans tués un jour, 200 rappliquent le lendemain. Avec, très souvent, l'appui de la population. Malgré une rhétorique rebattue sur la «reconstruction», en Afghanistan on ne bâtit pas de ponts, de routes ou d'écoles : on tire sur des ennemis. Hors de quelques camps fortifiés et surarmés, l'insécurité monte en flèche. Les droits des femmes ont régressé partout, si d'aventure ils avaient progressé en 2002-03. La corruption généralisée ruine le tissu social et politique. La production de pavot et d'opium atteint des sommets historiques.
Cette débâcle ressemble de plus en plus à un «Irak light» ou à un «Irak bis». Et le discours justificatif qu'on entend à Ottawa, sur l'air de «Gardons le cap !» et «Allons combattre les terroristes chez eux pour éviter qu'ils nous frappent ici !», ce discours ressemble de plus en plus à un calque des oraisons incantatoires des Bush et Rumsfeld sur le front irakien.
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Même de plus en plus discrédité en Irak, l'argument de «l'apaisement» mérite pourtant d'être entendu... S'il y a une vraie menace, ne faut-il pas faire quelque chose ? Ce quelque chose peut-il, doit-il inclure le recours à la force ? N'y a-t-il pas, en effet, quelque lâcheté à dire ou à penser : «Tenons-nous cois, n'allons pas leur faire la guerre, cela pourrait nous attirer des bosses» ? Les nazis hier, les talibans et al-Qaïda aujourd'hui... Contre les pacifistes, on peut et on doit affirmer qu'il eût été judicieux de bombarder des cibles allemandes en 1937 ou 1938.
Mais on peut démontrer qu'en 2006, au-delà de quelques généralités, le parallèle avec les nazis ne tient pas. La menace est différente aujourd'hui. Elle est géographiquement insaisissable. Elle est à la fois plus diffuse, moins compacte, mais peut-être aussi plus persistante, comme une brume qui ne veut pas décoller.
Surtout, on sent qu'il y a une terrible, une épouvantable inadéquation entre la menace, réelle, et les moyens déployés à son encontre. Bien sûr, ici, ne sont en cause ni la détermination ni le courage des soldats individuels qu'on a envoyés sur un terrain miné.
Et enfin, dans un miroir inversé de la critique de «l'apaisement», on peut très bien bâtir une théorie autour des effets pervers de «l'anti-apaisement». Théorie qu'on pourrait simplement nommer... théorie de la provocation, ou de l'huile sur le feu !
À savoir : que la guerre portée en différents endroits du monde, où se mêlent sans grande cohérence -- mais souvent avec brutalité et maladresse -- une lutte anti-insurrectionnelle au niveau national, la lutte contre le «terrorisme international», et une «reconstruction» supposée (et largement déficiente) de pays en détresse, que cette guerre a des effets diamétralement opposés à ceux souhaités.
La question morale, c'est de savoir si le fait de dénoncer les graves effets pervers d'une telle politique -- qui font en ce moment de spectaculaires métastases en Irak et en Afghanistan --, cela constitue de «l'apaisement». La réponse est non.
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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
francobrousso@hotmail.com
«L'apaisement» et son contraire
17. Actualité archives 2007
François Brousseau92 articles
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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