Crise de l'euro

L'amputation

Dans ce drame à l'image du chien qui essaye de se mordre la queue, la responsabilité des gouvernements dépasse celle des agences.

Crise de l'euro



Après avoir multiplié les attaques contre la Grèce, voilà qu'une agence de notation vient de réduire la valeur de la dette du Portugal à une peau de chagrin. De fait, en moins de trois mois, on vient d'assister à ce qu'il faut bien appeler une mise en tutelle de deux membres de l'Union européenne (UE). En un mot, on a été témoin d'une amputation de l'espace démocratique.
À plus d'une reprise au cours des douze derniers mois, la Grèce et le Portugal ont confectionné des plans d'austérité conformes aux desiderata du FMI, de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Commission européenne, sans oublier ceux formulées par les gouvernements allemand et français, bien décidés à soutenir les banques de ces pays passablement exposées aux risques que présente la Grèce. Chaque fois, ces plans ont été accueillis par un chapelet de décotes portant l'empreinte de Moody's et compagnie.
Chaque fois, on le répète et on le précise, ces agences se sont appliquées à scruter bien davantage les modalités des prêts accordés par la BCE et autres, sans analyser dans le détail les conséquences découlant de la décision prise par Athènes et Lisbonne de réduire les salaires des fonctionnaires comme leurs allocations de retraite, de privatiser à tout va, d'améliorer la gestion des impôts particulièrement bancale en Grèce, de contrecarrer la culture de la corruption effectivement prononcée, là encore, en Grèce, etc.
En écho à ces restrictions tous azimuts et aux tourbillons sociaux qu'elles ont provoqués, Standard and Poor's et autres ont répondu de manière à ce que l'intérêt imposé à ces deux États augmentent, augmentent. Le pire, c'est que, selon des économistes de renom tant aux États-Unis qu'en Europe, la médecine de cheval imposée par des organisations supranationales va avoir sa valse d'effets pervers.
La semaine dernière, dans une colonne publiée dans le journal Le Monde, Amartya Sen, Prix Nobel d'économie, soulignait ceci: «[...] tandis qu'en Grèce, ce sont des mesures imposées de l'extérieur qui sont mises en cause, dans un pays où les marges de manoeuvre pour contester les injonctions des caïds de la finance sont des plus minimes. Ces réductions budgétaires poussées à leur maximum risquent de diminuer les dépenses publiques autant que les investissements privés. Si cela se traduit également par une réduction des stimuli de croissance, les recettes publiques pourraient, elles aussi, chuter douloureusement.»
Dans ce drame à l'image du chien qui essaye de se mordre la queue, la responsabilité des gouvernements dépasse celle des agences. Dans la foulée de la crise de 2008, les capitales des pays membres de l'UE et d'Amérique du Nord avaient la possibilité de discipliner une planète financière rythmée par une culture de casino. Elles avaient la possibilité de gommer ne serait-ce qu'en partie le sacro-saint principe de l'autodiscipline, qui n'est en fait qu'un paravent au réflexe corporatiste. Elles avaient également le devoir d'injecter une petite dose de cloisonnement entre les banques de dépôts et les banques d'affaires. Elles avaient enfin le devoir d'exiger d'agences qui avaient accordé la note la plus élevée, la plus convoitée, à Countrywide, Bear Stearns, Lehman Brothers et autres établissements gavés de subprimes, une révision approfondie de leurs méthodes ainsi que l'élaboration d'un système de surveillance plus fiable.
Qu'ont-elles fait? Trois fois rien. Dans le cas des agences, des mesures ont été introduites, mais pas de quoi fouetter un chat. À preuve, l'épisode signé par Standard and Poor's la semaine dernière. De quoi s'agit-il? Cette dernière a évalué négativement le programme d'austérité italien. Les autorités concernées ont servi à leur tour une sévère mise en garde contre l'agence en question. La justification de celle-ci? Standard a noté, a qualifié un plan dont les détails n'avaient pas été... divulgués! L'Autorité européenne des marchés financiers a réagi en menaçant le coupable de lui soutirer éventuellement son permis d'exercer.
Qu'on y songe. Une agence annonce au monde entier que la valeur de la maison Italie vaut moins que ce que l'on croit. Autrement dit, elle lui fait perdre des millions, pour ne pas dire plus. Et que fait l'Autorité européenne? Elle lui sert une petite menace. Elle lui tape sur les doigts. Affligeant!


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