La polémique sur la désignation de Mathilde Edey Gamassou dans le rôle de Jeanne d’Arc lors des fêtes johanniques d’Orléans a fait débat. Dans les colonnes de Causeur, deux articles, l’un signé Aurélien Marq, l’autre Stanislas François, ont défendu ce choix. Représentante assumée de la « Fachosphère », Gersende Bessède conteste cette position. Adhérant aux thèses de Renaud Camus, elle considère le « Grand remplacement » comme une violence infligée au peuple français. Dans ce contexte de tensions multiculturelles, aucun choix ne paraît innocent. Sa réponse.
Dans ce qu’il convient désormais d’appeler l’affaire Jeanne d’Arc, nous avons vu se déployer à nouveau l’insupportable pesanteur de fonte idéologique qui s’abat désormais sur toute virgule du discours, propos de bistrot inclus, y compris, et c’est l’une des nouveautés, sur ceux qui ne sont pas tenus mais dont on pense qu’ils ont été tenus, et dont il convient de présupposer ce qui est sous-entendu dans leur intertexte imaginaire qui n’était, par définition, pas formulé. Un crimepensée orwellien en somme. Un crimepensée de masse qui plus est.
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Revenons aux faits concrets pour bien comprendre. Que s’est-il passé ? Quelques anonymes apprennent qu’une jeune fille métisse a été choisie pour incarner Jeanne d’Arc lors des prochaines fêtes johanniques dans la bonne ville d’Orléans. Ils sont trois. Ils sont mécontents. Ils auraient pu aller râler comme tout bon Français au bistrot du coin mais préfèrent râler sur Twitter, le bistrot high-tech de notre époque. Trois tweets, donc. L’un est effectivement injurieux pour la jeune fille, ce qui, dans un pays qui a su porter au plus haut la civilité envers les femmes, n’est pas justifiable. Les deux autres disent en substance ceci : « Il y en a marre du multiculturalisme. » Ce qui, jusqu’à preuve du contraire, n’est en aucun cas une injure personnelle mais simplement l’expression d’une opinion politique. On se demande bien comment ce rien, ce dérisoire, – trois tweets – a bien pu devenir en l’espace de quelques heures, une polémique nationale totalement hystérique. On peut néanmoins très bien se le figurer : un journaliste paresse devant son fil Twitter, voit passer les tweets en question, se frotte les mains en se disant qu’il tient un sujet facile et bien « putaclic », et les trois tweets deviennent par la nécessité vitale pour la presse de faire de l’argent avec du clic internet par tous les moyens : « Abominable vague de haine et déferlement de propos racistes de la part de la Fachosphère sur une jeune fille sans défense ». En effet, le bon Français n’écoutant que son atavisme civilisationnel mentionné plus haut, – en France, on n’insulte pas les femmes -, embraye automatiquement sur les réseaux sociaux (car malgré l’ampleur réelle qu’elle y a prise, la polémique y est restée également totalement circonscrite), et enfourche son cheval blanc, pour défendre la jeune fille outragée et se livrer à ce qui va devenir dans les faits, un déferlement de haine antiraciste bien réel cette fois, contre les immondes fachos racistes, Salauds ontologiques qui ont toujours permis de s’offrir à bon compte et sans prendre aucun risque, une aura vertueuse qui permet de se faire bien voir en société. Il est à noter que la fameuse Fachosphère qui, soi-disant, laissait déferler sa haine sans retenue, est non seulement restée relativement silencieuse, mais, et c’est l’autre fait nouveau dans la grande saga de l’antiracisme comme arme idéologique de ce que Renaud Camus appelle le « remplacisme global », on aura vu la majorité des têtes de gondoles de la « Fachosphère » rejoindre à cette occasion le camp antiraciste, ce qui n’empêcha pas pour autant l’hystérie de continuer son ascension vers les sommets himalayens de la haine décomplexée du « facho » et du racisme tranquille contre le blanc indigène, ce « blaireau sous-diplômé », ce « beauf bas-de-plafond », ce « ringard ». Ou quand un simulacre absolu devient un fait politique. Ce que l’on appelle aujourd’hui, une « fake news ».
Mais le fait est que, la polémique étant lancée, elle est devenue réellement un fait politique, malgré nous, il convenait donc d’y répondre. Essayer de riposter à un tir de barrage inopiné et injustifié, devint dans les petits esprits très peu vertébrés de nos adversaires, la preuve ultime de notre bêtise. S’imaginer que nous n’aurions pas compris le dispositif du piège qui nous était tendu, est la preuve que ceux qui nous prennent pour des idiots à QI de palourdes, ont eux-mêmes des capacités cognitives assez limitées. On nous a, par exemple, accusés avec une impudente mauvaise foi, de faire le jeu de Rokhaya Diallo. Or que dit Rokhaya Diallo, que veut-elle vraiment ? Elle l’a exprimé en toute simplicité : « Nous devons à présent déconstruire systématiquement les représentations du passé ». Au prétexte pétochard de ne pas donner des armes à l’adversaire, nos amis d’hier ont préféré lui donner directement les clés de la maison, en accédant à son souhait, déconstruire la représentation du passé, en clair, effacer les blancs indigènes de leurs propres représentations historiques pour les remplacer par d’autres populations extra-européennes. Jeanne d’Arc est métisse désormais. Rokhaya Diallo a gagné.
Nous connaissons la chanson par coeur depuis trente ans. Le chantage moral au racisme n’a pas pour but de nous faire sauter à pieds joints dans la caricature de nous-mêmes, non, mais pour seul et unique objectif de nous faire taire. De nous obliger à laisser-faire en silence. Par tous les moyens, chantage moral, intimidation judiciaire, harcèlement 2.0. Et c’est pour cela qu’il convient de ne pas se taire. Jamais. Même et surtout, lorsque le piège est déployé.
Et ce qu’il faut dire, c’est que la vraie problématique de cette affaire n’est tant pas de savoir si Mathilde Edey Gamassou aurait le « droit » d’incarner Jeanne d’Arc lors des fêtes johanniques, mais de bien comprendre ce que ce choix signifie. De s’attacher à l’esprit de l’évènement plutôt qu’à la lecture superficielle de sa lettre.
La lettre, c’est l’universalisme républicain comme procédé opératif de l’assimilation : « Une jeune fille d’origine immigrée peut parfaitement s’assimiler au point de devenir une vraie Française. » Oui, personne ne nie cela. Mais le propre du littéralisme est de relever plus de l’idéologie que de la politique pragmatique. En effet, cet argument, que certains nous présentent comme un absolu moral devient très relatif lorsqu’on l’applique au réel. Je m’explique.
Faisons un peu de politique-fiction pour mieux nous faire comprendre. Imaginons le même choix d’une jeune fille métisse pour incarner Jeanne d’Arc lors des fêtes johanniques dans les années 1950, dans une France qui est donc différente, elle est encore plutôt homogène, l’immigration y est restreinte, majoritairement une immigration de travail d’ailleurs, qui n’est pas destinée à faire souche, et c’est parce que cette immigration est restreinte, qu’elle ne pose aucun problème particulier. Dans ce contexte-là, mettre en avant un modèle d’assimilation réussie ne pose aucun problème en soi, car c’est la belle exception qui confirme la règle. La lettre coïncide alors avec l’esprit. Mais dans la France de 2018, les problématiques ne sont pas les mêmes, si la lettre dit toujours la même chose, l’esprit lui, n’est plus le même.
La France de 2018 n’est plus homogène, l’immigration n’y est plus restreinte, mais massive, et relève si l’on se fie aux statistiques, plus de l’immigration de peuplement (regroupement familial) que de l’immigration de travail. Le déséquilibre démographique, c’est-à-dire le rapport du nombre, est en train de basculer progressivement en défaveur de la population indigène. Et ce phénomène, une population allogène nombreuse, jeune, à la natalité dynamique, face à une population indigène vieillissante, à la natalité faible, c’est cette substitution mécanique par vases communicants que l’on nomme le « Grand remplacement ». Dans ce contexte de « Grand remplacement », que dit le choix de Mathilde Edey Gamassou pour incarner Jeanne d’Arc ? Que le « Grand remplacement » est tellement en voie d’achèvement que l’on peut sans complexes, se permettre de poser le visage symbolique du remplaçant sur la figure qui incarne le mieux dans le roman national la lutte contre le remplacisme. Et s’il reste quelques indigènes pour s’en offusquer et refuser de disparaître en silence, on fera comme d’habitude, on les traitera de racistes. Voilà l’esprit de ce choix. Tout simplement.
Il est d’ailleurs notable et très signifiant de voir à l’occasion de cette polémique, que la civilisation européenne, qui a pourtant toujours privilégié l’esprit à la lettre – à l’inverse du djihadisme par exemple -, jusque dans ses textes sacrés soit aujourd’hui totalement incapable d’être autre chose que littéralisme, y compris dans sa perception d’un simple tweet, aussi volatil qu’un propos de comptoir. Peut-être est-ce là, la preuve que nous sommes déjà remplacés dans nos têtes, ni plus ni moins…