(Article corrigé, 2021-09-21)
Pierre Boutang, qui est l’un des plus grands, si ce n’est le plus grand métaphysicien du XX° siècle, a notamment, dans sa riche œuvre, étudié ces figures mystérieuses qu’ « inventa » le prophète Ézéchiel, Gog et Magog.
En particulier lorsqu’il commenta la guerre des Six-Jours, en 1967.
Quelques siècles avant lui, Machiavel s’inspira du contenu du livre d’Ézéchiel, quand il se servit des images du lion et du renard pour expliquer que le Prince, le chef politique au sens générique, dispose de deux moyens pour gouverner : la ruse et la force.
On retrouve cette métaphore dans le chapitre 18 intitulé « Comment les Princes doivent tenir leur parole ».
« Chacun comprend combien il est louable pour un prince d’être fidèle à sa parole et d’agir toujours franchement et sans artifice. De notre temps, néanmoins, nous avons vu de grandes choses exécutées par des princes qui faisaient peu de cas de cette fidélité et qui savaient en imposer aux hommes par la ruse. Nous avons vu ces princes l’emporter enfin sur ceux qui prenaient la loyauté pour base de toute leur conduite.
On peut combattre de deux manières : ou avec les lois, ou avec la force. La première est propre à l’homme, la seconde est celle des bêtes ; mais comme souvent celle-là ne suffit point, on est obligé de recourir à l’autre : il faut donc qu’un prince sache agir à propos, et en bête et en homme. C’est ce que les anciens écrivains ont enseigné allégoriquement, en racontant qu’Achille et plusieurs autres héros de l’antiquité avaient été confiés au centaure Chiron, pour qu’il les nourrît et les élevât.
Par là, en effet, et par cet instituteur moitié homme et moitié bête, ils ont voulu signifier qu’un prince doit avoir en quelque sorte ces deux natures, et que l’une a besoin d’être soutenue par l’autre. Le prince, devant donc agir en bête, tâchera d’être tout à la fois renard et lion : car, s’il n’est que lion, il n’apercevra point les pièges ; s’il n’est que renard, il ne se défendra point contre les loups ; et il a également besoin d’être renard pour connaître les pièges, et lion pour épouvanter les loups. Ceux qui s’en tiennent tout simplement à être lions sont très-malhabiles.
Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus : tel est le précepte à donner. Il ne serait pas bon sans doute, si les hommes étaient tous gens de bien ; mais comme ils sont méchants, et qu’assurément ils ne vous tiendraient point leur parole, pourquoi devriez-vous leur tenir la vôtre ? Et d’ailleurs, un prince peut-il manquer de raisons légitimes pour colorer l’inexécution de ce qu’il a promis ? »
On retrouve d’ailleurs cette symbolique dans le logo de cette antichambre de l’élite républicaine faillie qu’est Sciences Po Paris : un renard et un lion tenant un livre, qui signifie le savoir. Le florentin, qui mit son intelligence au service de la famille Médicis, ne put pas ne pas avoir lu le livre du prophète Ézéchiel. À son époque la péninsule italienne, d’où émergèrent avant lui Thomas d’Aquin et Dante, ces orfèvres de la civilisation chrétienne du Moyen-Âge, chaque enfant était invité très tôt à prendre connaissance des sagesses contenues dans la Bible.
C’est dans l’âme jeune de Machiavel que s’est donc imprimée la « parole ézéchielienne ».Et, sans doute inconsciemment, a produit chez lui ces symboles du lion et du renard. Car en substance cette parole dit que le princeps hujus mundi agit en associant ou alternant ruse (le renard) et violence (le lion). Ce sont les chapitres XXXVIII et XXXIX que l’on retrouve cette idée. À cet égard un certain Jean Vacquié, conférencier et penseur catholique du XXème siècle, affirmait que ces deux chapitres fournissaient une vision prophétique sur les grandes guerres mondiales modernes.
Nous lui laissons la responsabilité de ce propos mais, quoi qu’il en soit, au sujet de ce concept-clé de la modernité, Machiavel a contribué de manière décisive à moderniser la pensée politique.
Il s’agit ici d’entendre cette notion de la façon suivante : c’est le processus de sécularisation, de laïcisation, des sociétés humaines, qui s’est enclenché à partir des XVème et XVIème siècles.
Ou, autrement dit, cette « mort de Dieu » dévoilée par le langage poétique de Nietzsche. « Autrefois le blasphème envers Dieu était le plus grand blasphème, mais Dieu est mort et avec lui sont morts ces blasphémateurs. »
Justement, Machiavel a littéralement tué Dieu. D’où peut-être cette connotation négative associée à son nom. Son œuvre passionnante contient en son sein quelque chose qui relève du Mal, sans doute cela s’explique-t-il par ce « trait homicide », si l’on nous concède cette image.
Au fond, Machiavel, qui fut l’ancêtre de tous les spin doctors, a soustrait au théologico-politique le théologique, le numineux, le religieux. Il a ôté au politique sa dimension transcendante. « Le diable est la contrepartie de Dieu », disaient en même temps les deux « compères » et rivaux Carl G. Jung et Sigmund Freud, sans que l’on sache qui a piqué l’idée à l’autre.
Or la leçon fondamentale de la philosophie politique chrétienne consiste à voir celui que Goethe baptisa Méphistophélès, qui voudrait dire « exhalation pestilentielle », comme le Maître de la Terre, le gouverneur de l’espace sublunaire, le prince de ce monde (princeps hujus mundi en latin). Aujourd’hui nul n’apprend cela à Sciences Po, triomphe de la modernité oblige.
Pour le dire autrement, la pensée de Machiavel interprétée par les modernes occulte cette rencontre relatée par les « synoptiques » (Matthieu 4 : 7-9, Marc 1 : 12-13, Luc 4 : 1-13) au sommet d’une montagne, où Satan dit au Christ ces paroles : « Je te donnerai toute cette puissance et la gloire de ces royaumes ; car elle m’a été remise, et je la donne à qui je veux. Si donc tu te prosternes devant moi, elle t’appartiendra tout entière. ». C’est pourtant un fait politique total, pour paraphraser Marcel Mauss, le fait politique archétypique, que Goethe dans Faust ne manqua pas de traiter, si l’on peut dire, comme il s’inspira du livre de Job pour son splendide prologue de cette œuvre magistrale, monumentale, qui est à considérer comme le pinacle du romantisme.
Deux faits en particulier, dans ce contexte catastrophique de pandémie de coronavirus, ont profondément attristé nos compatriotes : le détournement par les Américains de masques de protection sur le tarmac de l’aéroport de Shanghai, qui a eu lieu le 1er avril, et le meurtre de deux personnes à Romans-sur-Isère, qui s’est produit le 4 avril, commis par un fou à lier sans papiers d’origine soudanaise, ce qui une fois de plus devrait convaincre chacun de défendre l’ « immigration zéro », les immigrationnistes, ces nouveaux maquignons, étant dans cette affaire coupables, en plus d’être des idiots utiles du capitalisme mondialisé, qui, après avoir ravagé la planète est en train de se ravager lui même, dans la mesure où ils défendent une politique néocolonialiste, eu égard au fait que l’immigration du Sud vers le Nord est un pillage en règle des ressources humaines des pays du Sud. Il n’y a de richesses que d’hommes, dixit Jean Bodin.
Ce que nous soulignons ici c’est la concomitance de ces deux événements. De la même manière, personne n’avait relevé la concomitance de l’organisation à Marseille d’une cession de présentation au public de Google (vocable à rapprocher de « Gog »), via des formations et des activités ludiques, qui eut lieu peu avant, le week-end du 22 et 23 septembre, cet effroyable double homicide de Mauranne et Laura, en octobre 2017 par un psychopathe dégénéré possédé par les mortifères espérances millénaristes de Daech. Soit, après Gog, Magog.
Le maire des 13ème et 14ème arrondissements Stéphane Ravier est bien seul pour nous rappeler à leur mémoire, nous devons lui accorder ce mérite, par-delà toute considération politicienne, pour ne pas dire politicarde.
Les deux affaires, celle des masques subtilisés par « notre ami » américain, qui a l’habitude d’agir avec ruse, à l’image de son perfide cousin Albion, comme en attestent les attaques par drone au Moyen-Orient lancées par l’administration, tues par les médias – il est possible, à cet égard, que Donald Trump, court-circuité en permanence par l’État profond qui opère à chaque instant en sous-main, n’ait pas commandité la frappe perpétrée en janvier 2020 contre le dignitaire iranien Qassem Soleimani – et celle de l’attentat « takfiriste » de Romans, est semblable au mode d’action propre à Daech et Al-Qaïda, qui est exaltation de la violence pour elle-même, de la violence non-feinte, non-dissimulée, ouverte, transparente, à l’image de notre société actuelle des réseaux sociaux née avec l’essor de la Silicon Valley, où la Californie sert d’instrument de propagande au Califat maudit, qui, on le voit, n’a pas été totalement anéanti, dissous, et qui tel les têtes de l’Hydre de Lerne peut rejaillir à tout moment.
Tandis que les personnalités publiques, ainsi que les masses, en usant des mêmes instruments – Facebook, Twitter & Cie – répètent à l’envi, en bon Sisyphes compatissants, depuis maintenant trop d’années les mêmes paroles de condoléance après chaque crime barbare commis par ces entités infra-psychiques dont parlait Jean Phaure dans Le cycle de l’humanité adamique.
Ainsi, après le temps du deuil, voici l’heure de la réflexion, dans cette période troublée qui ressemble comme deux gouttes d’eau à une crise systémique. C’est hélas dans ces moments cataclysmiques que l’on voit émerger les comportements les plus maléfiques, ou machiavéliques…
Mais c’est aussi là que se révèlent les actes les plus admirables. Le XXIe siècle est donc un autre « âge des extrêmes », pour reprendre le titre d’un ouvrage de l’historien britannique Eric Hobsbwam consacré au XXe siècle, voire un âge des ténèbres. Sachons par conséquent raison garder.
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