Paris | Des milliers de «gilets jaunes» ont manifesté samedi à Paris et dans plusieurs villes de France, trois mois après le début de ce mouvement de contestation qui persiste malgré un début de lassitude dans l’opinion publique.
À Paris, traditionnelle place forte de la contestation, une foule compacte de plusieurs milliers de personnes a rejoint l’esplanade des Invalides après avoir marché dans un calme relatif depuis l’avenue des Champs-Élysées, a constaté une journaliste de l’AFP.
À midi, le ministère de l’Intérieur dénombrait 10 200 manifestants dans le pays dont 3000 à Paris, des chiffres en recul par rapport à la semaine précédente, mais régulièrement contestés par les «gilets jaunes».
«On est 15 000, ça veut dire que le mouvement redouble», a affirmé à l’AFP Jérôme Rodrigues, présent dans le cortège et devenu un symbole des violences policières depuis qu’il a perdu son œil fin janvier lors d’un rassemblement à Paris.
Ce mouvement inédit, lancé le 17 novembre et né sur les réseaux sociaux de la contestation de la hausse de la fiscalité sur les carburants a essaimé dans toute la France et poussé le gouvernement à des mesures sociales et au lancement d’un grand débat national.
Les «gilets jaunes» contestent la politique fiscale et sociale du gouvernement, réclament plus de pouvoir d’achat et appellent, pour certains, à la démission d’Emmanuel Macron.
Malgré quelques épisodes de tensions, le cortège a déambulé dans la capitale sans incident majeur, aux cris de «Tout le monde déteste la police».
À Bordeaux (sud-ouest), le cortège rassemblait également plusieurs milliers de personnes, confortant cette ville comme l’un des bastions du mouvement, malgré la crainte de nouveaux incidents.
«Beaucoup de gens ne viennent pas ou plus parce qu’ils voient les images, ils ont peur. J’ai plein d’amis qui préfèrent rester chez eux, mais continuent toujours de soutenir le mouvement», commente Virginie, 42 ans, conseillère dans la grande distribution.
Première participation à une manifestation de «gilets jaunes» pour Nicole, 66 ans. Malgré la «peur de la foule, d’être blessée», elle tient à être présente parce que «s’en prendre aux petits retraités, c’est terrible». «Moi, en cinq ans, ma retraite a progressivement perdu 150 euros», dit-elle.
Au moins 2000 manifestants s’étaient rassemblés à Pontivy (ouest), point de ralliement de la région de la Bretagne. Plusieurs milliers de «gilets jaunes» manifestaient à Toulouse (sud-ouest), autre bastion du mouvement, derrière une banderole clamant leur détermination: «Seule la mort nous arrêtera».
À Nantes (ouest), la manifestation qui a rassemblé 1600 personnes, selon une source policière, a été émaillée d’incidents.
«Fracture»
Pour les trois mois de leur mouvement, les «gilets jaunes» ont également réinvesti les ronds-points – là où avaient commencé les mobilisations mi-novembre – dans le département de Meurthe-et-Moselle (est).
D’autres manifestations rassemblant d’une centaine à un millier de personnes se sont tenues notamment à Lille (nord), Caen (nord-ouest), Grenoble (est), Strasbourg (nord-est) ou Rennes (ouest).
Cette contestation voit le large soutien populaire dont elle bénéficiait s’effriter: pour la première fois, une majorité de Français (56 %) souhaitent que la mobilisation s’arrête, selon un sondage Elabe diffusé mercredi.
Entre le gouvernement occupé à faire la promotion de son « grand débat national », pour tenter de sortir de la crise, et les manifestants qui dénoncent une consultation de façade, le dialogue de sourds se poursuit.
Cette crise met en lumière «une fracture sociale, territoriale, démocratique, institutionnelle et européenne qui vient de loin», a estimé samedi l’ancien ministre français Jean-Pierre Chevènement, dans un entretien au journal Le Monde.
Selon lui, la défiance populaire à l’égard des politiques vient «du fait qu’on a refusé de voir le gigantesque transfert de compétences vers des instances non élues et qui n’ont de comptes à rendre à personne», comme la Commission européenne.