François ranime la mémoire subversive de Jésus

Fin octobre, des représentants de mouvements populaires et sociaux de partout ont été conviés au Vatican

D3d63cc9d60e8adecfdf8330e8f75cc2

Un pape communiste ? Ou tout simplement fidèle à la parole de l'Évangile

Une rencontre sans précédent et un discours exceptionnel sont passés étonnamment inaperçus dans les médias. Du 27 au 29 octobre dernier, plus d’une centaine de représentants de mouvements populaires et sociaux d’à travers le monde entier étaient invités au Vatican : des mouvements d’indignés aux paysans sans terre, des organisations autochtones aux ramasseurs de cartons dans les bidonvilles, des organisations d’ouvriers sans droits aux défenseurs de droits de la personne, des organisations de femmes paysannes, indigènes, noires, opprimées, aux associations de sans-abri, de sans-papiers, de tous les sans-visage et les sans-nom.

Ils y étaient pour brosser un état du monde du point de vue des plus pauvres et pour rendre compte de leur lutte pour sortir de « l’Empire de l’argent » qui saccage la Terre et les vies humaines, ainsi que de leurs initiatives pour rompre les chaînes de l’exclusion, des injustices, des inégalités et vivifier la démocratie à travers l’action populaire. Bref, regarder le monde à partir des gens d’en bas. Le prêtre brésilien et théologien de la libération Frei Betto a souligné l’originalité d’une telle rencontre : « dans le passé, les papes invitaient des banquiers, des personnes fortunées et des gens d’affaires pour discuter d’enjeux mondiaux. Le pape François, lui, agit conformément à son option préférentielle pour les pauvres et désire écouter ceux qui les représentent ».

L’Église des pauvres, voilà ce que cette rencontre construit, pierre après pierre, sur les ruines d’une Église acoquinée avec les pouvoirs établis. Le pape, avec ses compagnons et compagnes de route, dépoussière l’Église et, par le feu purifiant de l’Évangile, avive ses braises recouvertes d’une épaisse couche de cendres déposées par des pratiques dogmatiques, moralistes désincarnées, héritées d’une longue fréquentation d’élites politiques, économiques et sociales déconnectées de la réalité du peuple, et si étrangères au souffle et à l’incarnation de Dieu.

Pauvreté organisée

À cette occasion, le pape François a fait un discours proprement bouleversant… Il a reconnu que la présence de pauvres au sein de l’Église « qui non seulement subissent l’injustice mais luttent également contre elle » est un signe des temps. Les pauvres ne sont pas seulement des victimes ; ils agissent, s’organisent, protestent, se révoltent et luttent contre « les causes structurelles de la pauvreté, de l’inégalité, du manque de travail, de terre, de logement, de la négation des droits sociaux et du travail ». Il a rendu hommage à cette solidarité dont les mouvements populaires font preuve, qui est une véritable « façon de faire l’histoire », ajoutant : « J’espère que le vent de cette protestation deviendra un orage d’espérance. »

Il a mis en évidence le scandale de la faim et du manque de logements dans une société de gaspillage, de lucre et de plaisir. La douleur tant physique que spirituelle de ceux et celles qui sont dépossédés de la terre et de leur vie. Il a dénoncé l’hypocrisie de l’assistancialisme qui réduit le pauvre à la passivité, ainsi que le crime qui se cache derrière la novlangue bureaucratique, c’est-à-dire le déracinement des pauvres et la culture dominante du rebut, qui utilise l’être humain et le jette après usage. Il a reconnu la richesse de la culture et des savoir-faire populaires, louant « la poésie » de leur inventivité.

Il a dénoncé ce qu’il appelle la « Troisième Guerre mondiale », menée au nom du dieu Argent, qui ravage la nature et dont les humbles de la terre sont les principales victimes. Celle qui se fait par l’entremise des ventes d’armes au secours de l’économie capitaliste en crise, et par les guerres faites sous des prétextes humanitaires, toutes indifférentes aux milliers de déplacés, de réfugiés, de victimes collatérales qu’elles causent. Pourquoi cette guerre mondiale et cette indifférence si généralisée ? C’est parce que nous nous sommes habitués à ce que « le culte idolâtrique de l’argent » soit au centre de la société, et non la dignité de la personne humaine.

Le communisme ou l’Évangile ?

François unit sa voix à la clameur des exclus et les accompagne dans leur lutte. Il réclame des structures sociales qui replacent en leur centre la dignité humaine. Il n’est pas étonnant que, devant ces prises de position, un nombre croissant de catholiques proches des milieux de droite l’accusent d’être communiste. Dans son discours, il revient d’ailleurs sur cette accusation : ils ne comprennent pas que « l’amour pour les pauvres est au centre de l’Évangile » et que la ligne et le programme d’action de l’Évangile sont « révolutionnaires », donnant l’exemple des béatitudes (Matthieu 5 et Luc 6) et la parabole du Jugement dernier (Matthieu 25).

Devant le caractère inédit d’un tel discours tenu par un pape — une Église au service des dépossédés, des humiliés, catholiques ou pas, chrétiens ou pas, croyants ou pas. Humains, frères et soeurs en humanité — pourquoi ce silence des médias pourtant si à l’affût de l’inédit ? Les antennes des médias sont-elles à ce point émoussées par le préjugé selon lequel rien de bon ne peut sortir du Vatican ? Même si ce qui le fissure de l’intérieur laisse poindre une Église qui retrouve la saveur de l’Évangile ?

À moins que cet événement ne soit trop « radical » — mot honni dans notre société-spectacle, qui fait frissonner les bien-pensants. Car il ébranle tout en mettant en évidence le culte innommable rendu en masse aux idoles cruelles et sans espoir qui exigent servitude et sacrifice, jusqu’à la mort s’il le faut, de la multitude d’êtres jetables que nous sommes devenus, condamnés à n’être que matières premières pour la grande machine dévorante de la globalisation qui broie corps et âme, la nature, jusqu’à la vie même pour accumuler richesse et capital. Cet événement défarde le visage hideux de la démocratie de marché et de ses alliés sanglants — dictatures de tout poil qui ont le bon goût, celui qui pardonne tout, de servir le même dieu Argent… Veut-on vraiment entendre une Église qui ranime la mémoire subversive de Jésus ?


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->