La campagne électorale est lancée depuis un moment déjà. C’est sans vergogne que le gouvernement Couillard a commencé à faire pleuvoir les dollars pour faire croire à la manne. Avec leur complaisance habituelle, les bonimenteurs et faiseurs de bruit médiatique sont restés bien sagement campés dans leur rôle de relais béats. Ils ont gobé le vocabulaire : le mot surplus a été relayé même s’il n’est rien d’autre en l’occurrence qu’une imposture comptable. Les sommes retranchées par une brutale politique de réduction des services publics ne sont pas des surplus. Elles ne sont pas non plus des réinvestissements. Elles sont tout simplement devenues un trésor de guerre que le gouvernement entend utiliser pour sa campagne électorale. Les baisses d’impôts ne serviront qu’à rendre encore plus faible la capacité d’intervention de l’État. Les réinjections de fonds ne se font pas là où elles seraient nécessaires, mais bien là où elles paraîtront payantes sur le plan électoral.
Le cynisme de l’opération a quelque chose de répugnant. C’est une véritable perversion du langage qui va servir à présenter comme de la bonne gestion une opération qui ne cesse de faire régresser le Québec. Les indicateurs économiques actuels sont loin d’être mauvais, certes, mais la lecture de la conjoncture va servir à les retourner contre le politique. Le paradoxe n’en sera que plus grand et plus cruel : le dynamisme québécois ne servira pas à faire grandir le Québec, mais bien plutôt à en faire un nain politique. Le gouvernement Couillard travaille à réduire sa capacité à orienter son développement en affaiblissant l’État. Il travaille à laisser Ottawa instrumentaliser le dynamisme québécois. Bombardier, le cannabis, les chantiers maritimes Davie, le Port de Québec, Netflix, la liste n’en finit plus de s’allonger des dossiers où les pertes s’accumulent, où les iniquités se creusent, où l’impuissance est de règle.
Et pourtant des sommes faramineuses seront consacrées à la publicité gouvernementale pour couvrir la démission, pour dresser les écrans de boucane. Millionièmes promesses sur le comptage des civières, épanchements sur la qualité de l’éducation et la salubrité des écoles occupent la plus large part de l’horizon que les baisses d’impôt laisseraient enfin apercevoir. Quelques bricoles pour sacrifier à l’air du temps, de l’esbroufe numérique pour faire oublier la goinfrerie médicale et le ton aura été donné. Et il n’est pas dit que cela ne sera pas efficace. Notre peuple en ses millions « de gens fragiles à des promesses d’élection », comme l’a si bien chanté Claude Gauthier, n’en finit plus de vaciller, de tanguer entre résignation et autodénigrement. Les sondages ne cessent de mesurer ses humeurs changeantes, d’illustrer le brouillage des repères. La médiocrité de la politique politicienne s’impose. On ne voit guère poindre de véritables contre-discours. La provincialisation de la classe politique est désormais consommée.
Au seuil de la nouvelle année, c’est bien cela qui frappe : le complet déphasage de notre élite dirigeante. Aucune voix crédible ne porte désormais la lecture de notre condition nationale. Si quelques ténors en appellent à « sortir les libéraux » on les cherche encore ceux et celles qui en appellent à sortir de la dépendance. Notre peuple est minorisé et claquemuré dans un régime qui piétine toutes les règles constitutionnelles qu’il a pourtant imposées. Il n’y a plus rien qui tienne en matière de partage des compétences sur lesquelles les règles formelles sont pourtant encore invoquées. Ottawa agit à sa guise, impose ses choix, ses moyens, ses conditions. Le Québec est moins que jamais maître dans sa maison et sa classe politique se chamaille pour savoir comment tirer parti de la longueur de la laisse !
Le débat politique est devenu une véritable surenchère d’impuissance consentie et de déni du réel. Les péquistes ne cessent de faire comme si la soumission au régime n’avait que des conséquences endurables, comme si rien ne sera jamais si grave pour que le Québec se dresse. Les caquistes ne demandent pas mieux que de faire semblant de trouver noble la malhonnêteté intellectuelle d’un aspirant baronnet et de se faire une petite musique de nuit avec les refrains mille fois répétés d’une autonomie provinciale aussi chimérique que la volonté de l’État canadian d’y accorder la moindre attention. Québec solidaire et les autres partis et groupuscules s’imaginent que le Québec peut se donner un projet de société en oubliant Ottawa et en déportant à gauche l’indigence provinciale. Plus personne ne veut penser la politique nationale dans sa condition réelle, dans sa condition radicalement dépendante.
Les programmes des partis ne sont plus que des énoncés sans fondement dans la realpolitik, des manifestations d’une dépendance à ce point intériorisée que ses catégories ne sont plus perçues comme structurantes. La dépendance n’est pourtant pas qu’une somme d’anecdotes ou un catalogue de limitations vues comme des « irritants ». C’est un cadre, un paradigme de claustration. La politique provinciale n’est pas seulement une politique pour nation annexée, comme l’a si bien montré Maurice Séguin, elle est devenue dans le Canada post-référendaire un véritable trompe-l’œil. Le Québec n’a plus le moindre contrôle sur la définition des finalités de son développement. Tout au plus peut-il s’entredéchirer sur les modalités d’aménagement des contraintes que lui impose un régime qui n’a plus le moindre souci pour ses réactions. Pis encore, pour sa capacité de réagir, tant la pusillanimité de sa classe politique est évidente et avérée.
La vérité de notre condition politique c’est que l’État du Québec est en voie de décomposition, que le gouvernement du Québec a de moins en moins les moyens de sa mission et qu’il a si bien intériorisé les contraintes que le Canada lui impose qu’il ne se pense plus que dans la vision déformée que la faiblesse et l’incohérence de ses gestes donnent à ses projets et à sa capacité de se projeter. On comprend dès lors en quoi la seule existence du Bloc québécois peut apparaître à plusieurs comme incongrue, voire obscène. Sa présence à Ottawa comme force d’incarnation de la volonté de se conduire selon ses finalités propres suffit à révéler que l’altérité radicale est la seule voie de représentation des intérêts et des actions de la nation.
Il faut espérer que l’année 2018 soit celle de la fin du déni. Il faut que l’action militante force les partis à sortir de la politique des lamentations, qu’elle impose l’ambition d’en finir avec la dépendance et pour ce faire d’en finir avec les représentations de l’action que nous sert une classe politique totalement engluée dans la politique provinciale. S’il importe de se débarrasser des libéraux, il importe davantage d’éviter de les remplacer par d’autres portiers de la maison de fous canadian. Le Québec mérite mieux que la politique qu’on lui sert. Des siècles de persévérance têtue ne peuvent s’abolir par le consentement à l’impuissance et s’avilir dans le renoncement à se faire maître de son destin. Il faut juger la classe politique à l’aune de sa responsabilité historique et non pas à celle de ses appétits circonstanciels.