En Catalogne, la frustration attise la violence

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Vers un nouveau référendum non-effectif en Catalogne ?


Barcelone | Après des années de manifestations pacifiques, une partie du mouvement indépendantiste catalan s’est tourné vers la violence, nourrie par la frustration découlant de l’échec de la tentative de sécession de 2017, expliquent analystes et militants. 


Depuis 2012, les séparatistes se targuaient de leurs énormes marches colorées de centaines de milliers de personnes, parfaitement chorégraphiées dans une ambiance paisible et familiale. Le mouvement s’était lui-même baptisé «la révolution des sourires». 


Mais après l’échec de 2017, l’amertume a commencé à gagner certaines franges. «Les sourires sont terminés», chantaient à l’unisson des militants dans certaines manifestations récentes. 


Et la condamnation à de lourdes peines de prison de neuf dirigeants séparatistes lundi a été l’étincelle qui a provoqué trois jours consécutifs de violences dans la région. 


«Nous n’avons rien obtenu depuis les premières manifestations pacifiques de 2012 et ils ont franchi toutes les limites avec cette décision», protestait mercredi soir Lluis, un étudiant de 21 ans s’apprêtant à mettre le feu à une poubelle à Barcelone. 


Depuis lundi, les plus remontés sont généralement des jeunes qui se déplacent en groupes et provoquent la police, certains quasiment sans expérience des manifestations. 


Le pacifisme «ne suffit plus»


Les indépendantistes ont vécu la condamnation de leurs leaders comme « une grande agression » de la part des autorités espagnoles, explique Jordi Mir, le coordinateur du Centre d’études sur les mouvements sociaux de Barcelone. 


«Jusqu’ici, il y avait eu des marches, des chaînes humaines, mais pour une partie de la société (catalane), cela ne suffit plus, cela n’a donné aucun résultat», explique-t-il. «Et face à cette situation exceptionnelle, ils ont décidé d’aller plus loin». 


Au-delà de l’État espagnol, la colère des plus radicaux vise les autorités régionales, aux mains des indépendantistes, qui n’ont pas tenu leurs promesses de sécession en 2017. 


Continuant à avoir le même discours sans résultats, le président régional indépendantiste Quim Torra a encouragé ces derniers jours à organiser des manifestations. Mais ces dernières sont dispersées par la police régionale, contrôlée par son gouvernement. 


«Le président Torra critique la sentence, mais ensuite il envoie les Mossos d’Esquadra (la police régionale) réprimer les manifestations des gens qui luttent contre cette décision. C’est super hypocrite», fustige Oriol Gonzalez, un syndicaliste étudiant de 23 ans. 


«Nous avons besoin de leaders, nous n’avons pas de leaders, ils ne nous soutiennent pas», renchérit Olga, une étudiante de 20 ans qui n’a pas donné son nom de famille. 


La dérive a été progressive. En 2017, les indépendantistes s’étaient limités à des actes de désobéissance, comme des blocages de routes. 


À partir de 2018, des violences ponctuelles avaient entaché certaines manifestations sur fond de colère croissante à l’égard de Madrid et des dirigeants séparatistes qui n’avançaient pas vers l’indépendance comme ils s’y étaient engagés. 


Berta Barbet, du collectif d’analystes Politikon, souligne la «frustration» de ces militants devant l’échec d’«un projet qui avait suscité beaucoup d’enthousiasme». 


Le manque de leaders en raison de l’incarcération ou de la fuite à l’étranger des anciens chefs de file des indépendantistes a également pesé. «Sans direction politique, il est normal de voir émerger des groupes qui expriment leur frustration d’une manière plus violente», insiste-t-elle. 


Tradition révolutionnaire


Depuis l’échec de 2017, le mouvement n’a pas su trouver de nouvelle stratégie et les divisions entre pragmatiques et jusqu’au-boutistes sont apparues au grand jour. 


Pour Jordi Mir, «il est très difficile de savoir ce que cherchent les manifestants : proclamer l’indépendance ? Obtenir plus de soutiens ? Un référendum ?». 


Il est aléatoire par conséquent d’imaginer l’avenir de ces protestations, estime Mme Barbet. «Sans demande claire, il est très difficile que cela débouche sur quelque chose». 


Épicentre des violences, Barcelone a par ailleurs une longue expérience d’«épisodes de cette nature», souligne Jordi Mir qui rappelle que des grèves, des mobilisations d’étudiants ou même des titres obtenus par le club de football FC Barcelone se soldent régulièrement par «des poubelles brûlées, des barricades et des heurts avec la police». 





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