Les souverainistes connaîtront probablement une défaite historique le 1eroctobre prochain. Certains voudront alors en finir avec le combat national et rentrer dans leurs terres. On peut les comprendre. Il y a des limites à vouer sa vie que l’on cherche au mieux, en ce moment, à maintenir en vie. Mais d’autres ne voudront pas abandonner: l’idée d’indépendance est trop profondément enracinée dans la conscience historique québécoise pour être abandonnée. À quoi pourrait ressembler les fondements d’un programme nationaliste post-1er octobre?
Au lendemain des prochaines élections québécoises s’ouvrira un nouveau cycle politique pour les indépendantistes et les nationalistes, où ils devront rebâtir un programme politique qui devra se penser dans une nouvelle époque. Le cycle de la Révolution tranquille est définitivement fermé et l’organisation du débat politique autour du clivage souverainistes-fédéralistes sera derrière nous. Il faut ouvrir un nouveau cycle. Si le combat pour l’indépendance peut et doit se poursuivre, il devra se délivrer d’un discours un peu fané qui semble incapable de relancer la dynamique nationaliste québécoise. Dans les prochains paragraphes, j’essaierai de voir à quoi pourrait ressembler le cœur de ce nouveau programme nationaliste qui par définition, se caractérise d’abord par la revalorisation de la question nationale.
Un objectif fondamental devra être réaffirmé: l’indépendance du Québec. La souveraineté ne doit plus être présentée comme une simple série d’ajustements technocratiques ou comme l’occasion de construire enfin un Québec «progressiste» mais comme la condition nécessaire pour assurer la survie et l’épanouissement du peuple québécois. Et on ne peut plus prendre l’existence du peuple québécois comme allant de soi: l’époque pousse à la dissolution des nations et plus encore, des petites nations. Le souverainisme aseptisé, inhibé sur plan identitaire, est une contradiction dans les termes. Si un nouveau cycle historique doit s’ouvrir pour le souverainisme, il doit s’ancrer dans la réhabilitation d’un nationalisme qui n’a rien de honteux et qui doit cesser de se définir selon les critères de respectabilité de ses adversaires. Les souverainistes doivent marquer clairement, de ce point de vue, leur opposition au régime de 1982 en critiquant frontalement le multiculturalisme canadien dans ses nombreuses dimensions.
Dans cet esprit, ils ne doivent plus penser leur programme dans les paramètres du régime de 1982 et dans l'espace étroit qu'il concède au Québec mais en fonction de l'intérêt national, en acceptant qu'inévitablement, son application provoquera des tensions constitutionnelles et politiques avec le régime canadien. Mais ce n'est plus au peuple québécois à internaliser les contraintes imposées par le fédéralisme version 1982 : il doit plutôt les expliciter, les révéler et les retourner contre le régime canadien. Ce n'est qu'ainsi, d'ailleurs, que les Québécois pourront de nouveau comprendre la contradiction fondamentale entre leur appartenance au Canada et la pleine affirmation de leur identité.
De même, les nationalistes auraient intérêt à se montrer intransigeants avec les discours anti-québécois qui se multiplient dans le système médiatique, qui relaie favorablement le militantisme multiculturaliste de nombreux groupuscules identitaires liés à la gauche radicale. Ces discours reposent sur la diabolisation de la majorité historique francophone en multipliant contre elle les accusations les plus loufoques. Le politiquement correct exaspère et ceux qui le dénoncent trouveront une oreille attentive dans la population.
Éléments de programme
Le peuple québécois est un peuple de langue et de culture françaises. Longtemps, nous l’avons su. Maintenant, nous ne le savons plus ou ne voulons plus le savoir. Il nous faudra retrouver cette évidence existentielle pour bâtir et rebâtir à partir d’elle. La langue française et le combat pour le français représentent le noyau existentiel de notre peuple. Dans cet esprit, il faudra œuvrer à la refondation de la Charte de la langue française, en réaffirmant notamment que les services publics doivent être administrés en français et que les travailleurs doivent pouvoir travailler en français. Certaines mesures d’urgence s’imposent comme l'application de la loi 101 au niveau collégial. Et contrairement à ce que veulent croire les optimistes, nous n’avons pas tout notre temps. La bilinguisation de Montréal n’est rien d’autre qu’une étape vers son anglicisation. Un objectif devra être clairement exprimé: la refrancisation de Montréal. Les indépendantistes ne peuvent accepter la fracture de plus en plus nette entre la métropole et le reste du Québec.
Le peuple québécois ne pourra pas traverser le présent siècle sans une véritable politique d'intégration substantielle, fondée sur le principe de la culture de convergence. Il ne saurait se définir sans s’ancrer dans son expérience historique. Une nation n’est pas qu’une association d’individus juridiquement reliés. S’intégrer au Québec, cela consiste d’abord à s’intégrer à la majorité historique francophone. Un immigré qui veut rejoindre le peuple québécois doit apprendre à dire nous avec elle. La tâche de l’État ne consiste pas à disperser la société en identités morcelées mais à fabriquer du commun à partir du socle historique québécois. On trouvera au cœur de cette politique d’intégration le principe de la francisation obligatoire associée à l'apprentissage de la culture québécoise. Mais l’intégration réussie suppose que le Québec reçoive des immigrants en tenant compte de ses capacités d’intégration. Il faudra urgemment rompre avec le principe de l’immigration massive et baisser pour cela les seuils d’immigration significativement. Il y a certes un interdit idéologique autour de cette question, mais il faudra le braver.
La fragmentation de l’espace public sous la pression des communautarismes ethnoreligieux est aujourd’hui ressentie partout en Occident. Il faut répondre à cela politiquement en rappelant que la culture de la nation d’accueil, avec ses mœurs particulières, n’est pas qu’une composante parmi d’autres de la «diversité». Au Québec, c’est à travers le principe de laïcité qu’on cherche à exprimer cela. Il faudra mettre en place d'une Charte de la laïcité soutenue par un usage décomplexé et revendiqué de la clause nonobstant, rappelant le primat de la souveraineté parlementaire sur le gouvernement des juges – d’ailleurs, il ne faudrait pas hésiter à utiliser systématiquement la clause nonobstant pour rappeler ce principe. Cette Charte de la laïcité doit s’assurer minimalement que tous les employés de l’État, des juges aux éducateurs en garderie, s’abstiennent d’afficher des signes religieux ostentatoires. Sur le plan des institutions, cette laïcité doit naturellement se conjuguer de manière respectueuse avec le patrimoine historique québécoise qu’on ne saurait traiter à la manière d’un élément culturel parmi d’autres.
Un peuple s’affirme lorsqu’il permet à son génie propre de s’exprimer. Le Québec doit mettre en place une véritable politique culturelle, ayant notamment pour vocation de reconstruire un espace public qui ne soit pas qu’une sous-division vaguement francisée de la culture nord-américaine. Aucune culture n’a avantage à se recycler dans les seuls codes de la culture «globale» américanisée, comme le veut malheureusement la tendance lourde aujourd’hui. Télé-Québec devra servir à cela à travers une diversité de plateformes en devenant une authentique chaine culturelle. La promotion de la culture québécoise passera nécessairement par la création d’espace assurant sa valorisation et sa mise en discussion. Qu’il s’agisse de la vie des idées, de la vie littéraire, de la vie musicale ou des autres domaines à travers lesquels s’exprime la singularité québécoise, les pouvoirs publics ont une responsabilité particulière dans sa mise en valeur, en ayant un souci explicite de pluralisme intellectuel.
La transmission culturelle passe évidemment par l’école et la culture générale est la meilleure garante de la liberté intellectuelle. Il faudrait remettre l’école au service d’une conception véritablement humaniste de la culture, que ce soit en littérature, en histoire ou en géographie ou dans les autres domaines du savoir. Une jeune personne sortant de l’école québécoise devrait avoir développé une pleine maîtrise du français au contact de la littérature et une vraie conscience historique au contact de l’histoire. Et faut-il le rappeler, l’école n’a pas pour vocation d’imposer aux jeunes générations d’endoctriner les élèves, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Pour marquer symboliquement la rupture avec ce dévoiement idéologique de l’éducation québécoise, il faudra abolir dans un premier temps le cours Éthique et culture religieuse.
Revendications sur la scène fédérale
Le Québec vise l’indépendance, mais pour peu que l’on soit réaliste, cela ne devrait pas l’empêcher, à court terme, de chercher à faire des gains d’autonomie dans la fédération. Il faudra militer pour que le Québec puisse se soustraire le Québec à l’application du multiculturalisme fédéral. De même il faudra soumettre la loi fédérale sur les langues officielles à la Charte de la langue française. De même, le Québec devra réclamer d’Ottawa l’ensemble des pouvoirs en immigration, en culture et en communication d’Ottawa.
Globalement
Je n’en écris pas plus pour l’instant. Il s’agit simplement d’indiquer de quoi pourrait et devrait être fait un programme où le nationalisme devienne programmatique et ne soit plus seulement rhétorique. Cela n’épuise d’aucune manière la réflexion politique sur les réformes à mener pour redresser la société québécoise, évidemment, mais montre néanmoins que la question nationale peut être prise au sérieux et relève du domaine des vraies affaires.