Stéphane Dion voit sa loyauté envers le Canada remise en cause parce qu'il détient la citoyenneté française, transmise par sa mère à sa naissance. À son corps défendant, le nouveau chef du Parti libéral serait prêt à l'abandonner si cela devait nuire à son élection comme premier ministre. Ce serait pur opportunisme politique, car rien ne l'oblige à une telle renonciation.
Ce débat sur la double citoyenneté de Stéphane Dion est pour le moins absurde, surtout qu'on lui demande ce que l'on n'a jamais demandé à l'un de ses prédécesseurs, John Turner, qui fut brièvement premier ministre en 1984. Était-ce parce que, dans son cas, il s'agissait de la citoyenneté britannique plutôt que de la citoyenneté française?
Répondre oui à cette question serait prêter des intentions à ceux qui soulèvent ce débat, ce à quoi on succombera néanmoins devant les arguments saugrenus invoqués. Selon le député néo-démocrate Pat Martin, M. Dion, devenu premier ministre, pourrait être tenté de favoriser la France dans une dispute commerciale opposant celle-ci au Canada. Bien sûr, il ne remet pas en question sa loyauté envers le Canada, mais le propos du député suggère que, peut-être, Stéphane Dion pourrait trahir son serment d'office.
Un autre argument, plus sérieux celui-là, est celui de l'exemplarité. Un politicien aspirant à devenir premier ministre se doit de témoigner d'un engagement sans faille envers le Canada. Le ciment de la nation est la citoyenneté, qu'il ne faut pas dévaloriser en multipliant ses appartenances. Un premier ministre doit donner le signal que la citoyenneté constitue un engagement envers le pays plutôt qu'un simple privilège que l'on recherche pour les avantages qu'elle procure.
Le nouveau chef libéral est incité à prendre exemple sur la gouverneure générale, Michaëlle Jean, qui a renoncé à sa citoyenneté française. Son statut l'exigeait, car elle incarne dans sa personne l'État canadien, ce qui n'est pas le cas du premier ministre, qui est au service de l'État. Il faut aussi se rappeler que Mme Jean a ainsi fait taire ceux qui doutaient de sa loyauté à l'égard du Canada en raison de sa fréquentation des cercles souverainistes québécois. On ne reproche pas à M. Dion de telles choses, bien évidemment, mais son appartenance à plusieurs «identités» est néanmoins suspecte aux yeux de certains. Même si cela n'est pas abordé ouvertement, le débat sur la nation n'est pas très loin.
Cette polémique apparaît encore plus absurde lorsqu'on s'arrête à l'ampleur du phénomène de la double citoyenneté. Dans un Canada devenu multiculturel, de plus en plus de citoyens détiennent deux passeports. Combien? Faute de données précises, on peut se référer à un document récent du C.D. Howe Institute sur les enjeux liés à la double citoyenneté, où on estime à 2,7 millions la diaspora canadienne à l'étranger. Tous ces Canadiens n'ont pas la double citoyenneté, mais on peut croire qu'une majorité d'entre eux l'ont.
Le Canada fut l'un des premiers pays à avoir accepté en 1977 la double nationalité pour ses citoyens. Aujourd'hui, certains voudraient remettre en question ce droit. L'opération massive d'évacuation de citoyens canadiens du Liban l'été dernier à la suite de la guerre entre Israël et le Hezbollah a mis en exergue le fait que certains profitaient de façon indue de leur passeport canadien et soulevé des réactions.
La révision de la Loi sur la citoyenneté entreprise par le gouvernement Harper pourrait amener celui-ci à resserrer certains critères pour l'obtention et le maintien de la citoyenneté canadienne, qui s'acquiert après seulement trois ans de résidence. Trop de Canadiens ont la double citoyenneté pour que l'on puisse abolir ce droit, surtout dans un contexte de mondialisation. Mais pour ceux qui font campagne en ce sens, le cas de Stéphane Dion est une belle occasion de raviver le débat, quitte à faire un brin de démagogie.
bdescoteaux@ledevoir.ca
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