De régions-ressources à régions-poubelles

2006 textes seuls


Depuis trente ans, on ne cesse pas de parler des régions-ressources du Québec qui furent longtemps les vaches à lait d'un pouvoir centralisateur qui a dilapidé le bien collectif de façon éhontée, au nom d'un capitalisme sauvage dont des films comme L'horreur boréale et Bacon ont fait le triste constat. Mais les choses changent-elles vraiment et si c'est le cas, est-ce pour le meilleur ou pour le pire ?
Si on en juge par l'affaire du parc national du Mont Orford, on ne peut pas dire qu'il y a progrès en la demeure québécoise. Même si Sherbrooke est en quelque sorte une ville de la grande banlieue de Montréal et que les médias nationaux se sont jetés sur l'affaire comme le fait le chien sur un os inespéré, il semble bien que là encore, ce seront les chevaliers d'industrie qui auront le dernier mot.
Imaginez maintenant ce qui peut se passer en régions éloignées quand la majorité des médias d'information besognent de neuf heures à dix-sept heures, mais du lundi au vendredi seulement, les supposées salles de nouvelles (y compris celles de la Société Radio-Canada) étant fermées durant les week-ends. On prévoit à Belledune la fin du monde pour dimanche prochain ? Impossible ! Au plus tôt, elle arrivera lundi étant donné qu'il n'y aurait personne le dimanche pour en parler !
Un peuple informé est un peuple libre, disait Victor Hugo. Dans cette perspective, les régions éloignées du Québec vivent un état de fait catastrophique : sauf exceptions, on n'y pratique ni journalisme d'enquête ni journalisme d'idées : les journaux sont un ramassis d'annonces publicitaires à peine déguisées en articles et la presse électronique croit qu'une émission comme Flash est le summum de la réussite télévisuelle.
Les chevaliers d'industrie peuvent donc s'en donner à coeur joie en travaillant impunément dans l'ombre. Si l'Irak a ses seigneurs de la guerre, les régions éloignées ont des maires pour qui la démocratie participative n'est rien d'autre qu'un vain mot. Voilà bien ce que peut dire l'observateur qui suit d'un peu près ce qui se passe à Belledune en voie de devenir un gigantesque dépotoir, à Cacouna où l'on veut installer un super-port méthanier, à Lévis que le projet Rabaska veut s'approprier, à Rivière-du-Loup et aux Trois-Pistoles où l'on compte ériger de mini-centrales hydro-électriques malgré les dégâts environnementaux qui en seraient la conséquence.
En ce temps où l'on parle beaucoup des pouvoirs de décision que revendiquent les municipalités, on ne peut pas dire que la majorité de nos édiles régionaux brillent par leur intelligence, leurs sens du patrimoine, de l'environnement et de la culture. Presque toutes les fois que l'un d'eux ouvre la bouche, c'est pour proférer des insanités.
Avant que n'ait lieu le référendum sur le super-port méthanier de Cacouna, le maire a dit : " Peu importe ce que donnera la consultation : notre décision est déjà prise et elle est favorable aux investisseurs. " Poussé par un groupe de citoyens à dire sur quoi il s'appuyait pour être ainsi aussi favorable au projet, le maire a encore eu ce bon mot : " Moi, je sais pas comment ça fonctionne ce genre de choses-là. Je me fie aux experts. Si on peut pas se fier aux experts, à qui le pouvons-nous ? "
Le préfet de la MRC des Basques a eu le même discours avant de tenir un référendum-bidon sur le projet de mini centrale hydro-électrique de la rivière Trois-Pistoles. Dans ce cas précis, l'expert appelé à témoigner n'était nul autre que l'investisseur (un lobbyiste qui, en même temps, siégeait à la Commission québécoise de l'énergie !)
Je pourrais citer encore plein d'exemples qui, c'est le cas de le dire, baignent dans les mêmes eaux. Ils ne confirmeraient que ce que j'avance : nos édiles municipaux sont pour la plupart des illettrés et des ignares que les puissantes sociétés de lobbying manipulent et achètent impunément.
Ces édiles-là contribuent à défaire un tissu social qui est déjà d'une fragilité extrême : quand on fait fi des rêves communs qui doivent cimenter une nation, que reste-t-il ? Rien d'autre que ce qui est en train d'arriver dans les régions et qu'illustre parfaitement l'affaire Bombardier à Sainte-Anne-de-La-Pocatière : on y a marché dans les rues pour que l'entrepreneur multinational ne réponde plus aux règles nationales et internationales de la concurrence qu'il a lui-même contribué à créer , et cela afin de sauver quelques centaines d'emplois dans une municipalité qui en dépend pour sa survie.
Au début de la dernière campagne électorale fédérale, le maire péquiste Jean-Pierre Rioux des Trois-Pistoles n'a pas agi autrement en prenant grossièrement parti pour les libéraux, disant : " On oublie ça, l'indépendance, on oublie ça le rêve : ce qu'on veut, c'est sauver des emplois, point final ! "
Si ce ne sont pas là les signes évidents d'une destruction de la pensée, je me demande bien de quoi il s'agit. Brader les rêves communs de toute une société pour y substituer la déliquescence de l'affairisme régional ou municipal à tout prix nous réserve de méchants lendemains de veille.
Quand nous serons passés totalement de régions-ressources à régions-poubelles, que nous restera-t-il ? Plus grand-chose, ne nous faisons pas d'idée là-dessus. Peut-être cela permettra-t-il aux universitaires de Rimouski et d'ailleurs, commandités par McDonald's et Pepsi Cola, de sortir enfin de leur tour d'ivoire pour faire le larmoyant constat d'un échec dont, par leur silence actuel, ils auront pourtant été les premiers responsables ! À Dieu vat !
L'aut'courriel n° 183, 20 avril 2006

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Victor-Lévy Beaulieu84 articles

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Victor-Lévy Beaulieu participe de la démesure des personnages qui habitent son œuvre. Autant de livres que d'années vécues, souligne-t-il à la blague, comme pour atténuer l'espèce de vertige que l'on peut éprouver devant une œuvre aussi imposante et singulière. Une bonne trentaine de romans, une douzaine d'essais et autant de pièces de théâtre ; des adaptations pour la télévision





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