D'abord pour les premiers concernés, nos soldats. Après avoir été éduqués toute leur enfance à régler les conflits pacifiquement avec leurs amis, avec leurs voisins, avec leurs patrons, avec leurs gouvernements... Après leur avoir enseigné à l'école, en histoire ou en philosophie, que la paix crée des conditions plus favorables à l'évolution de la société que la guerre qui, elle, exacerbe et envenime plutôt les conflits. Après les avoir formés à être des agents de paix dans le monde, ce qui leur donnait sans doute une fierté bien singulière pour avoir été les premiers à le faire par la décision du seul prix Nobel de la paix canadien -- si je ne me trompe -- en la personne de Pearson.
Après leur avoir inculqué tout ce que les Canadiens s'honorent de défendre comme valeurs, on leur demande de tuer. Et pour des intérêts qui ne sont pas canadiens. Ou en tout cas, pas ceux de la majorité bien sentie des Canadiens. L'agression militaire exige d'eux qu'ils se transforment en tueurs d'Afghans, indépendamment de la religion, du sexe ou de l'âge de ces Afghans, si on considère les membres de ce peuple comme des égaux, selon les préceptes de la démocratie libérale.
C'est bien là une des contradictions de ce qu'est devenu, au fil des virages à droite, l'impérialisme canadien auquel même certains des plus virulents indépendantistes ont fini par adhérer. [...]
C'est un sérieux problème qui ne peut se résoudre que par un radical changement politique qui demanderait aux élites du pays de se plier plus aisément aux volontés populaires qu'à ceux de nos grands brasseurs d'affaires ou de marchands d'armes comme SNC Lavalin. Mais en sont-ils capables?
On pourrait penser qu'en prenant une telle position, on se rangerait du côté des ennemis du Canada, du côté des terroristes. Ou encore qu'on manquerait au devoir national de soutenir nos troupes. La guerre rend plausibles de telles simplifications. Mais demandez-vous bien qui, dans cette guerre, a décidé d'engagements qui font maintenant du Canada un agresseur, en l'associant à une communauté internationale devenue ainsi violente contre un de ses membres les plus pauvres, que les déceptions successives ont amené aux extrémités que l'on connaît? Qui donc nous range -- et tout ça en outrepassant les souhaits de la population que la propagande de guerre n'a pas encore gagnée au soutien majoritaire des troupes -- du côté d'une vieille et persistante attitude colonialiste dont le monde occidental a peine à se débarrasser malgré toutes les morts provoquées par ce comportement de prédateur bestial? Et pour qui devrions-nous tant tenir à la vengeance? Plusieurs proches des 3000 victimes du World Trade Center ont appelé à la pondération et voulu éviter une déclaration de ce qui ressemble maintenant à ce qui sera la troisième guerre mondiale si le carnage ne s'arrête pas.
Beaucoup pardonné
On a pardonné beaucoup au Québec dernièrement. Le pape lui-même appelle à la paix. Mais on est tout de même resté sur la pente des guerres injustes initiées par les pays dominants au nom de la pacification armée, des droits des femmes, de l'éducation et du soin des enfants, et de tout ce discours paternaliste sur les progrès démocratiques chez autrui sans égard à nos propres déficits sur ce terrain.
Devant un tel acharnement et un tel entêtement, comment ne pas s'interroger dès maintenant sur le type de monde qui émergera de cette guerre? Car elle aura bien une conclusion, ne serait-ce que par manque de ressources y étant consacrées. Y aura-t-il plus de justice et surtout moins de pauvreté? En tout cas, toutes les justifications que l'on a données pour cette guerre marqueront la planète du souvenir, que l'on retiendra chez bien des peuples, des promesses faites par les agresseurs de considérer un pays pauvre, n'importe lequel, y compris celui qui voudrait annuler sa dette, comme étant légitimement en droit de réclamer la levée des obstacles à son émancipation et à son développement. L'engagement militaire s'est fait au nom de ces objectifs. Et il sera difficile de les contredire désormais. Ils feront encore davantage partie de l'ordre du jour mondial. Mais on ne pourra indéfiniment en appeler à la guerre contre les pauvres tout en reniant les promesses, tout en réduisant l'aide internationale, tout en laissant libre cours au déchaînement de la force...
La guerre d'Algérie est citée en exemple de ce à quoi la démocratie française s'est exposée comme risque d'une politique de régression, résolument réactionnaire, en voulant préserver sa colonie au nom des mêmes arguments douteux et de méthodes violentes carrément odieuses. Mais ce que nous y avons appris, c'est que les armes ont tranché en faveur des damnés de la terre!
À mesure que s'aiguisent les contradictions de cette guerre, une confiance ébranlée dans les pays industrialisés se manifeste et un retour aux fiertés nationales des anciennes colonies, le Tiers-Monde actuel, s'affirme. Et on se rappellera tout autant ceux qui ont préféré la vengeance purificatrice de la guerre et la sécurité nationale des États-Unis comme s'étant lourdement trompés de stratégie en y incluant la force armée préférée à la diplomatie dont serait supposément capable une démocratie mature, comme on a toujours présenté celle du Canada. Et cela restera bien dommage pour les prétentions que nous entretenons de sauver le monde malgré lui et par des moyens tout à fait illégitimes, même s'ils sont en tout point conformes au droit international. Si nous sommes capables de déployer toute cette activité militaire en appliquant le droit, il y a quelque chose dans ce droit qui retarde, comme du temps de Pearson, par rapport aux méthodes de matamore utilisées par notre propre camp impérialiste.
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Guy Roy, Délégué syndical et membre de Québec solidaire
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