Hier, je regardais à la télévision Carles Puigdemont, le chef du gouvernement catalan et de la coalition souverainiste.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne ressemble guère à l’image romantique que l’on pourrait se faire d’une figure qui veut marquer l’Histoire.
Ordinaire
Je sais bien que les grands leaders viennent dans une étonnante variété de tailles et de styles.
Tout de même, quand on pense aux leaders qui ont fait naître de nouveaux pays, on pense spontanément à des figures plus grandes que nature, charismatiques, souvent héroïques : George Washington, Nehru, Hô Chi Minh, Atatürk.
J’exclus les dirigeants des nations devenues indépendantes parce que l’État dont elles faisaient partie s’est effondré ou les a laissées partir sans combattre.
Même chez nous, René Lévesque, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard, qui n’ont pas réussi à faire l’indépendance, avaient de la grandeur en eux.
Chez Puigdemont, rien de grand ne saute aux yeux à première vue.
Au fond, il correspond peut-être à notre époque, où tout passe par la télévision et les réseaux sociaux, où le tribun qui fait vibrer les foules a presque disparu, où l’on veut des leaders à hauteur d’homme et qui ressemblent au « monde ordinaire ».
Avec ses lunettes pas très design, sa coupe de cheveux dont il ne se préoccupe visiblement pas, son allure parfaitement banale, on imagine mal des statues de lui s’il devait réussir.
De toute façon, l’époque n’est plus aux statues.
Vous n’entendrez jamais Puigdemont lever le ton. Et si les foules se lèvent, c’est la cause qui les soulève et non son charisme d’orateur, qui est absolument inexistant.
À tout prendre, le prédécesseur de Puigdemont à la tête des souverainistes catalans, Artur Mas, avait davantage le physique de l’emploi, lui qui est toujours sous le coup d’une condamnation qui lui interdit d’exercer toute fonction publique pendant deux ans.
Sa faute : avoir organisé le référendum non décisionnel sur l’indépendance de novembre 2014, jugé illégal par les tribunaux espagnols.
Improbable
Chose certaine, Puigdemont est d’une intelligence supérieure, il a une détermination en béton armé et il possède des nerfs d’acier.
Il jongle maintenant avec l’idée d’un vote électronique. La police espagnole s’intéresse donc, du coup, à toutes les firmes qui pourraient mettre sur pied une telle opération.
Quand on lui dit que l’État espagnol le menace d’emprisonnement, il répond froidement qu’« aucune menace » ne le fera plier et que seul le Parlement catalan, qui lui a donné son mandat, peut le lui retirer.
Hier, il s’est refusé à exclure une déclaration unilatérale d’indépendance s’il la jugeait indiquée par les circonstances.
Cette assurance tranquille fait penser à celle de Jacques Parizeau qui, dès 1994, avait décidé de foncer malgré de mauvais sondages et les atermoiements de beaucoup dans son entourage.
Pour le reste, vous ne trouverez pas deux hommes politiques plus différents.
La trajectoire de Puigdemont est hautement improbable et atypique pour quelqu’un qui s’est fixé un objectif aussi élevé que de faire naître un nouveau pays.
Né il y a 55 ans, il est philologue de formation. La philologie, c’est l’étude des langues à partir de documents, souvent très anciens.
Il a surtout gagné sa vie comme journaliste. Indépendantiste de longue date, il n’apparaît vraiment sur la scène publique qu’en 2011, quand il devient maire de Gérone, une ville de 100 000 habitants.
Sa formation politique d’origine, c’est Convergence démocratique de Catalogne (CDC), devenue en 2016 le Parti démocrate européen catalan (PDECAT).
Il faut comprendre qu’en Catalogne, l’existence du scrutin proportionnel force les partis à toutes sortes d’alliances et de fusions, qui aboutissent à de fréquents changements de nom.
Conciliateur
À mon humble avis, une des grandes forces cachées de Puigdemont est son habileté à faire tenir ensemble une coalition souverainiste très hétérogène, voire hétéroclite.
Au sein de la coalition Ensemble pour le oui, Puigdemont doit notamment composer avec le turbulent et très à gauche Oriol Junqueras, chef d’ERC (Gauche républicaine de Catalogne), avec l’écologiste, intellectuel et romancier Raül Romeva, et avec Carme Forcadell, une intellectuelle qui s’est surtout fait connaître pour sa défense de la langue catalane.
Ce talent de conciliateur vient peut-être de ce que la personnalité de Puigdemont ne lui permet pas d’écraser les autres et de prendre pour lui toute la place.
Pour lui, les prochains jours marqueront-ils une fin ou un début ?
Entendu dans la rue
« Monsieur, si je vous disais ce que je pense vraiment de ce gâchis, je deviendrais très grossière. Alors je préfère ne pas vous le dire. Ne le prenez pas mal. »
« C’est un peu les mêmes arguments que chez nous, mais en pas mal plus heavy. »
– Une touriste québécoise