Chantal Hébert: "Si Jean Charest perd les élections le 26 mars, les électeurs de l'extérieur du Québec concluront que Stephen Harper a échoué dans la tâche de préserver la paix sur le front de l'unité canadienne."
Dans un essai passionnant, la chroniqueuse Chantal Hébert éclaire les dédales ombrageux d'un monde politique canadien regorgeant de paradoxes saisissants.
Vous racontez dans votre livre qu'entre Stephen Harper et le Québec, c'est une relation inattendue et fort singulière qui s'est établie. Perdurera-t-elle?
Chantal Hébert: "C'est la première fois depuis qu'il y a des chefs politiques québécois inscrits sur le bulletin de vote au Canada, dont Pierre-Elliott Trudeau, que les Québécois décident d'appuyer en très grand nombre un leader politique de l'extérieur du Québec. C'est ce qui est assez remarquable dans la percée québécoise inopinée de Stephen Harper. Mais cette relation entre le chef du Parti conservateur et les Québécois n'est ni idyllique, ni évidente. Je rappelle dans mon livre que les grandes politiques de Stephen Harper vont souvent à contresens des positions, plutôt consensuelles, qui prévalent au Québec sur des questions épineuses: l'environnement et l'accord de Kyoto, la politique étrangère canadienne... Stephen Harper a pris cet été des positions sur le Moyen-Orient et l'Afghanistan qui semblaient très carrées. Depuis, il a décidé d'arrondir ces coins-là. Il essaye de ménager comme il peut les Québécois, car il sait très bien que sans le Québec, il n'aurait jamais pu gouverner. La résolution qu'il a fait adopter reconnaissant le Québec comme une nation s'inscrit dans cette démarche-là.
Le résultat des prochaines élections québécoises aura-t-il des incidences sur la stratégie électorale de Stephen Harper?
"Le scénario est simple. Si Jean Charest perd les élections le 26 mars, les électeurs de l'extérieur du
Québec concluront que Stephen Harper a échoué dans la tâche de préserver la paix sur le front de l'unité canadienne. Ils se tourneront donc en plus grand nombre vers Stéphane Dion, puisque à leurs yeux, une des forces du Parti libéral fédéral et de son actuel chef en particulier, c'est le fougueux combat qu'ils mènent contre les souverainistes québécois. Donc, dans la dynamique politique canadienne, l'élection d'un gouvernement souverainiste à Québec serait nettement plus avantageuse pour le Parti libéral que pour le Parti conservateur. Par contre, Si Jean Charest remporte les élections, s'il y a un gouvernement profédéraliste à Québec, on peut présumer que pour Stephen Harper, ça se traduira par quelques points de pourcentage supplémentaires à l'extérieur du Québec, où on va dire que sa politique de la main tendue au Québec donne des résultats tangibles. Cependant, je ne crois pas que si Jean Charest gagne les élections, les Québécois qui votent traditionnellement pour le Parti libéral fédéral voteront le lendemain matin pour Stephen Harper. La bonne performance jusqu'à présent de Mario Dumont est aussi un bon signe pour Stephen Harper, parce que l'électorat qui appuie le chef adéquiste recoupe en gros l'électorat qui a voté pour les conservateurs lors des dernières élections fédérales, en 2006. Je pense que le lendemain d'une élection au Québec gagnée par Jean Charest, Stephen Harper claironnera dans tout le Canada anglais qu'il a aidé à la réélection des fédéralistes à Québec. Il va attentivement regarder qui a voté pour Mario Dumont, car ce sera la première clientèle qu'il courtisera lors des prochaines élections fédérales."
Les acquis politiques de Stephen Harper au Québec sont-ils suffisants pour faire mordre de la poussière de nouveau au Parti libéral lors des prochaines élections fédérales?
"Aux dernières élections fédérales, en 2006, le Parti libéral fédéral en était à sa septième joute électorale consécutive où il ne réussissait pas à gagner le Québec francophone. C'est beaucoup, 7 élections en 25 ans, depuis le rapatriement unilatéral de la constitution canadienne. Dans une élection complémentaire à Repentigny, ce n'est quand même pas dans le fond des bois, qui a eu lieu juste avant qu'on élise Stéphane Dion à la tête du Parti libéral, il y avait 60 points de différence entre le gagnant bloquiste et le candidat libéral. 60 points, c'est comme si on s'était présenté à Toronto pour briguer un siège à Montréal! Pour le moment, le Parti libéral fédéral a perdu sa présence dans le Québec francophone. Est-ce qu'il pourra remonter la pente en une seule campagne électorale? Je ne le crois pas. Sept élections boiteuses, c'est une tendance lourde. Pour que le Parti libéral fédéral ressuscite au Québec, il faudrait qu'il s'attelle incessamment à reconfigurer ses objectifs parce que la vision libérale du Canada, un gouvernement central fort, le gouvernement senior est à Ottawa... c'est une vision qui n'a pas de résonance au Québec ni en Alberta. Or, ces deux régions sont essentielles pour bâtir une vraie coalition politique nationale."
Selon vous, Stephen Harper a assaini les moeurs politiques au Canada.
"Stephen Harper a rétabli la notion de concurrence dans le système politique canadien. Bon nombre de problèmes qui ont rendu la politique fédérale si dysfonctionnelle au cours de la dernière décennie sont une conséquence du monopole malsain du Parti libéral fédéral, qui a dominé la scène politique canadienne pendant si longtemps qu'il a fini par confondre ses intérêts avec ceux du Canada. Selon moi, ce n'est pas le scandale des commandites qui a favorisé l'arrivée d'un gouvernement minoritaire conservateur à Ottawa. C'est sûr que ce scandale n'a pas aidé les libéraux au Québec, mais à l'extérieur du Québec, ce ne sont pas les commandites qui leur ont fait perdre du terrain, c'est la réunification du Parti conservateur. Tant que le Parti conservateur était divisé, le Parti libéral était à peu près le seul parti qui avait des chances mathématiques de former un gouvernement."
French Kiss. Le rendez-vous de Stephen Harper avec le Québec
De Chantal Hébert
Les Éditions de l'Homme, 2007, 328 p.
Chantal Hébert
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