Une campagne de marketing assortie d'une soirée VIP au Club Soda qui était prévue ce soir pour le lancement d'une marque de marijuana récréative destinée à la future Société québécoise du cannabis (SQDC) a soulevé les foudres de la ministre déléguée à la Santé publique, Lucie Charlebois. « C'est inacceptable et indécent », a-t-elle pourfendu.
Les projets de loi sur le cannabis actuellement à l'étude tant à Québec qu'à Ottawa interdiront clairement aux producteurs de cannabis de faire de la promotion ou de la publicité de type « style de vie », qui glorifient ou banalisent la consommation du pot.
Photo du lancement d'une biere de la marque de marijuana recreative San Rafael '71 à Toronto. Photo tiree de leur page Flickrcannabis
Publicité radio, commandite d'un festival de musique à Toronto, distribution de papier à rouler, de briquets et de broyeurs à herbe pour moudre le cannabis à l'effigie de sa marque de marijuana récréative San Rafael '71 : le fournisseur MedReleaf met toute la gomme pour faire parler de son cannabis récréatif avant l'adoption de projets de loi qui interdiront clairement ce type de promotion.
Le producteur ontarien a signé une lettre d'entente avec la SAQ pour fournir 8 millions de grammes de cannabis à la future Société québécoise du cannabis.
L'entreprise inscrite en Bourse entendait faire bruyamment la promotion de sa marque au Club Soda, ce soir, pendant un spectacle qu'elle organisait avec un hommage à Bob Marley et à Fleetwood Mac. Mais la société a préféré faire volte-face devant la colère de la ministre Charlebois.
« Quelqu'un qui veut faire affaire avec une société d'État et qui ne respecte pas le projet de loi 157, c'est vraiment des êtres irresponsables », a tonné la ministre Charlebois, mise au courant de la campagne promotionnelle par La Presse.
« Comme ministre responsable de la santé publique, ça me heurte. Et croyez-moi, on va suivre de très près cette activité-là. Ça peut être drôlement mal reçu », a ajouté Mme Charlebois.
« NOUS SOMMES DÉSOLÉS »
En fin de journée, MedReleaf a annoncé que son événement montréalais était annulé, mais aucune communication publique n'avait été faite au moment de publier. En Ontario, l'entreprise maintient sa campagne promotionnelle. « Nous avons eu des discussions avec les gens de la SAQ, qui sont des partenaires précieux, et avons bien entendu leurs arguments. Nous sommes désolés des inconvénients que cela a pu causer », a indiqué le vice-président de MedRelaf, Darren Karasiuk.
« Nous croyons fermement que pour éliminer la présence du marché noir, les gens doivent connaître nos produits. Pour ce faire, nous croyons que leur promotion devrait être réglementée comme l'alcool, a-t-il ajouté, mais nous allons respecter le souhait de la SAQ et du gouvernement. »
Les projets de loi sur le cannabis actuellement à l'étude tant à Québec qu'à Ottawa interdiront clairement aux producteurs de cannabis de faire de la promotion ou de la publicité de type « style de vie », qui glorifient ou banalisent la consommation du pot ou quelque émotion positive qui y est rattachée. La loi fédérale interdira aussi toute commandite d'événements culturels ou sportifs par les entreprises de cannabis, ainsi que la distribution d'objets promotionnels gratuits à l'effigie d'une marque.
Malgré sa volte-face au Québec, la campagne de MedReleaf continue de faire fi des intentions des législateurs à plusieurs égards. Sa marque San Rafael '71 - officiellement décrite comme « un produit de cannabis récréatif pour adultes valorisant l'authenticité, la qualité et le bon temps, sans prétention » - a diffusé en Ontario une publicité radio de 30 secondes, qui consiste en une séquence de 26 secondes de fou rire, suivi du nom de la marque.
San Rafael '71 commanditera aussi, le mois prochain, la Canadian Music Week à Toronto, un événement culturel consacré à la musique.
Pour des fins de marketing, MedReleaf a mis en marché une bière de type pale ale qui porte également le nom de San Rafael '71. Des photos prises lors du lancement de San Rafael '71 dans la Ville Reine, en février dernier, montrent une personne sur une scène avec un « bong », une sorte de pipe à eau servant à fumer du cannabis, mais rempli de bière plutôt que de cannabis pour l'occasion.
« C'est exactement ce qu'on ne veut pas voir : de la promotion de type style de vie, avec le mélange d'alcool en plus. C'est perturbant », dénonce Émilie Dansereau-Trahan, porte-parole de l'Association pour la santé publique du Québec.
« PROFOND MALAISE » À LA SAQ
La SAQ, responsable de la mise en place de la future SQDC, a pour sa part dit éprouver un « profond malaise » face à la campagne promotionnelle. « Nous, on se doit de respecter les lois qui nous seront imposées, nous nous attendons à ce que nos fournisseurs les respectent aussi », a affirmé le porte-parole Mathieu Gaudreault.
Le géant Canopy Growth, qui commercialise la marque Tweed, a lui aussi commandité en mars un défilé de mode lors duquel des couturiers de renom ont créé des pièces à base de chanvre ou de lainage de style tweed. L'entreprise avait sur place un kiosque où elle parlait de ses produits, mais s'en tenait à des informations factuelles, conformément aux exigences de la loi, avait assuré le porte-parole Adam Greenblatt.
« On sait que les projets de loi vont interdire ce type de promotion, mais ça va être le rôle de qui d'agir quand les producteurs les violent sciemment ? demande Mme Dansereau-Trahan. Est-ce que ce sera aux citoyens de le faire ? Où pourront-ils porter plainte ? On ne le sait pas, et c'est quelque chose qui devra être clarifié », croit-elle.
QUI EST MEDRELEAF ?
Très bien établie comme producteur de cannabis médical, MedReleaf est le quatrième producteur canadien de marijuana en importance inscrit en Bourse. Ses installations sont concentrées en Ontario et sa capitalisation boursière frôle les 2 milliards de dollars. Le Journal de Montréal rapportait cette semaine qu'il s'agit de la seule firme au Québec à avoir reçu une subvention de 84 000 $ du gouvernement provincial en 2016. Le président de son conseil d'administration, le Montréalais Lloyd Mitchell Segal, a été l'associé du premier ministre Philippe Couillard entre 2010 et 2012 dans la firme Persistance Capital Partners. Des documents officiels indiquent par ailleurs que l'entreprise appartient à près de 15 % à une entreprise établie à Panamá, un paradis fiscal figurant sur la « liste grise » de l'Union européenne.