Bouchard à la rescousse de l'industrie du gaz de schiste

Le remplaçant d'André Caillé va «apaiser les choses», dit Normandeau

Gaz de schiste


Robert Dutrisac , Louis-Gilles Francoeur , Alexandre Shields - C'est désormais l'ancien premier ministre Lucien Bouchard qui dirigera le lobby du gaz de schiste. Ce dernier vient en effet d'hériter du poste de président de l'Association pétrolière et gazière du Québec, en remplacement d'André Caillé. Une nomination saluée par la ministre Nathalie Normandeau, qui estime que son arrivée devrait «apaiser les choses». Les groupes écologistes le voient plutôt comme un «nouveau vendeur» au service d'une industrie résolument impopulaire.
Signe de la stratégie que M. Bouchard entend utiliser pour rallier les Québécois à sa cause, il a insisté d'entrée de jeu sur les impacts financiers positifs de l'exploitation de cette source d'énergie fossile. «Je vois la découverte au Québec de volumes importants de gaz naturel comme un atout très important pour notre développement économique et le financement des missions de notre État», a-t-il déclaré par voie de communiqué.
L'ancien ministre fédéral de l'Environnement a cependant tenu à répéter le discours de l'industrie et du gouvernement voulant que la filière gazière doive mener ses activités de façon responsable. «Je suis tout à fait conscient de la nécessité de procéder à ce développement dans le plein respect d'exigences exemplaires du point de vue de l'environnement, de la sécurité publique, de la transparence et de l'acceptabilité sociale. S'impose également la nécessité de faire de ce développement une contribution réelle à l'enrichissement public et non pas seulement privé.»
«J'entends donc remplir mon mandat dans la conciliation des préoccupations et des enjeux de toutes les parties intéressées, mais surtout avec la certitude de devoir travailler dans le meilleur intérêt de notre collectivité», a ajouté M. Bouchard. Reste à savoir s'il parviendra à convaincre des Québécois de plus en plus sceptiques du bien-fondé l'exploitation des gaz de schiste. Celui-ci n'a pas accordé d'entrevues hier et il ne devrait pas le faire avant son entrée en poste, prévue le 21 février.
Quant à André Caillé, il continuera de représenter l'entreprise Junex auprès de l'Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ) et devrait donc travailler en collaboration avec M. Bouchard. Cet ardent défenseur du gaz de schiste quitte ses fonctions après avoir été la cible de très nombreuses critiques au cours des derniers mois en sa qualité de porte-parole du lobby de l'énergie fossile. Il s'était même retiré des activités de l'Association pétrolière et gazière pendant quelques semaines l'automne dernier, après la série de soirées d'information organisées par l'industrie pour tenter de calmer le jeu. Il n'a pas été possible de lui parler hier.
Bonne nouvelle
Si l'arrivée de M. Bouchard dans ce débat houleux en a surpris plusieurs, elle a été saluée comme une bonne nouvelle par la ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau. Le gouvernement Charest compte d'ailleurs sur l'ancien premier ministre péquiste pour apaiser les craintes de la population à l'égard de l'exploitation du gaz de schiste. «C'est une heureuse nomination, a livré au Devoir la ministre Normandeau. Ça va apaiser les choses.»
«Ses qualités de leader vont contribuer à assainir le débat», estime la vice-première ministre. Elle a décrit Lucien Bouchard comme «un homme de gros bon sens, un rassembleur, un homme très rigoureux». Elle a vanté la grande «crédibilité» de l'homme «étant donné qu'il a occupé les hautes fonctions au Québec».
«Il faut ramener le débat sur les rails dans la mesure où il faut que ce soit rationnel. Il faut maintenant avoir des échanges qui vont au-delà de l'émotivité qu'on a connue ces dernières semaines, ces derniers mois», a avancé la ministre. Avec la nomination de Lucien Bouchard, le débat va prendre «une autre tournure», croit-elle. Le gouvernement souhaite que le débat sur l'industrie des gaz de schiste «repose sur des éléments scientifiques, objectifs. C'est pour ça que le rapport du BAPE va prendre une importance particulière dans les circonstances.»
Nathalie Normandeau a affirmé que la position du gouvernement à l'égard de l'exploitation du gaz de schiste n'a pas changé d'un iota même si le ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, Pierre Arcand s'est dit «préoccupé», affirmant vendredi que «l'industrie n'avait pas le contrôle de la situation».
«Ce que Pierre et M. Charest ont dit, c'est la position gouvernementale, a-t-elle soutenu. Le développement d'une filière gazière ne se fera pas à n'importe quel prix. S'il y a des gazières au Québec qui ne désirent pas se plier aux standards qu'on souhaite améliorer, augmenter et bonifier, bien, elles peuvent aller investir ailleurs. Il y a d'autres États où elles peuvent investir.»
La ministre a rappelé qu'avant Lucien Bouchard, un autre premier ministre du PQ, Bernard Landry, s'était prononcé pour l'exploitation des gaz de schiste, tout comme les anciens ministres péquistes Jacques Brassard et André Boisclair. «Mme Marois aurait intérêt à s'inspirer du gros bon sens véhiculé depuis des mois par ses anciens collègues pour ajuster le tir», a-t-elle dit.
Au PQ, on a indiqué hier que l'entrée en scène de Lucien Bouchard ne changeait aucunement la position du parti, qui réclame toujours un moratoire sur l'exploration gazière. Pour le député de Jonquière et porte-parole en matière d'énergie, Sylvain Gaudreault, l'APGQ a recruté Lucien Bouchard pour ses talents de négociateur parce que l'imposition d'un moratoire est imminente. «Ça annonce un changement d'attitude de la part du gouvernement.»
Scepticisme
Les écologistes et les citoyens mobilisés dans le dossier des gaz de schiste n'ont pas été très impressionnés par la nomination de Lucien Bouchard.
Pour Daniel Breton, du mouvement Maîtres chez nous au 21e siècle, cette nomination constitue même «un manque de respect supplémentaire de la part d'une industrie qui préfère offrir au public un nouveau vendeur plutôt que de tenir enfin compte des préoccupations légitimes des citoyens. Il serait surprenant que Lucien Bouchard change les politiques de ce groupe industriel, car qu'est-ce qu'il connaît à l'énergie? J'ai bien hâte aussi de l'entendre, comme ancien premier ministre souverainiste, nous dire ce qu'il pense de la privatisation de cette ressource publique».
«Je pense plutôt, conclut Daniel Breton, qu'on aura droit maintenant au point de vue du chef des Lucides, car si on se rappelle leur manifeste, ce dernier ne contenait même pas une fois le mot "environnement". Ça me donne l'impression que les valeurs de l'ancien ministre fédéral de l'Environnement ont changé.»
Pour Serge Fortier, du Comité de vigilance gaz de schiste Lotbinière-Bécancour, «Lucien Bouchard est là pour redorer l'image d'une industrie mal en point et qui veut toujours aller de l'avant avec un minimum d'encadrement, sans tenir compte de la façon la plus élémentaire du principe de précaution». Il prédit que cette nomination va «provoquer une certaine pagaille» dans les rangs du PQ, où on défend l'idée d'un moratoire sur l'exploration.
Pour André Bélisle, président de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique, «ce n'est pas la nomination d'un troisième porte-parole en moins d'un an dans cette industrie qui va régler les problèmes de fuites, de transparence et de prévention de l'industrie du gaz. Mais comme ancien ministre de l'Environnement, j'espère que Lucien Bouchard affichera une plus grande sensibilité envers la protection de l'environnement, au risque d'y perdre lui aussi sa crédibilité. Mais je pense plus concrètement qu'il ne parviendra pas à changer le portrait écologique, économique et social de cette industrie».
En réalité, poursuit cet écologiste de la première heure, «la vraie surprise, c'est de voir Lucien Bouchard revenir à la vie politique derrière une industrie aussi peu crédible. Il faudra voir si les idées qu'il a défendues dans le groupe des Lucides vont tenir lieu de politiques à l'industrie gazière, qui ne manifeste pas beaucoup, elle non plus, d'empathie envers les citoyens et les préoccupations environnementales».


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