Autodafé du Coran et auto-examen des médias

L’Empire - l'instrumentalisation du religieux


Le projet du pasteur américain Terry Jones de brûler des exemplaires du Coran aujourd’hui, jour anniversaire des attentats du 11-Septembre, a soulevé la colère des musulmans, ceux, entre autres, de la ville indienne de Kolkata. Est-ce encore une fois, un peu beaucoup la faute aux médias?

Photo : Agence Reuters
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Le projet du pasteur américain Terry Jones de brûler des exemplaires du Coran aujourd’hui, jour anniversaire des attentats du 11-Septembre, a soulevé la colère des musulmans, ceux, entre autres, de la ville indienne de Kolkata. Est-ce encore une fois, un peu beaucoup la faute aux médias?
L'attention médiatique portée au projet d'autodafé d'un exemplaire du Coran par un obscur pasteur de la Floride force les médias américains à faire un profond examen de conscience. Après tout, ils figurent parmi les premiers responsables de cette nouvelle affaire politicoreligieuse pour avoir accordé une trop grande couverture à un geste sciemment provocateur.
Encore une fois, c'est donc un peu beaucoup la faute aux médias. Mais, pour une fois, les chiens de garde ont décidé de se mordiller un peu eux-mêmes. Une fois n'est pas coutume...
«Si un pauvre type brûle quelques exemplaires du Coran dans les bois et que les médias ne sont pas là pour le filmer, est-ce que c'est une info?, écrit Mike Thomas, éditorialiste au Orlando Sentinel, dans l'État concerné. Sans nous, cet autodafé ne serait pas grand-chose d'autre qu'une vidéo floue dans YouTube.»
Le chroniqueur médias du Washington Post en a rajouté. «L'histoire de ce pasteur allumé me semble couverte à l'excès, avec des conséquences potentiellement dangereuses, a écrit Howard Kurtz dans son blogue. Pourquoi le monde entier devrait-il suivre l'agitation d'un obscur brûleur de livres en Floride? On peut dire qu'on se contente de couvrir un événement, mais nos porte-voix combinés en font une affaire internationale.»
La destruction sacrilège était annoncée pour aujourd'hui, jour du neuvième anniversaire des attaques contre le World Trade Center et le Pentagone. L'incertitude plane sur l'intention claire du pasteur Terry Jones, à la tête d'une communauté d'à peine cinquante fidèles à Gainesville. Hier, le flambeur jetait encore de l'huile sur son propre feu en déclarant qu'il renoncerait à la destruction du livre sacré des musulmans si l'imam lié à l'érection d'un centre islamique dans le sud de Manhattan, près de Ground Zero, changeait de site.
N'empêche, même avortée, l'affaire de la minuscule Église évangéliste baptisée Dove World Outreach Center a pris des proportions d'État. Le président Obama a averti que l'initiative pyromane pourrait causer des «dommages sévères» aux troupes américaines et aux intérêts de son pays dans le monde. Il a demandé à ses concitoyens de ne pas s'écarter de leur tradition de tolérance religieuse.
Des manifestations ont été organisées hier partout en Afghanistan, où sont stationnés des dizaines de milliers de soldats étrangers, y compris canadiens. Un homme de 24 ans est mort pendant une manifestation très agitée devant une base de l'OTAN à Kaboul. La colère a gagné tout le monde musulman, où on ne transige pas avec le respect du livre saint.
Couvrira, couvrira pas?
L'agence Associated Press a indiqué qu'elle ne diffuserait pas d'images «montrant un bûcher de livres saints», si jamais le pasteur iconoclaste passe aux actes aujourd'hui ou plus tard. Les réseaux CNN et Fox News respecteraient le même interdit. L'AP cite une politique interne obligeant à «ne pas couvrir les événements gratuits conçus pour provoquer et insulter».
Le rédacteur en chef du New York Times a bien résumé l'option: «La liberté de publier inclut la liberté de ne pas publier», a-t-il écrit. Et l'indifférence responsable fonctionne. En 2008, des membres de la Westborto Baptist Church de Topeka (Kansas) ont brûlé un exemplaire du Coran en public et diffusé la vidéo maison. Les médias n'ont pas mordu.
Ils sont maintenant bien ferrés, les nouveaux médias ayant d'ailleurs entraîné les anciens dans le piège. L'annonce sulfureuse faite au début de juillet n'a d'abord été relayée que par un seul site, le Religion News Service. Les géants du Net, dont Yahoo, ont ensuite diffusé l'information. À la fin du mois, le pasteur a accordé une entrevue au réseau d'information continue CNN, où l'animateur Rick Sanchez traitait son plan de «fou» (crazy).
Le pasteur islamophobe a depuis accordé plus de 150 entrevuess. La couverture a pris une ampleur mondiale cette semaine, à la faveur des réactions dans le monde islamique. La bête médiatique se nourrit ainsi de ses propres déchets, exactement comme dans la triste affaire des caricatures de Mahomet en 2005.
Le contexte joue un rôle, évidemment. La polémique mondiale tuméfie, alors que la droite américaine utilise de plus en plus les événements du 11 septembre 2001 (et leur commémoration annuelle) pour chauffer les esprits et attiser l'islamophobie. Le pasteur Jones veut en faire l'«International Burn a Koran Day» et il consacre une page Facebook à cette cause.
La controverse entourant ce projet de centre islamique concentre cette dérive idéologique. Les médias réputés républicains ne cessent de présenter ce projet comme «la mosquée de Ground Zero», ce qu'il n'est pas, le centre multifonctionnel, qui inclut un lieu de culte musulman, devant être érigé à deux intersections du site.
Les médias construisent la réalité. Ils ont façonné un «mythe» autour de ces événements fondateurs du XXIe siècle, comme le rappelle Brian Monahan dans une entrevue donnée au Devoir (cahier Livres). La construction et la déconstruction se poursuivent en stimulant d'autant plus le besoin de vigilance.
«Oui, les médias traditionnels devraient être plus responsables, écrivait hier Dan Gilmor, directeur du Knight Center for Digital Media Entrepreneurship de l'Université d'État de l'Arizona, dans le site du New York Times. Mais, dans le monde tel qu'il est, on ne peut compter sur eux pour l'être. Alors, nous, le public, devons assumer une certaine responsabilité pour nous-mêmes, en devenant plus au fait des techniques des médias, en particulier celles utilisées pour manipuler le public.»
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Avec AFP, AP


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