À une heure de Paris, une colère qui «ne rentre pas dans le tube»

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Macron a une grande partie des Français contre lui


Elle est transie sous la pluie froide et son gilet jaune, mais «Isa» Duchesne ne lâche pas son carrefour à l’entrée de Montargis, à 125 kilomètres de Paris, malgré l’ouverture du débat public en ville après douze semaines de manifestations.


Pour cette ouvrière de 57 ans qui plafonne à 1 200 euros par mois après 39 ans d’usine, le président Emmanuel «Macron prépare les (élections) européennes mais il s’en fiche de nous». A une heure au sud de la capitale, dans cette petite ville semi-rurale de 15 000 habitants, aux marges de la région parisienne, le sentiment d’abandon l’emporte.


Deux mois après le début de la fronde sociale qui secoue la France, largement suivie bien qu’émaillée d’incidents lors des manifestations du samedi, Emmanuel Macron a proposé un «grand débat public» dans les mairies jusqu’à la mi-mars, promettant de prendre en compte les suggestions.


«La colère ne rentrera pas dans le tube», prédit Marc Pochon, retraité de 64 ans. «Il y a tellement de gens aujourd’hui dans la souffrance, ils ne veulent plus dialoguer». Installé dès le premier jour au côté des «gilets jaunes» du rond-point «cacahuète» (ainsi surnommé en raison de sa forme) au sud de Montargis, il a manifesté sans faiblir «du 17 novembre au 22 décembre, avec des personnes âgées, des mères isolées, des retraités, des gens qui ont frappé à toutes les portes et n’y arrivent plus».


«Retraité nanti»


«Avec ma retraite à 2 500 euros je suis considéré comme un nanti, mais toutes mes taxes ont augmenté. J’ai le sentiment de m’être fait avoir» confie-t-il. Pourtant, pour cet ancien employé du métro parisien, il est temps d’avancer. «Il faut savoir sortir d’un conflit. On a une chance de s’exprimer, prenons-la. Mais je le dis au président, répondez immédiatement aux travailleurs pauvres. Sans attendre la fin des débats».


A Montargis, la «Venise du Gâtinais» aux 130 ponts, la zone industrielle s’est vidée, la caserne militaire a fermé, envahie par les herbes folles, et le chômage atteint 13%, plus que la moyenne nationale. Hors d’un petit centre coquet, les rues alignent les pavillons aux volets clos, l’immobilier sombre.


La ville attire les naufragés de la région parisienne par ses faibles loyers, explique Franck Supplisson, président (de droite) de l’Agglomération (15 communes, 65 000 habitants). «Le mouvement (des gilets jaunes) reste dynamique ici, appuyé par une bonne partie de la population».


Le premier des quatre débats s’est tenu jeudi soir: 45 personnes dans une salle municipale d’un quartier populaire pour deux heures d’échanges. En ligne de mire, la fiscalité «pour les riches», la désertification médicale, l’absence de transports, l’absentéisme des députés, les contrats précaires et les temps partiels, qui obligent à cumuler deux, trois emplois pour boucler les fins de mois. Le micro passe de main en main, sans temps mort.


Venue d’un village où «aucun bus ne passe jamais», Marie-Reine Poulin, une quadragénaire responsable de cantines scolaires, veut parler du pouvoir d’achat. «Je ne pense pas que ça changera grand-chose, les gens qui ont le pouvoir ne veulent pas le lâcher. Mais nous les femmes on doit être là, comme aux ronds-points, on est les plus vulnérables à la précarité».


Contrats de quinze heures


«J’ai parfois quinze candidats pour un contrat de quinze heures hebdomadaires, j’en ai honte. Je ne veux pas entendre que les gens sont paresseux», tonne-t-elle.


Jérémy Clément, 41 ans, avait envie de venir, mais ses deux mois de mobilisation et de manifs à Paris - «six samedis d’affilée» - ont eu raison de son entreprise de bâtiment. «Je suis passé d’un chiffre d’affaire mensuel de 30 000 euros à zéro», dit-il, l’obligeant à se séparer de ses deux salariés. Maintenant, il travaille sept jours sur sept pour essayer de remonter la pente. «On vit dans un pays riche, comment accepter que des gens ne puissent pas vivre de leur travail? Dans les grandes villes, on s’en rend moins compte. Mais si on n’agit pas, on va dans le mur».


Il reste «optimiste» pourtant. «Sur les ronds-points, j’ai rencontré une fraternité incroyable. Malgré nos désaccords, le mouvement a tenu. On veut être consulté et entendu». Son épouse est numéro deux sur une liste de «Gilets jaunes» aux européennes de mai. Une initiative qui prône le référendum d’initiative citoyenne mais qui divise, surtout à Montargis où trois des six premiers noms éligibles sont des locaux.


«Certains veulent être rois!», ricane Marie-Reine.


«Moi, je veux juste une vie meilleure», résume «Isa» sur son carrefour.